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  • Critique de ARMAGEDDON TIME de James Gray (compétition officielle - Festival de Cannes 2022)

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    Le (grand) cinéma est affaire de points de vue comme celui de James Gray dont le regard aiguisé se pose avec tellement de sensibilité sur les êtres que, dès les premiers plans, il vous captive même par une scène en apparence anodine dans une salle de classe. Celle du jeune Paul Graff (Michael Banks Repeta) qui vit dans le Queens, là où le cinéaste lui-même a habité dans son enfance. Alors que se profile l'arrivée de Reagan au pouvoir, Paul amoncèle les bêtises avec son ami Jonathan (Jaylin Webb). Il devra changer d'école et se retrouvera ensuite dans l’établissement scolaire au siège d'administration duquel siègent plusieurs membres de la famille Trump dont Fred, le père de Donald. Ses parents, Esther (Anne Hathaway) et Irving (Jeremy Strong), sont démunis face à ce fils pour lequel ils rêvent de réussite. Seul son grand-père (Anthony Hopkins) semble le comprendre…

    Si James Gray a toujours raconté des histoires de famille déchirées, il recourait toujours au masque du polar ou du film noir pour les évoquer même si The Immigrant (un très grand film d’une mélancolie d’une beauté déchirante et lancinante qui nous envahit peu à peu et dont la force ravageuse explose au dernier plan et qui nous étreint longtemps encore après le générique de fin) était déjà inspiré des souvenirs de ses grands-parents, juifs ukrainiens arrivés aux États-Unis en 1923 dont l'histoire est ici à nouveau contée par le grand-père de Paul. Cette fois, James Gray lève le masque pour raconter une histoire très personnelle inspirée de son enfance.

    En quelques plans, quelques phrases, notamment lors d'une séquence de dîner exemplaire (qui n'est pas sans rappeler une des premières scènes de Two lovers), James Gray croque chacun des personnages, leurs forces et fragilités et leurs relations, ou du moins telles qu'ils veulent qu'elles apparaissent.

    Comme le monde dans lequel il évolue, le jeune Paul est en plein chambardement, vers l'âge adulte. S'il perd une part de son innocence, il y gagne ses raisons d'être un artiste : le désir de liberté et surtout de justice sous l'influence de son grand-père. Avec une extrême délicatesse, James Gray filme la relation de Paul avec  ce dernier interprété par Anthony Hopkins et avec son ami Jonathan, abandonné de tous, victime d'un racisme plus ou moins latent et de l’indifférence sociale.

    James Gray cherche à comprendre les raisons de chacun y compris celles du père violent de Paul et y compris les siennes qui le poussèrent à devenir cinéaste. Comme dans chacun de ses films, l'apparent, volontaire et relatif manichéisme initial n'est en effet là que pour laisser peu à peu place à des personnages infiniment nuancés et infiniment touchants qui essaient de vivre tant bien que mal malgré les plaies béantes, de l’existence et surtout de l’enfance.

    La nuit nous appartient, pouvant sembler de prime abord manichéen, se dévoilait ainsi progressivement comme un film poignant constitué de parallèles et de contrastes savamment dosés, même si la nuit brouille les repères, donne des reflets changeants aux attitudes et aux visages.  Un film noir sur lequel plane la fatalité. James Gray dissèque aussi les liens familiaux, plus forts que tout : la mort, la morale, le destin, la loi.  Un film lyrique et parfois poétique, aussi : lorsque Eva Mendes déambule nonchalamment dans les brumes de fumées de cigarette dans un ralenti langoureux, on se dit que Wong Kar-Wai n’est pas si loin... même si ici les nuits ne sont pas couleur myrtille mais bleutées et grisâtres. La brume d’une des scènes finales rappellera d’ailleurs cette brume artificielle comme un écho à la fois ironique et tragique du destin.

    La fin de l’enfance et de l’innocence est aussi celle d’un monde tout entier pour celui qui la vit, comme le jeune Paul dans Armageddon time, la fin de l'appréhension de la vie comme manichéenne (l'apparent manichéisme, on y revient), qui lui apprend les compromis que nécessite l’existence, que la frontière entre le bien et le mal est parfois si floue. C’est son « Armageddon time » en écho avec l’actualité d’alors, la peur d’une guerre nucléaire. C’est pour lui l’amère découverte de ses propres limites, de la trahison, de l’apprentissage de la mort, du racisme, des injustices. La mort du grand-père tant aimé, c’est la fin de cette part de rêve, et du sentiment d’éternité et d’invincibilité, la prise de conscience de la finitude des choses.

    La sublime photographie de Darius Khondji aux accents automnaux renforce la sensation de mélancolie qui se dégage du film, douce puis plus âpre. James Gray filme l’intime avec grandeur et lui procure un souffle romanesque et émotionnel unique. Le jeune Michael Banks Repeta est absolument bluffant, et quel duo avec Anthony Hopkins qui incarne le personnage lumineux du grand-père après son rôle dans The Father où il redevenait lui-même cet enfant secoué de sanglots, prisonnier de sa prison mentale et de son habitation carcérale. Quelles images sublimes que celles du grand-père et du petit-fils dans cette lumière automnale, déclinante, et crépusculaire. Sublime et fascinante comme un dernier et vibrant sursaut de vie. James Gray n'a pas son pareil pour faire surgir l'émotion par un simple regard à travers la vitre, et vous bouleverser sans pour autant recourir à des facilités ou ficelles mélodramatiques. Une scène entre le père et le fils dans la voiture est aussi un exemple de subtilité, de nuance, d’émotion contenue.

    Un film d’une tendre cruauté et d’une amère beauté, vous disais-je à propos de Two lovers. C’est à nouveau ainsi que je pourrais qualifier ce film. J’en profite donc pour vous recommander à nouveau Two lovers  (à voir aussi cette semaine au Festival Lumière de Lyon), ce thriller intime d’une vertigineuse sensibilité à l’image des sentiments, enivrants, qui s’emparent des personnages principaux, et de l’émotion qui s’empare du spectateur. Avec en plus cette merveilleuse bo entre jazz et opéra (même influence du jazz et même extrait de l’opéra de Donizetti, L’elisir d’amore, Una furtiva lagrima que dans  le chef d’œuvre de Woody Allen, Match point, dans lequel on trouve la même élégance dans la mise en scène et la même dualité entre la femme brune et la femme blonde sans oublier également la référence commune à Dostoïevski, Crime et châtiment dans le film de Woody Allen, Les Nuits blanches dans Two lovers), un film dans lequel James Gray parvient à faire d’une histoire a priori simple un très grand film, à fleur de peau, d’une mélancolie, d’une poésie et d’une beauté déchirantes. Je pourrais en dire de même de Armageddon time qui, comme chacun de ses sept films précédents, témoigne de toute la sensibilité, la dualité, la complexité, la richesse du cinéma de James Gray. 

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  • THE IMMIGRANT de James Gray (compétition officielle - Festival de Cannes 2013) - Critiques de "Two lovers" et "La nuit nous appartient"

    Pour mon plus grand plaisir, James Gray sera à nouveau en compétition cette année à Cannes avec, « The immigrant » (auparavant intitulé « Lowlife »), un film dans lequel jouent notamment Marion Cotillard, Joaquin Phoenix et Jeremy Renner. Il sortira en France en novembre 2013. Ce sera ainsi son 4ème film projeté dans le cadre de la compétition après « The Yards » (en 2000), « La nuit nous appartient » (en 2007) et, enfin, « Two lovers » en 2008. Il fut également membre du jury des longs-métrages en 2009.

    Synopsis: 1920, Ewa Cybulski et sa sœur Magda quittent leur Pologne natale pour la terre promise, New York. Arrivées à Ellis Island, Magda est atteinte de tuberculose et est placée en quarantaine. Ewa, seule et désemparée, tombe dans les filets de Bruno, un souteneur sans scrupules et avide de réussite. Pour sauver sa sœur, elle est prête à tous les sacrifices et se livre, la mort dans l’âme, à la prostitution. L’arrivée d’Orlando, illusionniste et cousin de Bruno, lui redonne confiance, mais la jalousie de Bruno va les précipiter dans la folie meurtrière.

    1920, Ewa Cybulski et sa sœur Magda quittent leur Pologne natale pour la terre promise, New York. Arrivées à Ellis Island, Magda est atteinte de tuberculose et est placée en quarantaine. Ewa, seule et désemparée, tombe dans les filets de Bruno, un souteneur sans scrupules et avide de réussite. Pour sauver sa sœur, elle est prête à tous les sacrifices et se livre, la mort dans l’âme, à la prostitution. L’arrivée d’Orlando, illusionniste et cousin de Bruno, lui redonne confiance, mais la jalousie de Bruno va les précipiter dans la folie meurtrière.

    En attendant de découvrir ce film à Cannes et de vous en livrer ma critique, ici, je vous propose, ci-dessous, mes critiques de « La Nuit nous appartient » et « Two lovers ».

    CRITIQUE – LA NUIT NOUS APPARTIENT de James Gray

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    La nuit nous appartient. Voilà un titre très à-propos pour un film projeté en compétition officielle au dernier Festival de Cannes. Cannes : là où les nuits semblent ne jamais vouloir finir, là où les nuits sont aussi belles et plus tonitruantes que les jours et là où les nuits s’égarent, délicieusement ou douloureusement, dans une profusion de bruits assourdissants, de lumières éblouissantes, de rumeurs incessantes. Parmi ces rumeurs certaines devaient bien concerner ce film de James Gray et lui attribuer virtuellement plusieurs récompenses qu’il aurait amplement méritées (scénario, interprétation, mise en scène…) au même titre que « My blueberry nights », mon grand favori, ou plutôt un autre de mes grands favoris du festival, l’un et l’autre sont pourtant repartis sans obtenir la moindre récompense…

    Ce titre poétique (« We own the night » en vo, ça sonne encore mieux en Anglais non ?) a pourtant une source plus prosaïque qu’il ne le laisserait entendre puisque c’est la devise de l’unité criminelle de la police de New York chargée des crimes sur la voie publique. Ce n’est pas un hasard puisque, dans ce troisième film de James Gray ( « The Yards » son précèdent film avait déjà été projeté en compétition au Festival de Cannes 2000) qui se déroule à New York, à la fin des années 80, la police en est un personnage à part entière. C’est le lien qui désunit puis réunit trois membres d’une même famille : Bobby Green (Joaquin Phoenix), patron d’une boîte de nuit appartenant à des Russes, à qui la nuit appartient aussi, surtout, et qui représentent pour lui une deuxième et vraie famille qui ignore tout de la première, celle du sang, celle de la police puisque son père Burt (Robert Duvall) et son frère Joseph (Mark Walhberg) en sont tous deux des membres respectés et même exemplaires. Seule sa petite amie Amada (Eva Mendes), une sud américaine d’une force fragile, vulgaire et touchante, est au courant. Un trafic de drogue oriente la police vers la boîte détenue par Bob, lequel va devoir faire un choix cornélien : sa famille d’adoption ou sa famille de sang, trahir la première en les dénonçant et espionnant ou trahir la seconde en se taisant ou en consentant tacitement à leurs trafics. Mais lorsque son frère Joseph échappe de justesse à une tentative d’assassinat orchestrée par les Russes, le choix s’impose comme une évidence, une nécessité, la voie de la rédemption pour Bobby alors rongé par la culpabilité.

    Le film commence vraiment dans la boîte de nuit de Bobby, là où il est filmé comme un dieu, dominant et regardant l’assemblée en plongée, colorée, bruyante, gesticulante, là où il est un dieu, un dieu de la nuit. Un peu plus tard, il se rend à la remise de médaille à son père, au milieu de la police de New York, là où ce dernier et son frère sont des dieux à leur tour, là où il est méprisé, considéré comme la honte de la famille, là où son frère en est la fierté, laquelle fierté se reflète dans le regard de leur père alors que Bobby n’y lit que du mépris à son égard. C’est avec cette même fierté que le « parrain » (les similitudes sont nombreuses avec le film éponyme ou en tout cas entre les deux mafias et notamment dans le rapport à la famille) de la mafia russe, son père d’adoption, regarde et s’adresse à Bobby. Le décor est planté : celui d’un New York dichotomique, mais plongé dans la même nuit opaque et pluvieuse, qu’elle soit grisâtre ou colorée. Les bases de la tragédie grecque et shakespearienne, rien que ça, sont aussi plantées et même assumées voire revendiquées par le cinéaste, de même que son aspect mélodramatique (le seul bémol serait d’ailleurs les mots que les deux frères s’adressent lors de la dernière scène, là où des regards auraient pu suffire…)

    Les bons et les méchants. L’ordre et le désordre. La loi et l’illégalité. C’est très manichéen me direz-vous. Oui et non. Oui, parce que ce manichéisme participe de la structure du film et du plaisir du spectateur. Non, parce que Bobby va être écartelé, va évoluer, va passer de l’ombre à la lumière, ou plutôt d’un univers obscur où régnait la lumière à un univers normalement plus lumineux dominé par des couleurs sombres. Il va passer d’un univers où la nuit lui appartenait à un autre où il aura tout à prouver. Une nuit où la tension est constante, du début et la fin, une nuit où nous sommes entraînés, immergés dans cette noirceur à la fois terrifiante et sublime, oubliant à notre tour que la lumière reviendra un jour, encerclés par cette nuit insoluble et palpitante, guidés par le regard lunatique (fier puis désarçonné, puis déterminé puis dévasté de Joaquin Phoenix, magistral écorché vif, dont le jeu est d’ailleurs un élément essentiel de l’atmosphère claustrophobique du film). James Gray a signé là un film d’une intensité dramatique rare qui culmine lors d’une course poursuite d’anthologie, sous une pluie anxiogène qui tombe impitoyablement, menace divine et symbolique d’un film qui raconte aussi l’histoire d’une faute et d’une rédemption et donc non dénué de références bibliques. La scène du laboratoire (que je vous laisse découvrir) où notre souffle est suspendu à la respiration haletante et au regard de Bob est aussi d’une intensité dramatique remarquable.

    « La nuit nous appartient », davantage qu’un film manichéen est donc un film poignant constitué de parallèles et de contrastes (entre les deux familles, entre l’austérité de la police et l’opulence des Russes,-le personnage d’Amada aussi écartelé est d’ailleurs une sorte d’être hybride, entre les deux univers, dont les formes voluptueuses rappellent l’un, dont la mélancolie rappelle l’autre- entre la scène du début et celle de la fin dont le contraste témoigne de la quête identitaire et de l’évolution, pour ne pas dire du changement radical mais intelligemment argumenté tout au long du film, de Bob) savamment dosés, même si la nuit brouille les repères, donne des reflets changeants aux attitudes et aux visages. Un film noir sur lequel plane la fatalité : fatalité du destin, femme fatale, ambiance pluvieuse. James Gray dissèque aussi les liens familiaux, plus forts que tout : la mort, la morale, le destin, la loi.

    Un film lyrique et parfois poétique, aussi : lorsque Eva Mendes déambule nonchalamment dans les brumes de fumées de cigarette dans un ralenti langoureux, on se dit que Wong Kar-Wai n’est pas si loin… même si ici les nuits ne sont pas couleur myrtille mais bleutées et grisâtres. La brume d’une des scènes finales rappellera d’ailleurs cette brume artificielle comme un écho à la fois ironique et tragique du destin.

    C’est épuisés que nous ressortons de cette tragédie, heureux de retrouver la lumière du jour, sublimée par cette plongée nocturne. « La nuit nous appartient » ne fait pas partie de ces films que vous oubliez sitôt le générique de fin passé (comme celui que je viens de voir dont je tairai le nom) mais au contraire de ces films qui vous hantent, dont les lumières crépusculaires ne parviennent pas à être effacées par les lumières éblouissantes et incontestables, de la Croisette ou d’ailleurs…

    CRITIQUE – TWO LOVERS de James Gray

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    Direction New York, ville fétiche du cinéma de James Gray, où, après avoir tenté de se suicider, un homme hésite entre suivre son destin et épouser la femme que ses parents ont choisie pour lui, ou se rebeller et écouter ses sentiments pour sa nouvelle voisine, belle, fragile et inconstante, dont il est tombé éperdument amoureux, un amour dévastateur et irrépressible.

    L’intérêt de « Two lovers » provient avant tout des personnages, de leurs contradictions, de leurs faiblesses. Si James Gray est avant tout associé au polar, il règne ici une atmosphère de film noir et une tension palpable liée au désir qui s’empare du personnage principal magistralement interprété par Joaquin Phoenix avec son regard mélancolique, fiévreux, enfiévré de passion, ses gestes maladroits, son corps même qui semble crouler sous le poids de son existence, sa gaucherie adolescente.

    Ce dernier interprète le personnage attachant et vulnérable de Leonard Kraditor (à travers le regard duquel nous suivons l’histoire : il ne quitte jamais l’écran), un homme, atteint d’un trouble bipolaire (mais ce n’est pas là le sujet du film, juste là pour témoigner de sa fragilité) qui, après une traumatisante déception sentimentale, revient vivre dans sa famille et fait la rencontre de deux femmes : Michelle, sa nouvelle voisine incarnée par Gwyneth Paltrow, et Sandra, la fille d’amis de ses parents campée par l’actrice Vinessa Shaw. Entre ces deux femmes, le cœur de Leonard va balancer…

    Il éprouve ainsi un amour obsessionnel, irrationnel, passionnel pour Michelle. Ces « Two lovers » comme le titre nous l’annonce et le revendique d’emblée ausculte la complexité du sentiment amoureux, la difficulté d’aimer et de l’être en retour, mais il ausculte aussi les fragilités de trois êtres qui s’accrochent les uns aux autres, comme des enfants égarés dans un monde d’adultes qui n’acceptent pas les écorchés vifs. Michelle et Leonard ont, parfois, « l’impression d’être morts », de vivre sans se sentir exister, de ne pas trouver « la mélodie du bonheur ».

    Par des gestes, des regards, des paroles esquissés ou éludés, James Gray dépeint de manière subtile la maladresse touchante d’un amour vain mais surtout la cruauté cinglante de l’amour sans retour qui emprisonne ( plan de Michelle derrière des barreaux de son appartement, les appartements de Leonard et Michelle donnant sur la même cour rappelant ainsi « Fenêtre sur cour » d’Hitchcock de même que la blondeur toute hitchcockienne de Michelle), et qui exalte et détruit.

    James Gray a délibérément choisi une réalisation élégamment discrète et maîtrisée et un scénario pudique et la magnifique photographie crépusculaire de Joaquin Baca-Asay qui procurent des accents lyriques à cette histoire qui aurait pu être banale, mais dont il met ainsi en valeur les personnages d’une complexité, d’une richesse, d’une humanité bouleversantes. James Gray n’a pas non plus délaissé son sujet fétiche, à savoir la famille qui symbolise la force et la fragilité de chacun des personnages (Leonard cherche à s’émanciper, Michelle est victime de la folie de son père etc).

    Un film d’une tendre cruauté, d’une amère beauté, et parfois même d’une drôlerie désenchantée, un thriller intime d’une vertigineuse sensibilité à l’image des sentiments qui s’emparent des personnages principaux, et de l’émotion qui s’empare du spectateur. Irrépressiblement. Ajoutez à cela la bo entre jazz et opéra ( même influence du jazz et même extrait de l’opéra de Donizetti, L’elisir d’amore, « Una furtiva lagrima » que dans le chef d’œuvre de Woody Allen « Match point » dans lequel on retrouve la même élégance dans la mise en scène et la même « opposition » entre la femme brune et la femme blonde sans oublier également la référence commune à Dostoïevski… : les ressemblances entre les deux films sont trop nombreuses pour être le fruit du hasard ), et James Gray parvient à faire d’une histoire a priori simple un très grand film d’une mélancolie d’une beauté déchirante qui nous étreint longtemps encore après le générique de fin. Trois ans après sa sortie : d’ores et déjà un classique du cinéma romantique.

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  • Sélection officielle (compétition) : « Two lovers » de James Gray et « Le silence de Lorna » de Jean-Pierre et Luc Dardenne : vertiges de l’amour

    Alors que dehors la pluie tombe de nouveau et que les festivaliers se font (plus) rares sur la Croisette et en attendant de me rendre à la soirée organisée par l’Union Guilde des Scénaristes et la Commission du film Ile-de-France à l’occasion des journées du scénario à Cannes, j’ai quelques dizaines de minutes devant moi pour évoquer les deux derniers films en compétition officielle vus aujourd’hui et hier.

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    A priori rien de commun entre ce film américain de James Gray (qui avait déjà présenté « The Yards » il y a 8 ans, et « La nuit nous appartient », son polar familial, sombrement poétique, en compétition officielle l’an passé et revenu bredouille, voir ma critique ici : http://www.inthemoodforcannes.com/archive/2008/02/06/rattrapage-la-nuit-nous-appartient-de-james-gray-competition.html#comments )    et ce film belge des frères Dardenne, déjà deux fois lauréats de la palme d’or (« Rosetta » en 1999 et « L’enfant » en 2005). Jugez plutôt à la lecture de ces deux pitchs :
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    L'équipe de "Two lovers" de James Gray en haut des marches.

    « Two lovers » : New York. Un homme hésite entre suivre son destin et épouser la femme que ses parents ont choisie pour lui, ou se rebeller et écouter ses sentiments pour sa nouvelle voisine, belle et volage, dont il est tombé éperdument amoureux.

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    L'équipe du "Silence de Lorna" sur les marches

    « Le silence de Lorna » : Pour devenir propriétaire d’un snack avec son amoureux Sokol, Lorna, jeune femme albanaise vivant en Belgique, est devenue la complice de la machination de Fabio, un homme du milieu. Fabio lui a organisé un faux mariage avec Claudy pour qu’elle obtienne la nationalité belge et épouse ensuite un mafieux russe prêt à payer beaucoup pour devenir belge. Pour que ce deuxième mariage se fasse rapidement, Fabio a prévu de tuer Claudy. Lorna gardera-t-elle le silence?

    Rien de commun et pourtant, et pourtant dans les deux cas, même si le contexte social et politique est différent (voir inexistant dans le premier cas) il s’agit de raison et de sentiments, d’être forts et fragiles. A priori rien de commun entre Lièges et New York et pourtant dans les deux cas on éprouve le même poids du silence. Et surtout dans les deux cas un amour dévastateur et irrépressible même si le sujet est explicite dans « Two lovers » et beaucoup plus implicite dans « Le silence de Lorna » où il s’agit surtout de montrer  les dangers que doivent affronter  les immigrés pour simplement vivre, trouver la voie du bonheur. Dans les deux cas, les protagonistes tombent amoureux de celui ou celle qu’ils ne devraient pas aimer. La comparaison s’arrête là.

     Le style réaliste  du « Silence de Lorna » (même si la caméra à l’épaule a été un peu abandonnée pour se fixer sur Lorna et la suivre, posément, à l’image de son sang froid et son inébranlable détermination) reste à l’opposé du style très classique de James Gray. L’intérêt du film de ce dernier provient davantage des personnages, de leurs contradictions, de leurs faiblesses, que du scénario très prévisible ou de la réalisation qui l’épouse…et pourtant, même si James Gray est plus doué pour le polar, il règne ici une tension palpable liée au désir qui s’empare du personnage principal magistralement interprété par Joaquin Phoenix avec son regard mélancolique, fiévreux, enfiévré de passion, ses gestes maladroits, son corps même qui semble  crouler sous le poids de son existence, sa gaucherie adolescente : un sérieux prétendant au prix d’interprétation !

    Ce dernier interprète le personnage attachant et vulnérable de Leonard Kraditor (à travers le regard duquel nous suivons l’histoire : il ne quitte jamais l’écran), un homme, atteint d'un trouble bipolaire (mais ce n'est pas là le sujet du film, juste là pour témoigner de sa fragilité) qui, après une traumatisante déception sentimentale, revient vivre dans sa famille et fait la rencontre de deux femmes : Michelle, sa nouvelle voisine incarnée par Gwyneth Paltrow, et Sandra, la fille d’amis de ses parents campée par l’actrice Vinessa Shaw. Entre ces deux femmes, le cœur de Leonard va balancer…

    Un amour obsessionnel, irrationnel, passionnel pour Michelle. Ces « Two lovers » comme le titre nous l’annonce et le revendique d’emblée ausculte  la complexité du sentiment amoureux, la difficulté d’aimer et de l’être en retour, mais il ausculte aussi les fragilités de trois êtres qui s’accrochent les uns aux autres, comme des enfants égarés dans un monde d’adultes qui n’acceptent pas les écorchés vifs. Michelle et Leonard ont, parfois, « l’impression d’être morts », de vivre sans se sentir exister, de ne pas trouver « la mélodie du bonheur ».

    Par des gestes, des regards, des paroles esquissés ou éludés, James Gray  dépeint de manière subtile la maladresse touchante d’un amour vain mais surtout la cruauté cinglante de l’amour sans retour qui emprisonne (encore un plan derrière des barreaux, en l’occurrence de Gwyneth Paltrow, décidément le cinéma et ceux qu’il dépeint a cette année soif de liberté et d’évasion, décidément le monde n’a jamais été aussi ouvert et carcéral), exalte et détruit.

    James Gray a délibérément choisi une réalisation élégamment discrète et maîtrisée et un scénario pudiques (ou lisses, c’est selon). Même si le dénouement est relativement prévisible, le regard de Joaquin Phoenix est suffisamment intense pour ne pas nous lâcher jusqu’à la dernière seconde, nous y émouvoir même, malgré tout.  James Gray n’a pas non plus délaissé son sujet fétiche, à savoir la famille qui symbolise la force et la fragilité de chacun des personnages (Leonard cherche à s’émanciper, Michelle est victime de la folie de son père).

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    Ci-dessus, image de "Two lovers" de James Gray

    Un film d’une tendre cruauté.

    Quant aux frères Dardenne, encore une fois ils s’imposent comme des directeurs d’acteurs exceptionnels (un prix d’interprétation de nouveau à la clef, cette fois pour Arta Dobroshi ?  Ce n’est pas si improbable…) et, forts de leur expérience du documentaire, recréent une réalité si forte et crédible avec des êtres blessés par la vie dont les souffrances se heurtent, se rencontrent, s’aimantent.

    Réaliste, humaniste, social sans être revendicatif mais au contraire nous plongeant dans l’intimité des personnages, ce « Silence de Lorna » est plus parlant que n’importe quel discours politique. Même si ce 6ème long-métrage des deux frères n’a pas la force de « Rosetta » et « L’enfant », il dépeint magnifiquement une douloureuse histoire d’amour entre des être au bord du gouffre, sur le fil, une histoire d’amour qui ne dit pas et ne peut dire son nom et qui n’en est que plus poignante. (cette définition pourrait d’ailleurs aussi s’appliquer aux personnages du film de James Gray).

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    Image du "Silence de Lorna" des frères Dardenne

     Les Dardenne restent les meilleurs cinéastes de l’instant, à la fois de l’intime et de l’universel dans lequel tout peut basculer en une précieuse et douloureuse seconde : un thriller intime. Ce qualificatif pourrait d’ailleurs aussi s’appliquer à « Two lovers ». Deux films d’une vertigineuse sensibilité à l’image des sentiments qui s’emparent des personnages principaux, et de l’émotion qui s’empare du spectateur (de moi en tout cas). Irrépressiblement. Magnifiquement.

    Sandra.M

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  • Editorial du Festival de Cannes 2008: J-6

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    104832473.jpg J’ai déjà souvent évoqué ici ma vision du Festival de Cannes (là notamment : cliquez ici pour lire l’éditorial 2007 et les origines du blog "In the mood for Cannes")  , pourtant après 8 ans à le parcourir et en scruter les étrangetés, ce Festival reste pour moi une inépuisable source de curiosité, de curiosités surtout.

    Les critiques de films seront sans doute moins exhaustives que celles que j’écris habituellement sur mon autre blog  « In the mood for cinema » car j’ai d’abord envie de profiter de la réalité avant d’en donner une version virtuelle et parce qu’à Cannes le temps est une denrée rare. Je vous livrerai néanmoins bien entendu mes impressions en direct du festival, quotidiennes dans la mesure du possible,  au gré de mes émotions, vous parlerai de mes coups de cœur et découvertes cinématographiques, j’essaierai de vous plonger dans la frénésie mélancolique cannoise, dans son tourbillon éblouissant et terrifiant, je tenterai de vous dépeindre cet animal sauvage palmé, mystérieux et indomptable qui en a perdu certains et tant à force de les éblouir, les fasciner, les aliéner. Je ne suis pas dupe de ce jeu dangereux-là, là où plus qu’ailleurs, les personnalités peuvent prendre des reflets changeants, finalement éclairants, révélant le portrait de Dorian Gray en chacun.

    1620788322.jpgNe vous méprenez pas: malgré la noirceur, ou plutôt la lucidité du tableau, j’y vais avec un enthousiasme inégalé, une curiosité insatiable pour le cinéma et la vie qui s’y entremêlent, s’y défient et entrechoquent, étrangement et parfois même sublimement, l’espace d’un inestimable instant,  lequel instant sublime, à lui seul, éclipse alors le souvenir amer de la foire aux vanités que Cannes est aussi. C’est en effet parfois le culte du dérisoire qui y devient essentiel mais qui, à y regarder de plus près, le révèle aussi, si bien ou si mal, cet essentiel.

    Et puis évidemment on aurait presque tendance à l’oublier: il y a aussi le cinéma presque dissimulé derrière tous ceux qui font le leur, le cinéma si multiple, si surprenant, si audacieux, si magique encore et plus que jamais, à Cannes, plus qu’ailleurs. D’ailleurs, à Cannes, tout est plus qu’ailleurs. Les émotions. Le soleil. Les solitudes qui se grisent et s’égarent et se noient dans la multitude. Les soirées sans fin, sans faim à force d’être enchaînées pour certains.

    Je sais pourtant déjà que quand le train va s’élancer vers le Sud, après cette fébrilité qui régnera à la gare de Lyon déjà lui procurant des airs de festival, quand les Baux de Provence apparaîtront au loin, si et trop vite, un des derniers sursauts de normalité 1666286586.JPGet de beauté naturelle avant la folie et les artifices cannois, j’éprouverai cette même envie irrépressible de m’y retrouver que la première fois où je regardais ce festival comme une mythologie inaccessible, réminiscence jubilatoire de mes souvenirs d’enfance, de l’image d’Epinal d’un festival idéalisé à travers le petit écran qui me renvoyait le cliché insaisissable et majestueux d’un cénacle impénétrable (aussi loin que je me souvienne j’ai toujours regardé les cérémonies d’ouverture et de clôture et j'ai toujours regardé avec intérêt la sélection cannoise), idéalisé comme un diamant pur et étincelant (j’ignorais alors que le diamant, en plus de briller, fasciner, peut dangereusement éblouir et surtout couper, blesser) j’éprouverai cette même tentation inassouvissable de suspendre le vol du temps, de retarder l’arrivée à Cannes, pour prolonger les rêveries insensées (forcément moins que la réalité) et la délectable construction imaginaire de ce que pourra être ce festival ...

    58161039.jpg Et puis, à peine arrivée, savoureusement éblouie et réjouie par les premiers rayons du soleil tant attendus qui caresseront mon regard assoiffé de lumière et de celles du cinéma,  j’irai me perdre dans la foule si pressée et atypique du festival qui mieux que nulle autre sait être passionnément exaltée et aussi impitoyable avec la même incoercible exaltation, chercher mon badge, précieux sésame tant honni pour leur être inaccessible pour certains (heureux ignorants de l'insondable hiérarchie festivalière), fièrement exhibé par ses 28600 possesseurs (25000 professionnels, 3600 journalistes) et puis ce seront les retrouvailles avec ceux que j’ai le plaisir d’y croiser chaque année, et puis l’ouragan cannois va m’emporter dans son ivresse cinéphilique et festive, probablement me faire oublier que cela ne durera pas toujours, que la vie ne peut pas toujours ressembler à un tel cinéma , que cette extravagance n’est qu’à Cannes une quotidienneté, que la vraie vie peut aussi être ailleurs, que Cannes n’est pas le centre du monde et le monde à lui tout seul, juste le monde cinématographique, et encore 12 jours seulement, avec ses excès, ses instants magiques, ses instants réellement irréels, où un peu comme Anconina dans « Itinéraire d’un enfant gâté » on ne cesse d’être surpris, de s'acharner à ne pas le paraître,  même si d'autres sont vraiment blasés, tristement: valse troublante des apparences que Cannes exhale et exhibe, adore et abhorre. Cannes décidément si versatile et éclectique. Itinéraire d’enfants gâtés donc. Oui, à Cannes, nous sommes tous des enfants gâtés, capricieux qui oublions le lendemain, qui oublions que tout doit finir un jour, que la vie ne peut être une fête et un spectacle et une histoire et une nuit sans fin. Même les films de Fellini ou Kusturica seraient (presque) des symboles de sobriété à côté de l’irréalité cannoise : inénarrable aventure, cinématographique. Emotionnelle, surtout.

    555168588.jpg J’ai bien entendu d’ores et déjà envie de voir « Changeling »-L’échange - de Clint Eastwood, « Vicky Cristina Barcelona » de Woody Allen (que serait un festival sans un film de Woody Allen dont le dernier film "Le rêve de Cassandre" était d’ailleurs encore exceptionnel !), « Ashes of time redux » de Wong Kar Wai dont chaque projection cannoise est un évènement, « Un conte de noël » de Arnaud Desplechin, « Entre les murs » de Laurent Cantet, « 24 City » de Jia Zhangke, « Che » de Steven Soderbergh, « Two lovers » de James Gray (qui peut-être cette année recevra la récompense qu’il aurait déjà méritée l’an passé pour « La nuit nous appartient »), la leçon de cinéma de Tarantino, « Tokyo » à Un Certain Regard, « Les Bureaux de Dieu » de Claire Simon à la Quinzaine des Réalisateurs (avec le souvenir incandescent de son magnifique « Ca brûle » déjà présenté à la Quinzaine il y a deux ans), les courts-métrages de la Cinéfondation..., d’être surprise, émue, bouleversée, interpellée ou même heurtée par les films de cinéastes dont je n’attends ni ne connais rien, de voir la mer aussi parce qu’à Cannes on aurait tendance à oublier qu’elle est là, émergeant péniblement entre les affiches de films et les yachts qui l’obscurcissent à perte de vue.

    846579135.jpgJ’essaierai aussi évidemment de voir un maximum de films de la compétition officielle pour vous en dresser un tableau d’ensemble mais n’oubliez pas que Cannes est lui-même un excellent film qui fait son propre cinéma où rien ne se passe jamais comme prévu. Par ailleurs, il n’est pas exclu que le wifi très sollicité ne fonctionne pas dès le premier soir mais, soyez-en certains, même avec un peu de retard, je n’oublierai pas de vous immerger « in the mood for Cannes ».

    Alors... prêts à plongez « in the mood for Cannes » et vivre ce 61ème Festival de Cannes comme si vous y étiez ? Alors rendez-vous ici le 14 Mai pour suivre:

                        LE 61ème  FESTIVAL DE CANNES  EN DIRECT SUR IN THE MOOD FOR CANNES DU 14 AU 25 MAI 2008

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    1704328006.JPGToutes les notes concernant le Festival de Cannes 2008 seront publiées sur   « In the mood for Cannes », et vous pouvez par ailleurs d’ores et déjà y trouver la programmation intégrale du festival, de nombreuses informations pratiques, de nombreux articles…

    Vous pouvez aussi retrouver mes récits des Festivals de Cannes 2005, 2006, 2007 (une partie du blog « In the mood for Cannes » est consacrée aux 60 ans du Festival avec de nombreuses critiques, des vidéos, des photos…) en cliquant sur l’année qui vous intéresse.

    Pour le reste de l'actualité cinématographique, rendez-vous sur mon blog principal "In the mood for cinema" ou sur "In the mood for Deauville" pour ceux qui s'intéresseraient aux Festivals du Cinéma Américain et du Cinéma Asiatique de Deauville.

    Festivalièrement vôtre.  A très bientôt en direct de la Croisette, in the mood for Cannes donc!

    Sandra.M798889105.JPG

     

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  • Complément de programmation 2008

    288926133.jpg-Après "Entre les murs",  un nouveau film s'ajoute à la compétition : Two Lovers de James Gray qui y retrouve Joachim Phoenix et dans lequel joue également Gwyneth Paltrow. James Gray était déjà en compétition l'an passé avec le magnifique "La nuit nous appartient" (Lire ma critique de "La nuit nous appartient" en cliquant ici).

    Pitch de "Two lovers": New York. Un homme hésite entre suivre son destin et épouser la femme que ses parents lui ont choisi ou se rebeller et écouter ses sentiments pour sa nouvelle voisine, belle et volage, dont il est tombé éperdument amoureux.

    -Par ailleurs, Hunger de Steve McQueen fera l’Ouverture du Certain Regard, le jeudi 15 mai.

    Pitch de "Hunger" : Biopic avec Michael Fassbender, Lima Cunningham... Evocation de la vie de Bobby Sands, membre de l'IRA décédé en détention le 5 mai 1981, après 66 jours de grève de la faim.

    -Le Jury, présidé par Sean Penn, accueille deux nouveaux membres, l’actrice française Jeanne Balibar et l’auteur-réalisatrice iranienne Marjane Satrapi.

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    -Enfin, c’est Robert de Niro qui remettra la Palme d’or, décernée par le Jury, dimanche 25 mai. A cette occasion et en clôture du Festival, comme je vous l'annonçais, il y a quelques jours déjà, sera projeté What Just Happened de Barry Levinson, avec Robert de Niro, Bruce Willis, Robin Wright Penn, John Turturro et Sean Penn.

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  • Rattrapage: "La nuit nous appartient" de James Gray (compétition officielle 2007)

    Ce film, encore à l'affiche dans certaines salles, en compétition à Cannes en 2007, m'avait particulièrement marquée lors de sa projection officielle dans le Grand Théâtre Lumière. Je ne vous en avais alors écrit que quelques mots.  En voici la critique détaillée:

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    La nuit nous appartient. Voilà un titre très à-propos pour un film projeté en compétition officielle au  Festival de Cannes.  Cannes : là où les nuits semblent ne jamais vouloir finir, là où les nuits sont aussi belles et plus tonitruantes que les jours et là où les nuits  s’égarent, délicieusement ou douloureusement, dans une profusion de bruits assourdissants, de lumières éblouissantes, de rumeurs incessantes. Parmi ces rumeurs certaines devaient bien  concerner ce film de James Gray et lui attribuer virtuellement plusieurs récompenses qu’il aurait amplement méritées (scénario, interprétation, mise en scène...) au même titre que « My blueberry nights », mon grand favori, ou plutôt un autre de mes grands favoris du festival, l’un et l’autre sont pourtant repartis sans obtenir la moindre récompense…

    Ce titre poétique (« We own the night » en vo, ça sonne encore mieux en Anglais non ?)  a pourtant une source plus prosaïque qu’il ne le laisserait entendre puisque c’est la devise de l’unité criminelle de la police de New York chargée des crimes sur la voie publique. Ce n’est pas un hasard puisque, dans ce troisième film de James Gray ( « The Yards » son précèdent film avait déjà été projeté en compétition au Festival de Cannes 2000)  qui se déroule à New York, à la fin des années 80,  la police en est un personnage à part entière.  C’est le lien qui désunit puis réunit trois membres d’une même famille :  Bobby Green (Joaquin Phoenix), patron d’une boîte de nuit appartenant à des Russes, à qui la nuit appartient aussi, surtout,  et qui représentent pour lui une deuxième et vraie famille qui ignore tout de la première, celle du sang, celle de la police puisque son père Burt (Robert Duvall) et son frère Joseph (Mark Walhberg) en sont tous deux des membres respectés et même exemplaires. Seule sa petite amie Amada (Eva Mendes), une sud américaine d’une force fragile,  vulgaire et touchante, est au courant. Un trafic de drogue  oriente la police vers la boîte détenue par Bob, lequel va devoir faire un choix cornélien : sa famille d’adoption ou sa famille de sang, trahir la première  en les dénonçant et espionnant ou trahir la seconde en se taisant ou en consentant tacitement à leurs trafics. Mais lorsque son frère Joseph échappe de justesse à une tentative d’assassinat orchestrée par les Russes, le choix s’impose comme une évidence, une nécessité, la voie de la rédemption pour Bobby alors rongé par la culpabilité.

    Le film commence vraiment dans la boîte de nuit de Bobby, là où il est filmé comme un dieu, dominant et regardant l’assemblée en plongée, colorée, bruyante, gesticulante, là où il est un dieu, un dieu de la nuit. Un peu plus tard, il se rend à la remise de médaille à son père, au milieu de la police de New York, là où ce dernier et son frère sont des dieux à leur tour, là où il est méprisé,  considéré comme la honte de la famille, là où son frère en est la fierté, laquelle fierté se reflète dans le regard de leur père alors que Bobby n’y lit que du mépris à son égard. C’est avec cette même fierté que le « parrain » (les similitudes sont nombreuses avec le film éponyme ou en tout cas entre les deux mafias et notamment dans le rapport à la famille) de la mafia russe, son père d’adoption, regarde et s’adresse à Bobby. Le  décor est planté : celui d’un New York dichotomique, mais plongé dans la même nuit opaque et pluvieuse, qu’elle soit grisâtre ou colorée. Les bases de la tragédie grecque et shakespearienne, rien que ça, sont aussi plantées et même assumées voire revendiquées par le cinéaste, de même que son aspect mélodramatique (le seul bémol serait d’ailleurs les mots que les deux frères s’adressent lors de la dernière scène, là où des regards auraient pu suffire...)

    Les bons et les méchants.  L’ordre et le désordre. La loi et l’illégalité. C’est très manichéen  me direz-vous. Oui et non. Oui, parce que ce manichéisme participe de la structure du film et du plaisir du spectateur. Non, parce que Bobby va être écartelé,  va évoluer,  va passer de l’ombre à la lumière, ou plutôt d’un univers obscur où régnait la lumière à un univers normalement plus lumineux dominé par des couleurs sombres. Il va passer d’un univers où la nuit lui appartenait à un autre où il aura tout à prouver. Une nuit où la tension est constante, du début et la fin, une nuit où nous sommes entraînés, immergés dans cette noirceur à la fois terrifiante et sublime, oubliant à notre tour que la lumière reviendra un jour, encerclés par cette nuit insoluble et palpitante, guidés par le regard lunatique (fier puis désarçonné, puis déterminé puis dévasté de Joaquin Phoenix, magistral écorché vif, dont le jeu est d’ailleurs un élément essentiel de l’atmosphère claustrophobique du film). James Gray a signé là un film d’une intensité dramatique rare qui culmine lors d’une course poursuite d’anthologie, sous une pluie anxiogène  qui tombe impitoyablement, menace divine et symbolique d’un film qui raconte aussi l’histoire d’une faute et d’une rédemption et donc non dénué de références bibliques. La scène du laboratoire (que je vous laisse découvrir) où notre souffle est suspendu à la respiration haletante et au regard de Bob est aussi d’une intensité dramatique remarquable.

     « La nuit nous appartient », davantage qu’un film manichéen est donc un film poignant constitué de parallèles et de contrastes (entre les deux familles, entre l’austérité de la police et l’opulence des Russes,-le personnage d’Amada aussi écartelé est d’ailleurs une sorte d’être hybride, entre les deux univers, dont les formes voluptueuses rappellent l’un, dont la mélancolie rappelle l’autre- entre la scène du début et celle de la fin dont le contraste témoigne de la quête identitaire et de l’évolution, pour ne pas dire du changement radical mais intelligemment argumenté tout au long du film, de Bob) savamment dosés, même si la nuit brouille les repères, donne des reflets changeants aux attitudes et aux visages.  Un film noir sur lequel plane la fatalité :  fatalité du destin, femme fatale, ambiance pluvieuse. James Gray dissèque aussi les liens familiaux, plus forts que tout : la mort, la morale, le destin, la loi.

     Un film lyrique et parfois poétique, aussi : lorsque Eva Mendes déambule nonchalamment dans les brumes de fumées de cigarette dans un ralenti langoureux, on se dit que Wong Kar-Wai n’est pas si loin... même si ici les nuits ne sont pas couleur myrtille mais bleutées et grisâtres. La brume d’une des scènes finales rappellera d’ailleurs cette brume artificielle comme un écho à la fois ironique et tragique du destin.

     C’est épuisés que nous ressortons de cette tragédie, heureux de retrouver la lumière du jour, sublimée par cette plongée nocturne. « La nuit nous appartient » ne fait pas  partie de ces films que vous oubliez sitôt le générique de fin passé (comme celui que je viens de voir dont je tairai le nom) mais au contraire de ces films qui vous hantent, dont les lumières crépusculaires ne parviennent pas à être effacées par les lumières éblouissantes et incontestables, de la Croisette ou d’ailleurs…

    Pour une critique détaillée et approfondie de ce film, je vous recommande  également la lecture du blog « Boulevard du cinéma ».

    Sandra.M

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