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PALMES D'OR

  • Palme d'or d'honneur d'Alain Delon, master class et projections de "Monsieur Klein" et "Le professeur" - Récit

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    « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes » écrit Henri Calet dans Peau d’ours, son ultime roman inachevé, un roman qui touche tout particulièrement Alain Delon. Peut-être au fond est-ce là que réside la clef du mystère, la clef des émotions de cette journée aussi ?

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    De ce Festival de Cannes 2019, sans aucun doute la master class et la remise de la Palme d’or d’honneur à Alain Delon suivie de la projection de Monsieur Klein en resteront-elles pour moi des souvenirs indélébiles. De même que la projection du film Les plus belles années d’une vie de Claude Lelouch. Bien sûr, cette édition a d'ores et déjà connu de nombreux moments forts sur lesquels je reviendrai mais cette journée convoquait les émotions de l’enfance. Et qu’est-ce qui pourrait bien rivaliser avec les émotions de l’enfance ? Ces moments inestimables à regarder et commenter les films de Delon avec mon père. L’acteur de nos films préférés. Ceux que nous regardions inlassablement à chaque diffusion télévisée. Ceux qu’il m’enregistrait précautionneusement sur les cassettes VHS. Ceux à l’origine de ma passion dévorante pour le cinéma. Les Gabin aussi, le « patron » comme l’appelle Delon. Alors, tout naturellement, dans mon premier roman qui est un hommage au cinéma mais aussi à mon père, mon héros, c’est autour du Cercle rouge que l’intrigue tourne (qui se déroule aussi dans la suite Mélodie de l'hôtel Majestic à Cannes, ainsi nommée en référence à...Mélodie en sous-sol, film avec Alain Delon, suite dans laquelle a été prise la photo ci-dessous) et autour de cette fameuse citation : «Quand des hommes, même s'ils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge.»

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    Le 19 Mai 2019, j’avais donc rendez-vous avec les émotions de mon enfance, avec mes premiers élans passionnés pour le cinéma, avec le héros de Visconti, Clément, Deray, Verneuil, Losey, Giovanni, Melville, avec Tancrède, Roger Sartet, Robert Klein, Roch Siffredi, Gino sans oublier le glacial, élégant et solitaire Jef Costello. Comme un clin d'œil du destin, ce jour était aussi accessoirement celui de mon anniversaire.

    Comme souvent, c’est dans la salle Buñuel qu’avait lieu la master class. Dès 8H30 pour ce rendez-vous de 11H, il y avait déjà quelques cinéphiles qui ne voulaient pas manquer ce grand moment de cinéma et qui, peut-être, eux aussi, avaient rendez-vous avec leur enfance.

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    En attendant l’arrivée d’Alain Delon, je pensais à la projection de Plein soleil en copie restaurée en 2013 à l’occasion de laquelle Alain Delon était venu pour la dernière fois à Cannes. Alain Delon dit régulièrement de René Clément que c’est pour lui le plus grand réalisateur mais surtout le plus grand directeur d’acteurs au monde. Sa présence à l’occasion de la projection de Plein soleil à Cannes Classics était donc une évidence. L’acteur avait par ailleurs alors déjà tenu à ce qu’il ne s’agisse pas d’un hommage à Alain Delon mais d’un hommage à René Clément. Rappelons que Delon devait d’ailleurs au départ interpréter le rôle que Maurice Ronet jouera finalement et, malgré son jeune âge (24 ans alors), il avait réussi à convaincre Clément (et d’abord sa femme) de le faire changer de rôle.

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    Photo ci-dessus prise lors de la présentation de Plein soleil par Alain Delon lors de sa projection en copie restaurée dans le cadre du Festival de Cannes 2013.

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    En 2010, c’est une version restaurée du Guépard qu’il était venu présenter. Quelle étrange sensation ce fut alors de voir enfin sur grand écran ce film qui m’avait tant marquée dans mon enfance et vu tant de fois auparavant à la télévision, tout en observant ses acteurs au premier plan, juste devant moi, en chair et en os. Aussi fascinant et somptueux soit Le Guépard (et ce fameux soir il m'avait à nouveau et plus que jamais éblouie) mon regard ne pouvait s'empêcher de dévier vers Delon et Cardinale. Instant irréel où l'image de la réalité se superposait à celle de l'écran. Je ne pouvais m'empêcher d'essayer d'imaginer leurs pensées. Claudia Cardinale qui semblait littéralement transportée (mais avec gaieté) dans le film, tapant des mains, se tournant vers Alain Delon, lorsque des scènes, sans doute, lui rappelaient des souvenirs particuliers, riant aussi souvent, son rire se superposant même sur la célèbre cavalcade de celui d'Angelica dans la scène du dîner. Et Alain Delon, qui regardait l'écran avec tant de solennité, de nostalgie, de tristesse peut-être comme ailleurs, dans le passé, comme s'il voyait une ombre du passé ressurgie en pleine lumière, pensant, probablement, comme il le dit souvent, à ceux qui ont disparu : Reggiani, Lancaster, Visconti.... Delon et Cardinale plus humains sans doute que ces êtres d'une beauté irréelle sur l'écran et qu'ils ont incarnés mais aussi beaux et touchants. C'était d'autant plus troublant que la scène de la réalité semblait faire étrangement écho à celle du film qui raconte la déliquescence d'un monde, la nostalgie d'une époque. Comme si Delon était devenu le Prince Salina (incarné par Lancaster dans le film) qui regarde avec mélancolie une époque disparaître. J'avais l'impression de ressentir leurs émotions, ce qui, ajouté, à celle que me procure immanquablement ce film, a fait de cet instant un moment magique de vie et de cinéma entremêlés, bouleversant.  Je n'avais alors pas vu passer les trois heures que dure le film dont la beauté, la modernité, la richesse, la complexité mais aussi la vitalité, l'humour (c'était étonnant d'entendre ainsi la salle rire) me sont apparus plus que jamais éclatants et surtout inégalés. 47 ans après, quel film a pu rivaliser ? Quel film contient des plans séquences aussi voluptueux ? Des plans aussi somptueux ? On comprend aisément pourquoi le jury lui avait attribué la palme d'or 1963 à l'unanimité ! Et encore maintenant il me semble entendre la valse qui a sublimé Angelica et Tancrède, et d'en ressentir toute la somptuosité nostalgique. Cette phrase prononcée par Burt Lancaster dans Le Guépard pourrait ainsi peut-être être désormais prononcée par ceux qui ont joué à ses côtés : « Nous étions les Guépards, les lions, ceux qui les remplaceront seront les chacals, les hyènes, et tous, tant que nous sommes, guépards, lions, chacals ou brebis, nous continuerons à nous prendre pour le sel de la terre ».

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    Delon aura pourtant mis du temps à revenir à Cannes, après ne pas avoir été invité au 50ème anniversaire en 1997.  Il était venu pour la première fois en 1961 pour Quelle joie de vivre de René Clément, puis pour L’Eclipse de Michelangelo Antonioni en 1962 (Prix du jury), pour Le Guépard de Luchino Visconti, Palme d’or 1963 et en 1976 pour Monsieur Klein de Joseph Losey qui n’avait pas reçu l’accueil que ce chef-d’œuvre aurait mérité (ma critique en bas de cet article), le film qui fut d’ailleurs projeté après la remise de la Palme d’or d’honneur à Alain Delon ce 19 mai 2019.

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    « La joie, la fierté et le bonheur que nous avons d’avoir Alain Delon » a d’abord rappelé Thierry Frémaux avant l’entrée de celui dont il a dit ensuite que « l’expression monstre sacré » « on dirait qu’elle a été inventée pour lui ». « Il n’y a pas de grand acteur sans grand metteur en scène » a-t-il également ajouté. C’est en effet pour honorer ces grands metteurs en scène avec lesquels il a tournés que Delon a accepté l’invitation du Festival de Cannes. « Le festival veut lui montrer aujourd’hui qu’il lui est fidèle » a également précisé le Délégué général du Festival de Cannes.

     Et puis il est arrivé, le monstre sacré, éclipsant tout autour de lui, captant la lumière et l’attention comme il le fait partout, comme il le faisait déjà dans sa jeunesse, avant d’être devenu l'acteur mythique, avant même d'être connu. Parce que son aura, sa démarche étaient déjà là avant même qu’une caméra ne se pose dessus. La salle retenait son souffle, prête à assister à un grand moment de cinéma, de vie, nous ne savions plus bien. Avec son froncement de sourcils si caractéristique, il a jaugé la salle. « Ils ne sont pas nombreux, il n’y a que ça » a-t-il commenté en regardant l’assistance. Sans doute ses détracteurs auraient-ils pris pour arrogance ce qui n’était que la déception de celui venu parler de ceux qu’il aimait et dont il voulait  que leurs noms résonnent bien fort et parmi une foule nombreuse, une fois de plus. Mais de toute façon, de ses détracteurs, il n’y en avait heureusement pas dans cette assemblée. Dommage peut-être aussi d’ailleurs. Peut-être ce moment les aurait-il fait changer d’avis tant l’acteur s’y est montré passionnant et émouvant. Il a ensuite présenté celui qui allait animer la rencontre, Samuel Blumenfeld, par ces mots: « il a tout dit dans Le Monde, je n’ai plus rien à dire. » Samuel Blumenfeld est en effet l’auteur d’une série de formidables articles sur l’acteur publiés pendant l’été 2018.

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    Il semblait au tout début un peu contrarié d’être là, notre monstre sacré (plutôt tout simplement une manière pudique de masquer son émotion), et pourtant comme lorsque la caméra se met à tourner, lorsque son tour de parler vint, de parler de ces cinéastes et acteurs qu’il a tant aimés et admirés, il était le Alain Delon de notre enfance à nouveau, là, devant nous, captivés.

     « Parle comme tu parles, écoute comme tu écoutes. Fais tout comme tu le fais. Sois toi. Ne joue pas. Vis. Cela m’a marqué toute ma vie. Ce départ avec Yves. Je n’ai jamais joué de ma vie dans tous les films que j’ai faits. Je vis mes rôles. Je ne joue pas. La différence essentielle entre un comédien ou un acteur… Il y a des comédiens absolument fabuleux comme Belmondo qui ont pris des cours. Et des gens comme moi. Et comme Lino… » a-t-il commencé à raconter.

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    « Ce sont les femmes qui m’ont aimé, qui m’ont fait faire ce métier, qui ont voulu que je le fasse et qui se sont battues pour que je le fasse » a-t-il également précisé.

    Des extraits de films ont ponctué la rencontre. A chaque fois, il se tournait vers l’écran pour les regarder. C’était émouvant, triste aussi, de penser à sa propre tristesse face à ces images qui le surplombaient et dont ils ne pouvaient détourner le regard. Des images du temps d’avant. Des images de ceux qui ne sont plus.

    Il s’est levé souvent après ces images d’extraits. L’émotion à chaque fois était là, palpable.

    A notamment été diffusé un extrait de Plein soleil lorsque Ripley endosse le rôle de Greenleaf.  "Vous n’étiez pas qu’une belle gueule. Ce que vous avez et que personne d’autre n’a, c’est votre manière de bouger. Cet espace tout à coup devient le vôtre. Dans chacun de vos gestes, de cette scène comme dans tous vos films, il y a une part de mystère" a ainsi commenté Samuel Blumenfeld.

    En réponse, Alain Delon a à nouveau tenu à mettre en valeur le réalisateur : "ça, c'est René Clément. René Clément me disait c'est ton décor. Là aussi René aussi me disait sois toi, vis comme tu vivrais dans ton décor. Tout ce que je fais c’est Clément qui me l’a demandé. C’est pour ça que je crois que j’avais un certain don".

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    Comme le soleil qui à la fois éblouit et brûle, dans Plein soleil, Ripley et Greenleaf sont l’un et l’autre aussi fascinants que dangereux. La caméra de Clément enferme dans son cadre ses personnages comme ils le sont dans leurs faux-semblants. Acte de naissance d’un mythe, thriller palpitant, personnage délicieusement ambigu, lumière d’été trompeusement belle aux faux accents d’éternité, Plein soleil est un chef d’œuvre du genre dans lequel la forme coïncide comme rarement avec le fond, les éléments étant la métaphore parfaite du personnage principal.  

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    Et puis il y a eu l’extrait de Rocco et ses frères, un extrait avec Annie Girardot. Alain Delon a essuyé une larme. Nous étions presque gênés que la lumière se fut rallumée, d’être là, avec lui dans ses souvenirs.  « Je n’étais pas venue ici pour chialer. C’est surtout cette scène merveilleuse avec Annie qui n’est plus là. Je l’aime. Elle m’aime. Et ce sacrifice que je fais, je le fais pour mon frère. Voir Annie comme elle est là, cela m’a tuée. Elle est magnifique. Cela m’a fait vraiment mal. »

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    « Vous incarnez le personnage tragique par excellence » a commenté Samuel Blumenfeld.

     Dans ce film, Nadia (Annie Girardot) porte la trace indélébile de son passé. Son rire si triste résonne sans cesse comme un vibrant cri de désespoir. Elle est une sorte de double de Rocco, n’ayant d’autre choix que de vendre son corps, Rocco qui est sa seule raison de vivre. L’un et l’autre, martyrs, devront se sacrifier. Rocco en boxant, en martyrisant son corps. Elle en vendant son corps (et le martyrisant déjà), puis, dans une scène aussi terrible que splendide, en le laissant poignarder, les bras en croix puis enserrant son meurtrier en une ultime et fatale étreinte. Annie Girardot apporte toute sa candeur, sa lucidité, sa folie, son désespoir à cette Nadia, personnage à la fois fort et brisé qu’elle rend inoubliable par l’intensité et la subtilité de son jeu. Que ce soit à la cour de Bavière avec Ludwig, ou au palais Donnafigata avec le Prince Salina, avec Visconti, c’est toujours d’un monde qui périclite et de solitude dont il est question mais aussi de grandes familles qui se désagrègent, d’être promis à des avenirs lugubres qui, de palais dorés en logements insalubres, sont sans lumière et sans espoir. Face à Annie Girardot, Alain Delon illumine ce film sombre de sa beauté tragique et juvénile et montre ici toute la palette de son jeu, du jeune homme timide, fragile et naïf, aux attitudes et aux craintes d’enfant encore, à l’homme déterminé. Une palette d’autant plus impressionnante quand on sait que la même année (1960) sortait Plein soleil de René Clément, avec un rôle et un jeu si différents. La réalisation de Visconti reprend le meilleur du néoréalisme et le meilleur de la Nouvelle Vague avec une utilisation particulièrement judicieuse des ellipses, du hors champ, des transitions, créant ainsi des parallèles et des contrastes brillants et intenses. Il ne faudrait pas non plus oublier la musique de Nino Rota qui résonne comme une complainte à la fois douce, cruelle et mélodieuse. Rocco et ses frères : encore un chef d’œuvre de Visconti qui prend le meilleur du pessimisme et d’une paradoxale légèreté de la Nouvelle Vague, mais aussi du néoréalisme qu’il a initié et qui porte déjà les jalons de ses grandes fresques futures. Un film d’une beauté et d’une lucidité poignantes, sombres et tragiques, porté par de jeunes acteurs (Delon, Girardot, Salvatori…), un compositeur et un réalisateur déjà au sommet de leur art.  Rocco et ses frères a obtenu le lion d’argent à la Mostra de Venise 1960.

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    L’émotion était encore au rendez-vous quand Alain Delon a raconté le choix de la fin de L’Insoumis qu’il avait choisi en hommage à Sterling Hayden et à la fin  Quand la ville dort de John Huston une mort au milieu des chevaux en hommage à cette scène.

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    Il était tout aussi passionnant de l’entendre raconter son acceptation de tourner dans Le Samouraï : « Je l’ai écrit pour vous. Cela s’appelle Le Samouraï. Melville commence à me raconter l’histoire. Et je l’arrête. Cela fait 5 minutes que vous racontez l’histoire et je n’ai pas dit un mot. Cela viendra plus tard a-t-il répondu. Ce n’est pas la peine d’aller plus loin. Je fais le film ».

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    Quelle émotion à nouveau quand il a raconté  la fameuse anecdote de Melville suite à l’incendie de ses studios Jenner si chers au cinéaste, en 1967. Les décors durent être reconstruits à la hâte dans les studios de Saint-Maurice.  « Elle est vraie et elle est belle » a  précisé Alain Delon en préambule de l’anecdote.  « Vous avez vu la première scène quand je vis seul avec mon piaf. » Il a ensuite raconté comment une radio l’avait appelé pour l’informer de l’incendie des studios. « Je prends ma voiture. Je fonce aux studios de Melville. Et je vois tout ce qui brûle. Melville avec son stetson, sa femme, sa secrétaire et qui voyait brûler sa vie. Je me mets à côté de lui pour qu’il voie que je suis là et je lui tiens la main. Et il regarde brûler sa vie, ses studios, ses films, ses lettres, ses bouquins. Tout brûlait. Et à un moment. (Il m’appelait toujours mon coco.) Et on regarde sa vie brûler et il me fait "Mon coco, notre oiseau, NOTRE oiseau…". Sa vie brûlait, sa carrière brulait, et il pensait à notre piaf qui était en train de brûler et rien d’autre. Mon coco, notre oiseau… » a-t-il raconté la voix coupée par l’émotion.

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    Evidemment, ce film ne serait sans doute pas devenu un chef-d’œuvre sans la présence d’Alain Delon (que Melville retrouvera pour Le Cercle rouge, en 1970, puis dans Un flic en 1972) qui parvient à rendre attachant ce personnage de tueur à gages froid, mystérieux, silencieux, élégant dont le regard, l’espace d’un instant face à la pianiste, exprime une forme de détresse, de gratitude, de regret, de mélancolie pour ensuite redevenir sec et brutal. N’en reste pourtant que l’image d’un loup solitaire impassible d’une tristesse déchirante, un personnage quasiment irréel (Melville s’amuse d’ailleurs avec la vraisemblance comme lorsqu’il tire sans vraiment dégainer) transformant l’archétype de son personnage en mythe, celui du fameux héros melvillien.  Avec ce film noir, polar exemplaire, Melville a inventé un genre, le film melvillien avec ses personnages solitaires ici portés à leur paroxysme, un style épuré d’une beauté rigoureuse et froide et surtout il a donné à Alain Delon l’un de ses rôles les plus marquants qui lui-même n'est finalement peut-être pas si éloigné de ce samouraï charismatique, mystérieux, élégant et mélancolique au regard bleu acier, brutal et d’une tristesse presque attendrissante, et dont le seul vrai ami est un oiseau. Rôle en tout cas essentiel dans sa carrière que celui de ce Jef Costello auquel Delon lui-même fera un clin d’œil dans Le Battant. Melville, Delon, Costello, trois noms devenus indissociables au-delà de la fiction.

     A propos de Romy Schneider dans La Piscine :

    « Il y a des anecdotes pas drôles dans ma vie.  Les producteurs me disent on voudrait faire le film avec Angie Dickinson.  Ils avaient pensé à une autre actrice aussi, Monica Vitti. Et puis, j’ai bien lu l’histoire et je ne sais pas pourquoi, je voyais Romy parce que je la connaissais bien. Je la savais en déroute. Je ne sais pas pourquoi. Je ne voyais pas quelqu’un d’autre. Comme j’avais le pouvoir dans la production. Au bout d’un moment j’ai dit vous m’emmerdez ou ce sera Romy Schneider ou il n’y aura pas le film. Et puis on a fait le film et alors les producteurs ont oublié leurs conneries. Cela a été un triomphe. Moi je ne peux pas le voir, je ne peux plus le voir. Et tout le monde m’a dit. Tu as eu raison. Je ne vois pas qui aurait pu être mieux que Romy dans le film.  Et elle devient la grande actrice française prise par Sautet etc. Et elle a fait une seconde carrière qui a été énorme. »

    Dans La Piscine aucun des 4 personnages n’est délaissé. La richesse de leurs psychologies, de la direction d’acteurs font que chacune de leurs notes est indispensable à la partition. La musique discrète et subtile de Michel Legrand renforce encore cette atmosphère trouble. Chacun des 4 acteurs est parfait dans son rôle : Delon dans celui de l’amoureux jaloux, fragile, hanté par de vieux démons, d’une sensualité à fleur de peau, mal dans sa peau même, Romy Schneider dans celui de la femme sublime séductrice dévouée, forte, provocante et maternelle, Jane Birkin dont c’est le premier film français dans celui de la fausse ingénue et Maurice Ronet dans celui de l’ « ami » séduisant et détestable, transpirant de suffisance et d’arrogance et la piscine, incandescente à souhait, véritable « acteur ».  Deray retrouvera ensuite Delon à 8 reprises notamment dans Borsalino, Flic story, Trois hommes à abattre mais La piscine reste un film à part dans la carrière du réalisateur qui mettra en scène surtout un cinéma de genre. Neuf ans après Plein soleil  de René Clément, La Piscine réunit donc de nouveau Ronet et Delon, les similitudes entres les personnages de ces deux films sont d’ailleurs nombreuses et le duel fonctionne de nouveau à merveille. Un film sensuel porté par des acteurs magistraux, aussi fascinants que cette eau bleutée fatale, un film qui se termine par une des plus belles preuves d’amour que le cinéma ait inventé.

    Ensuite a été évoqué Monsieur Klein et cette fameuse scène où Klein jauge un tableau amené par une homme juif obligé de le vendre.

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    « Jouer dans ce film-là, vous étiez au sommet de votre notoriété, vous acceptez de jouer dans le film le plus risqué qui soit » a ainsi commenté Samuel Blumenfeld.  « Oui, c’est ça qui m’excite ». « Quand on vous voit, vous incarnez un marchand d’art qui achète à vil prix à des personnes juives alors que se prépare la fameuse rafle. Et votre personnage sera pris au piège de son identité, de son patronyme… ». « J’ai voulu faire ce personnage justement parce que c’était tout ce que je n’avais jamais fait, tout ce que je n’étais pas. Lonsdale au moment de la Rafle me court après. La fin n’était pas comme ça. La fin, il me rejoignait, m’arrêtait et m’enlevait de la rafle. C’est là que j’en ai parlé à Joseph et je lui ai dit, je ne veux pas ça, je veux aller jusqu’au bout. Je veux vivre comme le Robert Klein que je ne suis pas. Je veux faire la Rafle du Vel d’Hiv. Je suis emporté. Je sais où je vais. On va m’amener dans le métro, dans le train, et je veux cette fin-là. »

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    A propos du prix d’interprétation qui lui échappe alors, ce qui est d'ailleurs impossible à comprendre quand on revoit le film, et cette interprétation pour moi une des plus fortes qui soit non seulement de Delon mais aussi de l’histoire du cinéma:  « A l’époque, en face vous aviez un espagnol dont personne ne se souvient et en face Delon… C’est très difficile d’être là pendant 50 ans ou 60 ans et de demander qu’on vous aime encore » a ainsi commenté l’acteur.

    « Plusieurs décennies plus tard, vous êtes là avec Monsieur Klein en toute majesté. Comme Costello dans le Samouraï,  je ne perds jamais, jamais vraiment, vous voyez vous ne perdez jamais jamais vraiment. » « Oui et c’est grâce à eux. » a conclu Alain Delon en désignant la salle.

    Merci à Alain Delon pour cette heure trente à fleur de peau, pleine d’émotions et de sincérité, de nostalgie, de conscience et de recul aussi sur le mythe cinématographique qu'il incarne.

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    L’après-midi, dans cette même salle était projeté Le Professeur de Zurlini (cf ma critique ci-dessous).

    Après Jeanne Moreau, Woody Allen, Bernardo Bertolucci, Jane Fonda, Clint Eastwood, Jean-Paul Belmondo, Manoel de Oliveira, Agnès Varda et Jean-Pierre Léaud, le Festival de Cannes avait décidé d’attribuer le même soir une Palme d’or d’honneur à l’acteur. Ainsi avait été annoncé sa remise de sa palme d’or d’honneur avant le festival : "Il appartient tout entier au cinéma, à ses plus belles œuvres et à ses mythes : en 2019, le Festival de Cannes a décidé de décerner une Palme d’or d’Honneur à Alain Delon, afin d’honorer sa magnifique présence dans l’histoire du septième art. Après Jeanne Moreau, Woody Allen, Bernardo Bertolucci, Jane Fonda, Clint Eastwood, Jean-Paul Belmondo, Manoel de Oliveira, Agnès Varda et Jean-Pierre Léaud, le Festival de Cannes est heureux et fier que le légendaire comédien du Guépard de Luchino Visconti (Palme d’or 1963) ait accepté de recevoir les honneurs de la communauté mondiale" a ainsi annoncé le Festival de Cannes par communiqué de presse.  « Avec Pierre Lescure, nous sommes heureux qu’Alain Delon ait accepté d’être honoré par le Festival, déclare Thierry Frémaux, Délégué général. Il a pourtant longuement hésité, lui qui nous a longtemps refusé cette Palme d’or car il estimait ne devoir venir à Cannes que pour célébrer les metteurs en scène avec lesquels il a travaillé. »

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    Le soir, à nouveau, la salle était comble pour la remise de la Palme d’or d’honneur et la projection de Monsieur Klein. A l'entrée de la salle, le public s’est vu offrir  un badge avec le mot « star », rappelant celui qu’Alain Delon avait porté en montant les marches du Festival de Cannes en 2007.  Les qualificatifs me manquent tant ce moment fut poignant, d'une infinie tristesse aussi.  Les derniers souvenirs d'enfance ont laissé place à un fauve majestueux mais à terre, bouleversé (après avoir revu les images de ses films -que de grands moments de cinéma !- mais aussi, évidemment, des disparus qui peuplent ses souvenirs, n’était-ce pas une maladresse de les projeter sachant qu'il répète sans cesse ne plus pouvoir les regarder à l'écran ?). Un fauve qui annonçait se retirer de la scène. Pas seulement de la scène artistique. Son départ de cette scène, c'était un adieu déchirant aux feux de la rampe.

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     Quelques minutes plus tôt, il était arrivé sous les acclamations effrénées et émues  de la salle, des cinéphiles, beaucoup (trop ?) de politiques, et quelques rares personnalités du cinéma (Bertrand Tavernier, Pierre-William Glem, Pierre Lescure). Il était là, dans la rangée située dans le prolongement de la mienne. Tandis que Thierry Frémaux évoquait sa carrière, mon regard ne pouvait s’empêcher de dévier vers lui. Sa fille lui remettait les boutons de sa chemise. Leurs mains se caressaient et s’enlaçaient. Sans doute savait-il ce qu’il allait dire, ces mots poignants, définitifs. Peut-être espéraient-ils d’autres présences. Sans doute pensait-il à tous ses disparus.

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    Après avoir monté les marches sur la musique du Clan des Siciliens, il est monté sur scène après les mots de Thierry Frémaux : « De cette solitude vous avez la force mais vous conservez aussi une forme de tristesse. » « On sait que l’intolérance est de retour », « la race des seigneurs » ou encore citant Monsieur Klein et lui attribuant ses mots « la corruption me dégoûte la vertu me donne des frissons ». « Le Festival sera toujours du côté des artistes » a-t-il également tenu à dire ou encore reprenant les mots de François Morel employés à son sujet quelques jours plus tôt « Delon à Cannes c’est un loup indiscipliné qui sort de sa cage ». « Alain Delon a le droit de penser ce qu’il pense », avait aussi dit Thierry Frémaux quelques jours plus tôt, ajoutant qu’il est « compliqué de juger avec les lunettes d’aujourd’hui des choses qui se sont passées et dites il y a quelques années » suite à la pétition lui attribuant des propos « racistes, homophobes et misogynes », en réalité très anciens, tronqués et sortis de leur contexte.

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    Sa fille Anouchka des mains de laquelle il a reçu sa Palme d’or d’honneur lui a ensuite adressé un magnifique discours paraphrasant Borsalino « la chance ça n’existe pas » pour dire qu’au contraire il l’a eue cette chance, « la chance d’avoir une gueule, d’avoir ton talent et d’avoir tourné avec les plus grands   et le cinéma a eu la chance de t’avoir, un homme de principe, de conviction, entier, vrai, d’audace, un battant. Aujourd’hui, c’est moi qui suis fière de l’acteur et surtout fière de toi ».

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    A ses larmes que Thierry Frémaux a qualifiées « de bonheur », il a précisé qu’elles étaient « des larmes pas seulement de bonheur» ajoutant « Je n’ai jamais pleuré devant autant de personnes. » « Ce soir c’est un peu un hommage posthume, mais de mon vivant », a aussi commenté Alain Delon. « Ce dont je suis fier vraiment, c’est de ma carrière et cette palme d’or on me l’a offerte pour ma carrière, et rien d’autre. C’est pour cela que je suis heureux et content et satisfait. »

    « Maintenant je sais que ce qui est difficile, c’est de partir parce que je vais partir. Mais je ne partirai pas sans vous le dire et sans vous remercier. Parce que toute ma vie j’ai fait le mieux que je le pouvais. Cette projection m’a bouleversée, m’a montré des tas de choses mais j’ai fait un métier que j’ai choisi, dirigé par les plus grands, les meilleurs et parait-il je suis une star mais si je suis une star, et c’est pour ça que je veux vous remercier, c’est au public que je le dois et à personne d’autre. » Après la remise de sa palme d'or d'honneur, il est revenu au micro et a également terminé par ces mots, la voix étranglée par les sanglots « Avant de partir, je voudrais simplement vous dire que je pense à Mireille et à Romy ».  Alain Delon a ensuite quitté la salle pour que soit lancée la projection de Monsieur Klein (ma critique ci-dessous). Comme le plan final d’un film bouleversant. Le départ du héros.

     

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     A l’issue de la projection, Alain Delon est revenu au milieu du silence, suivi de quelques timides applaudissements. Comment ne pas être ému, emporté par ces mots d'un homme qui nous dit ainsi adieu et par le film, et quel film ? ! Comment ne pas établir de parallèle, et ne pas en être bouleversé davantage encore, entre Monsieur Klein qui se laisse emporter par la mort et Alain Delon qui nous annonçait avoir choisi la même proche destinée ? Mais oubliant cet adieu déchirant, oubliant d'applaudir, oubliant ce chef-d'œuvre du septième art qui résonne pourtant comme un avertissement sur des dangers qui nous menacent encore, comme si nous étions amnésiques et ne voulions pas nous souvenir de cette Histoire, déjà chacun parlait du dîner à venir, du film suivant ou de la fête à ne pas manquer, forcément celle où vous n'étiez pas. Une actualité et une émotion en chassent une autre. Et l'annihilent. Époque carnassière qui ne prend plus le temps et dévore tout. Même les héros de l'enfance. De mon enfance. Le mien n'est plus depuis 6 ans bientôt et sans doute lui aussi aurait-il été bouleversé comme je l'ai été par ce moment. J'aurais aimé que la salle applaudisse à tout rompre pour dire un dernier merci, pour dire ne partez pas, pour dire l'émotion du présent et de l'enfance, pour dire, jouez encore pour nous, parce que de grands rôles encore peuvent vous attendre...

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    Par une suite de hasards que Lelouch n’aurait osé inventer mais surtout d’amicales intentions, ce 19 mai, c’est Stéphane Dolivet, comédien et auteur de Alain Delon et moi, pièce de théâtre qu’il a écrite et qu’il a présentée entre 2007 et 2010 à Avignon et à Paris, et à Avignon off 2018, qui me remet ma place pour la remise de la palme d’or d’honneur. C’est avec la version inédite de son texte édité par Les Cygnes que je suis revenue de Cannes (merci à son auteur pour ce cadeau). Après ce qui précède, vous comprendrez forcément que ce texte m’ait ému. D’abord parce que ce n’est pas le regard d’un fan qui idolâtre aveuglément mais au contraire le regard d’un enfant qui devine puis voit l’homme, et l’enfant qu’il fut (et qu’il reste) derrière la star, son Zorro et son re-père. Celui à qui sa mère signe cette autorisation pour qu’il parte en Indochine, l’enfant délaissé, blessé. Cette auto-fiction entre rêve et réalité, cette réalité improbable qui fait dépasser la fiction et nous fait nous aussi nous dépasser, entrecoupée de souvenirs de films, raconte ce lien invisible entre les deux hommes, leurs rencontres cocasses parfois, émouvantes surtout, comme peut l’être un rêve d’enfance qui se matérialise. Il raconte ainsi comment il le croisa une première fois, comment il fut le premier à l’appeler Monsieur, comment en différents instants leurs routes se croisèrent.  Même à sa lecture, il me semblait entendre les voix, de Delon, ou de Gabin dans « Mélodie en sous-sol ». L’émotion affleure constamment dans ce portrait en miroir et culmine lors d’un épisode au cimetière suite à la mort de la mère de l’auteur (raconté là aussi avec pudeur et émotion) lors duquel apparaît comme une ombre protectrice, réelle ou imaginaire, le Zorro de son enfance, celui qui avait changé sa vie à l’âge de 5 ans et qui lui avait sans le savoir « fait le plus beau cadeau qu’on puisse faire à quelqu’un » : […] « l’espoir », « un rêve ».

     Et puis sans doute la raison pour laquelle ce livre m’a émue, pour laquelle cet acteur m’émeut tant aussi tient-elle dans ces lignes qui révèlent que le livre Peau d’Ours touche tant Alain Delon, un livre qui contient cette phrase qui ouvre cet article « Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes ».

    Alors, de Cannes, je suis repartie avec mon roman que je souhaitais offrir à Alain Delon et qui pourrait bientôt arriver finalement à destination mais c’est là une autre histoire. Et je suis repartie me disant que c’est là aussi un des pouvoirs magiques du cinéma, qui en recèle tant :  créer un fil(m) invisible entre les rêves et la réalité, entre les êtres, a fortiori lorsque ces êtres sont pleins de larmes.

    Je vous laisse avec les mots de Calet : « C’est sur la peau de mon cœur que l’on trouverait des rides. Je suis déjà un peu parti, absent. Faites comme si je n’étais pas là. Ma voix ne porte plus très loin. Mourir sans savoir ce qu’est la mort, ni la vie. Il faut se quitter déjà ? Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes. »

    Critique de "Monsieur Klein" de Losey :

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    A chaque projection ce film me terrasse littéralement tant ce chef d'œuvre est bouleversant, polysémique, riche, brillant, nécessaire. Sans doute la démonstration cinématographique la plus brillante de l'ignominie ordinaire et de l'absurdité d'une guerre aujourd'hui encore partiellement insondables.  A chaque projection, je le vois et l'appréhende différemment.  Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore et que j'espère convaincre d'y remédier par cet article, récapitulons d'abord brièvement l'intrigue.

    Il s'agit de Robert Klein. Le Monsieur Klein du titre éponyme. Enfin un des deux Monsieur Klein du titre éponyme. Ce Monsieur Klein-là, interprété par Alain Delon, voit dans l'Occupation avant tout une occasion de s'enrichir et de racheter à bas prix des œuvres d'art à ceux qui doivent fuir ou se cacher, comme cet homme juif (Jean Bouise) à qui il rachète une œuvre du peintre hollandais Van Ostade. Le même jour, il reçoit le journal « Informations juives » adressé à son nom, un journal normalement uniquement délivré sur abonnement. Ces abonnements étant soumis à la préfecture et M.Klein allant lui-même signaler cette erreur, de victime, il devient suspect... Il commence alors à mener l'enquête et découvre que son homonyme a visiblement délibérément usé de la confusion entre leurs identités pour disparaître...

    La première scène, d'emblée, nous glace d'effroi par son caractère ignoble et humiliant pour celle qui la subit. Une femme entièrement nue est examinée comme un animal par un médecin et son assistante afin d'établir ou récuser sa judéité.  Y succède une scène dans laquelle, avec la même indifférence, M.Klein rachète un tableau à un juif obligé de s'en séparer. M.Klein examine l'œuvre avec plus de tact que l'était cette femme humiliée dans la scène précédente, réduite à un état inférieur à celui de chose mais il n'a pas plus d'égard pour son propriétaire que le médecin en avait envers cette femme même s'il respecte son souhait de ne pas donner son adresse, tout en ignorant peut-être la véritable raison de sa dissimulation affirmant ainsi avec une effroyable et sans doute inconsciente effronterie « bien souvent je préfèrerais ne pas acheter ».

    Au plan des dents de cette femme observées comme celles d'un animal s'oppose le plan de l'amie de M.Klein, Jeanine (Juliet Berto) qui se maquille les lèvres dans une salle de bain outrageusement luxueuse. A la froideur clinique du cabinet du médecin s'oppose le luxe tapageur de l'appartement de M.Klein qui y déambule avec arrogance et désinvolture, recevant ses invités dans une robe de chambre dorée. Il collectionne. Les œuvres d'art même s'il dit que c'est avant tout son travail. Les femmes aussi apparemment. Collectionner n'est-ce pas déjà une négation de l'identité, cruelle ironie du destin alors que lui-même n'aura ensuite de cesse de prouver et retrouver la sienne ?

    Cet homonyme veut-il lui sauver sa vie ? Le provoquer ? Se venger ? M.Klein se retrouve alors plongé en pleine absurdité kafkaïenne où son identité même est incertaine. Cette identité pour laquelle les Juifs sont persécutés, ce qui, jusque-là, l'indifférait prodigieusement et même l'arrangeait plutôt, ou en tout cas arrangeait ses affaires.

     Losey n'a pas son pareil pour utiliser des cadrages qui instaurent le malaise, instillent de l'étrangeté dans des scènes a priori banales dont l'atmosphère inquiétante est renforcée par une lumière grisâtre mettent en ombre des êtres fantomatiques, le tout exacerbé par une musique savamment dissonante...  Sa caméra surplombe ces scènes comme un démiurge démoniaque : celui qui manipule M.Klein ou celui qui dicte les lois ignominieuses de cette guerre absurde. La scène du château en est un exemple, il y retrouve une femme, apparemment la maîtresse de l'autre M.Klein (Jeanne Moreau, délicieusement inquiétante, troublante et mystérieuse) qui y avait rendez-vous. Et alors que M.Klein-Delon lui demande l'adresse de l'autre M.Klein, le manipulateur, sa maîtresse lui donne sa propre adresse, renforçant la confusion et la sensation d'absurdité.  Changement de scène. Nous ne voyons pas la réaction de M.Klein. Cette brillante ellipse ne fait que renforcer la sensation de malaise.

    Le malentendu (volontairement initié ou non) sur son identité va amener Klein à faire face à cette réalité qui l'indifférait. Démonstration par l'absurde auquel il est confronté de cette situation historique elle-même absurde dont il profitait jusqu'alors. Lui dont le père lui dit qu'il est « français et catholique depuis Louis XIV », lui qui se dit « un bon français qui croit dans les institutions ». M.Klein est donc certes un homme en quête d'identité mais surtout un homme qui va être amené à voir ce qu'il se refusait d'admettre et qui l'indifférait parce qu'il n'était pas personnellement touché : « je ne discute pas la loi mais elle ne me concerne pas ». Lui qui faisait partie de ces « Français trop polis ». Lui qui croyait que « la police française ne ferait jamais ça » mais qui clame surtout : « Je n'ai rien à voir avec tout ça. » Peu lui importait ce que faisait la police française tant que cela ne le concernait pas. La conscience succède à l'indifférence. Le vide succède à l'opulence. La solitude succède à la compagnie flatteuse de ses « amis ». Il se retrouve dans une situation aux frontières du fantastique à l'image de ce que vivent alors quotidiennement les Juifs. Le calvaire absurde d'un homme pour illustrer celui de millions d'autres.

    Et il faut le jeu tout en nuances de Delon, presque méconnaissable, perdu et s'enfonçant dans le gouffre insoluble de cette quête d'identité pour nous rendre ce personnage sympathique, ce vautour qui porte malheur et qui « transpercé d'une flèche, continue à voler ». Ce vautour auquel il est comparé et qui éprouve du remords, peut-être, enfin. Une scène dans un cabaret le laisse entendre. Un homme juif y est caricaturé comme cupide au point de voler la mort et faisant dire à son interprète : « je vais faire ce qu'il devrait faire, partir avant que vous me foutiez à la porte ». La salle rit aux éclats. La compagne de M.Klein, Jeanine, est choquée par ses applaudissements. Il réalise alors, apparemment, ce que cette scène avait d'insultante, bête et méprisante et ils finiront par partir. Dans une autre scène, il forcera la femme de son avocat à jouer l'International alors que le contenu de son appartement est saisi par la police, mais il faut davantage sans doute y voir là une volonté de se réapproprier l'espace et de se venger de celle-ci qu'un véritable esprit de résistance. Enfin, alors que tous ses objets sont saisis, il insistera pour garder le tableau de Van Ostade, son dernier compagnon d'infortune et peut-être la marque de son remords qui le rattache à cet autre qu'il avait tellement méprisé, voire nié et que la négation de sa propre identité le fait enfin considérer.

    Le jeu des autres acteurs, savamment trouble, laisse  ainsi entendre que chacun complote ou pourrait être complice de cette machination, le père de M.Klein (Louis Seigner) lui-même ne paraissant pas sincère quand il dit « ne pas connaître d'autre Robert Klein », de même que son avocat (Michael Lonsdale) ou la femme de celui-ci (Francine Bergé) qui auraient des raisons de se venger, son avocat le traitant même de « minus », parfaite incarnation des Français de cette époque au rôle trouble, à l'indifférence coupable, à la lâcheté méprisable, au silence hypocrite.

    Remords ? Conviction de supériorité ? Amour de liberté ? Volonté de partager le sort de ceux dont il épouse alors jusqu'au bout l'identité ? Homme égoïste poussé par la folie de la volonté de savoir ? Toujours est-il que, en juillet 1942, il se retrouve victime de la   Rafle du Vel d'Hiv avec 15000 autres juifs parisiens. Alors que son avocat possédait le certificat pouvant le sauver, il se laisse emporter dans le wagon en route pour Auschwitz avec, derrière lui, l'homme à qui il avait racheté le tableau et, dans sa tête, résonne alors le prix qu'il avait vulgairement marchandé pour son tableau. Scène édifiante, bouleversante, tragiquement cynique. Pour moi un des dénouements les plus poignants de l'histoire du cinéma. Celui qui, en tout cas, à chaque fois, invariablement, me bouleverse.

    La démonstration est glaciale, implacable. Celle de la perte et de la quête d'identité poussées à leur paroxysme. Celle de la cruauté dont il fut le complice peut-être inconscient et dont il est désormais la victime. Celle de l'inhumanité, de son effroyable absurdité. Celle de gens ordinaire qui ont agi plus par lâcheté, indifférence que conviction.

    Losey montre ainsi froidement et brillamment une triste réalité française de cette époque, un pan de l'Histoire et de la responsabilité française qu'on a longtemps préféré ignorer et même nier. Sans doute cela explique-t-il que « Monsieur Klein » soit reparti bredouille du Festival de Cannes 1976 pour lequel le film et Delon, respectivement pour la palme d'or et le prix d'interprétation, partaient pourtant favoris. En compensation, il reçut les César du meilleur film, de la meilleure réalisation et des meilleurs décors.

    Ironie là aussi de l'histoire (après celle de l'Histoire), on a reproché à Losey de faire, à l'image de Monsieur Klein, un profit malsain de l'art en utilisant cette histoire mais je crois que le film lui-même est une réponse à cette accusation (elle aussi) absurde.

    A la fois thriller sombre, dérangeant, fascinant, passionnant, quête de conscience et d'identité d'un homme, mise en ombres et en lumières des atrocités absurdes commises par le régime de Vichy et de l'inhumanité des " français ordinaires", implacable et saisissante démonstration de ce que fut la barbarie démente et ordinaire,  « Monsieur Klein » est un chef d'œuvre aux interprétations multiples que la brillante mise en scène de Losey sublime et dont elle fait résonner le sens et la révoltante et à jamais inconcevable tragédie ... des décennies après. A voir et à revoir. Pour ne jamais oublier.

     Critique -  LE PROFESSEUR de Valerio Zurlini (1972)

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    Nous sommes en 1972, Alain Delon vient de tourner des chefs-d'œuvre comme La Piscine ou Le Cercle rouge. Marcello Mastroianni n'étant pas disponible, Zurlini fait appel à Alain Delon qui répond positivement et avec enthousiasme décidant même de coproduire le film. Il demandera ainsi à Zurlini d'amputer le film de 20 minutes et de changer le titre pour un titre plus « delonien ».  Après Visconti et Antonioni, Zurlini s'ajoute donc à la liste des réalisateurs italiens à faire tourner Delon qui retrouve ici Lea Massari avec qui il avait tourné dans l'Insoumis en 1964.

    Delon incarne ici un jeune professeur de littérature nommé Daniel Dominici qui remplace un professeur malade au lycée de Rimini, lycée de riches et oisifs élèves. Il mène une vie d'infidélités assumées avec sa femme (Léa Massari) avec laquelle il vit « par désespoir plus que par habitude », qui seule semble comprendre sa blessure secrète, et il passe son temps à jouer et perdre aux cartes, et à boire.  C'est ce même sentiment de blessure qu'il décèle chez une de ses élèves de 19 ans, la mystérieuse et sombre Vanina (Sonia Petrova) dont il tombe amoureux.

    Dès les premiers plans, ce film tranche avec les films habituels dans lesquels joue Alain Delon. D'abord par son atmosphère. Celle de la ville italienne de Rimini hors saison, déserte, brumeuse, maussade, oppressante, au bord d'une mer plus glaçante que chaleureuse. Le désespoir se lit sur les visages et s'insinue dans les rues désertes et brumeuses, et la tragédie semble menacer de s'abattre à tout instant, à nouveau, là où chacun semble traîner ses blessures enfouies. Ensuite dans le rythme où se mêlent ennui, langueur, oisiveté, mélancolie. Enfin et surtout dans le personnage incarné par Alain Delon. Mal rasé, ombrageux, usé, vêtu d'un long manteau beige informe et sans âge qu'il traîne nonchalamment et ne quitte jamais comme son mal-être, c'est un professeur peu soucieux des convenances qui propose des cigarettes à ses élèves en classe et leur demande de raconter leur vie en dissertation pendant qu'il s'absente de la classe. Et qui surtout leur parle de poésie, de littérature (de Pétrarque, de Goethe, de Manzoni, et de Stendhal à qui le prénom de Vanina fait évidemment penser) qu'il aime plus que son métier, plus que la vie aussi semble-t-il. Amoureux de poésie dans laquelle il noie ses chagrins, ses secrètes fêlures et sa mélancolie et dont le visage d'ange inquiet de Vanina lui semble être le reflet. Elle sera d'ailleurs la seule à traiter le sujet de Manzoni sur le vice et la vertu qu'elle pourrait lui avoir inspiré.

    Dans cette ville grisâtre de Rimini, c'est aussi un portrait sans concession de la société italienne du début des années 1970 dépravée, cruelle, même perverse. Cette froideur et cette obscurité se retrouvent dans la réalisation qui reflète la face sombre et l'accablement des personnages.

    Si cette atmosphère est essentiellement suffocante, (une atmosphère exacerbée par une musique qui résonne comme un cri angoissé) les dernières minutes lors desquelles la vérité des visages et des sentiments (de ses origines aristocrates aussi qu'il avait dissimulées) de Dominici éclatent, lors desquelles Daniel trouve dans la mort "La prima notte di quiete" (vers de Goethe qu'il cite et qui fait référence à la première nuit de quiétude parce qu'elle est sans rêve) sont d'une force poignante.

    Avec ce rôle intériorisé, Delon, une nouvelle fois bluffant, joue un personnage désespéré, loin de ses personnages plus habituels à la beauté arrogante et à l'arrogance désinvolte, dans une société elle-même sans espoir, une prestation saisissante d'une impressionnante justesse et crédibilité qui rend bouleversant ce film douloureux qui nous accompagne longtemps après le générique comme un air pesant et mélancolique.

    Catégories : PALMES D'OR Lien permanent 0 commentaire Pin it! Imprimer
  • Alain Delon : Palme d'or d'Honneur du 72ème Festival de Cannes

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    Photo ci-dessus prise lors de la présentation de Plein soleil par Alain Delon lors de sa projection en copie restaurée dans le cadre du Festival de Cannes 2013.

    Demain, à 11H à Paris, en direct de l'UGC Normandie, Thierry Frémaux et Pierre Lescure annonceront la sélection officielle du festival. 

    Aujourd'hui a été annoncé ce qui sera sans doute l'évènement de cette édition 2019 : la remise d'une Palme d'or d'Honneur à Alain Delon. "Il appartient tout entier au cinéma, à ses plus belles œuvres et à ses mythes : en 2019, le Festival de Cannes a décidé de décerner une Palme d’or d’Honneur à Alain Delon, afin d’honorer sa magnifique présence dans l’histoire du septième art. Après Jeanne Moreau, Woody Allen, Bernardo Bertolucci, Jane Fonda, Clint Eastwood, Jean-Paul Belmondo, Manoel de Oliveira, Agnès Varda et Jean-Pierre Léaud, le Festival de Cannes est heureux et fier que le légendaire comédien du Guépard de Luchino Visconti (Palme d’or 1963) ait accepté de recevoir les honneurs de la communauté mondiale" a ainsi annoncé le Festival de Cannes par communiqué de presse. 

    « Avec Pierre Lescure, nous sommes heureux qu’Alain Delon ait accepté d’être honoré par le Festival, déclare Thierry Frémaux, Délégué général. Il a pourtant longuement hésité, lui qui nous a longtemps refusé cette Palme d’or car il estimait ne devoir venir à Cannes que pour célébrer les metteurs en scène avec lesquels il a travaillé. »

    La remise de cette Palme d'or d'Honneur devrait avoir lieu le 19 Mai avec la projection du chef-d'œuvre de Losey, Monsieur Klein (dont vous pouvez retrouver ma critique ci-dessous).

    La projection, là aussi exceptionnelle, du Guépard de Visconti en copie restaurée en la présence de l'acteur, en 2010, restera indéniablement pour moi un de mes plus beaux et émouvants souvenirs du Festival de Cannes. Emouvante fut aussi la projection en sa présence de Plein soleil de René Clément, en 2013, également en section Cannes Classics.

    Alain Delon est sans doute l'acteur qui compte le plus de chefs-d'œuvre à sa filmographie (je parle bien de chefs-d'œuvre et non de bons films). Il est aussi sans doute aussi celui qui compte dans sa filmographie un grand nombre de films à l'origine de ma dévorante passion pour le cinéma et pour certains (comme Le Samouraï, Mélodie en sous-sol, Le Cercle rouge, Plein soleil, La piscine etc), je ne compte plus le nombre de fois où je les ai revus. 

    Aujourd'hui, à l'occasion de ces honneurs si mérités, ci-dessous, je vous propose 9 critiques de films incontournables dans lesquels il a tourné et incarné le personnage principal même si d'autres très grands films auraient pu s'ajouter à cette liste comme L'Eclipse, Mélodie en sous-sol ou La Veuve Couderc. Delon est indissociable des personnages qu'il a immortalisés (du glacial, élégant et solitaire Jef Costello à Tancrède, Roch Siffredi, Corey, Robert Klein, Roger Sartet, Gino dans les films de Clément, Deray, Visconti, Verneuil, Losey, Giovanni) et sans doute sans sa présence au générique ces films n'auraient-ils pas laissé la même empreinte dans l'histoire du cinéma, même s'ils sont le plus souvent l'œuvre d'immenses cinéastes.

    C'est aussi un grand acteur de théâtre que j'ai eu le plaisir de voir dans Une journée ordinaire, Variations énigmatiques, Love letters, Sur la route de Madison, Les montagnes russes, des pièces dont vous retrouverez mes critiques, ici.

     

    Photo ci-dessus, copyright inthemoodforcinema.com. Présentation de Plein soleil par Alain Delon lors de sa projection en copie restaurée dans le cadre du Festival de Cannes 2013.

    CRITIQUE n°1 - MONSIEUR KLEIN de LOSEY (1976)

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    A chaque projection ce film me terrasse littéralement tant ce chef d'œuvre est bouleversant, polysémique, riche, brillant, nécessaire. Sans doute la démonstration cinématographique la plus brillante de l'ignominie ordinaire et de l'absurdité d'une guerre aujourd'hui encore partiellement insondables.  A chaque projection, je le vois  et l'appréhende différemment.  Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore et que j'espère convaincre d'y remédier par cet article, récapitulons d'abord brièvement l'intrigue.

    Il s'agit de Robert Klein. Le monsieur Klein du titre éponyme. Enfin un des deux Monsieur Klein du titre éponyme. Ce Monsieur Klein-là, interprété par Alain Delon,  voit dans l'Occupation avant tout une occasion de s'enrichir et de racheter à bas prix des œuvres d'art à ceux qui doivent fuir ou se cacher, comme cet homme juif (Jean Bouise) à qui il rachète une œuvre du peintre hollandais Van Ostade. Le même jour, il reçoit le journal « Informations juives » adressé à son nom, un journal normalement uniquement délivré sur abonnement. Ces abonnements étant soumis à la préfecture et M.Klein allant lui-même signaler cette erreur, de victime, il devient suspect... Il commence alors à mener l'enquête et découvre que son homonyme a visiblement délibérément usé de la confusion entre leurs identités pour disparaître...

    La première scène, d'emblée, nous glace d'effroi par son caractère ignoble et humiliant pour celle qui la subit. Une femme entièrement nue est examinée comme un animal par un médecin et son assistante afin d'établir ou récuser sa judéité.  Y succède une scène dans laquelle, avec la même indifférence, M.Klein rachète un tableau à un juif obligé de s'en séparer. M.Klein examine l'œuvre avec plus de tact que l'était cette femme humiliée dans la scène précédente, réduite à un état inférieur à celui de chose mais il n'a pas plus d'égard pour son propriétaire que le médecin en avait envers cette femme même s'il respecte son souhait de ne pas donner son adresse, tout en ignorant peut-être la véritable raison de sa dissimulation affirmant ainsi avec une effroyable et sans doute inconsciente effronterie « bien souvent je préfèrerais ne pas acheter ».

    Au plan des dents de cette femme observées comme celles d'un animal s'oppose le plan de l'amie de M.Klein, Jeanine (Juliet Berto) qui se maquille les lèvres dans une salle de bain outrageusement luxueuse. A la froideur clinique du cabinet du médecin s'oppose le luxe tapageur de l'appartement de M.Klein qui y déambule avec arrogance et désinvolture, recevant ses invités dans une robe de chambre dorée. Il collectionne. Les œuvres d'art même s'il dit que c'est avant tout son travail. Les femmes aussi apparemment. Collectionner n'est-ce pas déjà une négation de l'identité, cruelle ironie du destin alors que lui-même n'aura ensuite de cesse de prouver et retrouver la sienne ?

    Cet homonyme veut-il lui  sauver sa vie ? Le provoquer ? Se venger ? M.Klein se retrouve alors plongé en pleine absurdité kafkaïenne où son identité même est incertaine. Cette identité pour laquelle les Juifs sont persécutés, ce qui, jusque-là,  l'indifférait prodigieusement et même l'arrangeait plutôt, ou en tout cas arrangeait ses affaires.

     Losey n'a pas son pareil pour utiliser des cadrages qui instaurent le malaise, instillent de l'étrangeté dans des scènes a priori banales dont l'atmosphère inquiétante est renforcée par une lumière grisâtre mettent en ombre des êtres fantomatiques, le tout exacerbé par une musique savamment dissonante...  Sa caméra surplombe ces scènes comme un démiurge démoniaque : celui qui manipule M.Klein ou celui qui dicte les lois ignominieuses de cette guerre absurde. La scène du château en est un exemple, il y retrouve une femme, apparemment la maîtresse de l'autre M.Klein (Jeanne Moreau, délicieusement inquiétante, troublante et mystérieuse) qui y avait rendez-vous. Et alors que M.Klein-Delon lui demande l'adresse de l'autre M.Klein, le manipulateur, sa maîtresse lui donne sa propre adresse, renforçant la confusion et la sensation d'absurdité.  Changement de scène. Nous ne voyons pas la réaction de M.Klein. Cette brillante ellipse ne fait que renforcer la sensation de malaise.

    Le malentendu (volontairement initié ou non ) sur son identité va amener Klein à faire face à cette réalité qui l'indifférait. Démonstration par l'absurde auquel il est confronté de cette situation historique elle-même absurde dont il profitait jusqu'alors. Lui dont le père lui dit qu'il est « français et catholique  depuis Louis XIV», lui qui se dit « un bon français qui croit dans les institutions ». M.Klein est donc  certes un homme en quête d'identité mais surtout un homme qui va être amené à voir ce qu'il se refusait d'admettre et qui l'indifférait parce qu'il n'était pas personnellement touché : « je ne discute pas la loi mais elle ne me concerne pas ». Lui qui faisait partie de ces « Français trop polis ». Lui qui croyait que « la police française ne ferait jamais ça» mais qui clame surtout : «  Je n'ai rien à voir avec tout ça. » Peu lui importait ce que faisait la police française tant que cela ne le concernait pas. La conscience succède à l'indifférence. Le vide succède à l'opulence. La solitude succède à la compagnie flatteuse de ses « amis ». Il se retrouve dans une situation aux frontières du fantastique à l'image de ce que vivent alors quotidiennement les Juifs. Le calvaire absurde d'un homme pour illustrer celui de millions d'autres.

    Et il faut le jeu tout en nuances de Delon, presque méconnaissable, perdu et s'enfonçant dans le gouffre insoluble de cette quête d'identité pour nous rendre ce personnage sympathique, ce vautour qui porte malheur et qui « transpercé d'une flèche, continue à voler ». Ce vautour auquel il est comparé et qui éprouve du remords, peut-être, enfin. Une scène dans un cabaret le laisse entendre. Un homme juif y est caricaturé comme cupide au point de  voler la mort et faisant dire à son interprète : « je vais faire ce qu'il devrait faire, partir avant que vous me foutiez à  la porte ». La salle rit aux éclats. La compagne de M.Klein, Jeanine, est choquée par ses applaudissements. Il réalise alors, apparemment, ce que cette scène avait d'insultante, bête et méprisante et  ils finiront par partir. Dans une autre scène, il forcera la femme de son avocat à jouer l'International alors que le contenu de son appartement est saisi par la police, mais il faut davantage sans doute y voir là une volonté de se réapproprier l'espace et de se venger de celle-ci qu'un véritable esprit de résistance. Enfin, alors que tous ses objets sont saisis, il insistera pour garder le tableau de Van Ostade, son dernier compagnon d'infortune et peut-être la marque de son remords qui le rattache à cet autre qu'il avait tellement méprisé, voire nié et que la négation de sa propre identité le fait enfin considérer.

    Le jeu des autres acteurs, savamment trouble, laisse  ainsi entendre que chacun complote ou pourrait être complice de cette machination, le père de M.Klein (Louis Seigner) lui-même ne paraissant pas sincère quand il dit « ne pas connaître d'autre Robert Klein », de même que son avocat (Michael Lonsdale) ou la femme de celui-ci (Francine Bergé) qui auraient des raisons de se venger, son avocat le traitant même de « minus », parfaite incarnation des Français de cette époque au rôle trouble, à l'indifférence coupable, à la lâcheté méprisable, au silence hypocrite.

    Remords ? Conviction de supériorité ? Amour de liberté ? Volonté de partager le sort de ceux dont il épouse alors jusqu'au bout l'identité ? Homme égoïste poussé par la folie de la volonté de savoir ? Toujours est-il que, en juillet 1942, il se retrouve victime de la   Raflé du Vel d'Hiv avec 15000 autres juifs parisiens. Alors que son avocat possédait le certificat pouvant le sauver, il se laisse délibérément emporter dans le wagon en route pour Auschwitz avec, derrière lui, l'homme  à qui il avait racheté le tableau et, dans sa tête, résonne alors le prix qu'il avait vulgairement marchandé pour son tableau. Scène édifiante, bouleversante, tragiquement cynique. Pour moi un des dénouements les plus poignants de l'Histoire du cinéma. Celui qui, en tout cas, à chaque fois, invariablement, me bouleverse.

    La démonstration est glaciale, implacable. Celle de la perte et de la quête d'identité poussées à leur paroxysme. Celle de la cruauté dont il fut le complice peut-être inconscient et dont il est désormais la victime. Celle de l'inhumanité, de son effroyable absurdité. Celle de gens ordinaire qui ont agi plus par lâcheté, indifférence que conviction.

    Losey montre ainsi froidement et brillamment une triste réalité française de cette époque,  un pan de l'Histoire et de la responsabilité française qu'on a longtemps préféré ignorer et même nier. Sans doute cela explique-t-il que « Monsieur Klein » soit reparti bredouille du Festival de Cannes 1976 pour lequel le film et Delon, respectivement pour la palme d'or et le prix d'interprétation, partaient pourtant favoris. En compensation, il reçut les César du meilleur film, de la meilleure réalisation et  des meilleurs décors.

    Ironie là aussi de l'histoire (après celle de l'Histoire), on a reproché à Losey de faire, à l'image de Monsieur Klein, un profit malsain de l'art en utilisant cette histoire mais je crois que le film lui-même est une réponse à cette accusation (elle aussi) absurde.

    A la fois thriller sombre, dérangeant, fascinant, passionnant ; quête de conscience et d'identité d'un homme ; mise en ombres et en lumières des atrocités absurdes commises par le régime de Vichy et de l'inhumanité des français ordinaires ; implacable et saisissante démonstration de ce que fut la barbarie démente et ordinaire,  « Monsieur Klein » est un chef d'œuvre aux interprétations multiples que la brillante mise en scène de Losey sublime et dont elle fait résonner le sens et la révoltante et à jamais inconcevable tragédie ... des décennies après. A voir et à revoir. Pour ne jamais oublier...

    Critique n°2 -  ROCCO ET SES FRERES de Luchino Visconti (1961)

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    Synopsis : Après le décès de son mari, Rosaria Parondi (Katina Paxinou), mère de cinq fils, arrive à Milan accompagnée de quatre de ses garçons : Rocco (Alain Delon) Simone, (Renato Salvatori), Ciro (Max Cartier) et Luca (Rocco Vidolazzi), le benjamin.  C’est chez les beaux-parents de son cinquième fils, Vincenzo (Spyros Fokas) qu’ils débarquent. Ce dernier est ainsi fiancé à Ginetta (Claudia Cardinale). Une dispute éclate. Les Parondi se réfugient dans un logement social. C’est là que Simone fait la connaissance de Nadia (Annie Girardot), une prostituée rejetée par sa famille. Simone, devenu boxeur, tombe amoureux de Nadia. Puis, alors qu’elle est séparée de ce dernier depuis presque deux ans, elle rencontre Rocco par hasard. Une idylle va naitre entre eux. Simone ne va pas le supporter…

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    Ce qui frappe d’abord, ce sont, au-delà de la diversité des styles (mêlant habilement Nouvelle Vague et néo-réalisme ici, un mouvement à l’origine duquel Visconti se trouve – Ossessione  en 1942 est ainsi considéré comme le premier film néo-réaliste bien que les néoréalistes aient estimé avoir été trahis par ses films postérieurs qu’ils jugèrent très et trop classiques-),  les thématiques communes aux différents films de Visconti. Que ce soit à la cour de Bavière avec Ludwig, ou au palais Donnafigata avec le Prince Salina, c’est toujours d’un monde qui périclite et de solitude dont il est question mais aussi de grandes familles qui se désagrègent, d’êtres promis à des avenirs lugubres qui, de palais dorés en  logements insalubres, sont sans lumière et sans espoir.

    Ce monde où les Parondi, famille de paysans, émigre est ici celui de l’Italie d’après-guerre, en pleine reconstruction et industrialisation, où règnent les inégalités sociales. Milan c’est ainsi la ville de Visconti et le titre a ainsi été choisi en hommage à un écrivain réaliste de l’Italie du Sud, Rocco Scotellaro.

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    Avant d’être le portrait successif de cinq frères, Rocco et ses frères est donc celui de l’Italie d’après-guerre, une sombre peinture sociale avec pour cadre des logements aux formes carcérales et sans âme. Les cinq frères sont d’ailleurs chacun une illustration de cette peinture : entre ceux qui s’intègrent à la société (Vincenzo, Luca, Ciro) et ceux qu’elle étouffe et broie (Simone et Rocco). Une société injuste puisqu’elle va désagréger cette famille et puisque c’est le plus honnête et naïf qui en sera le martyr. Dans la dernière scène, Ciro fait ainsi l’éloge de Simone (pour qui Rocco se sacrifiera et qui n’en récoltera pourtant que reproches et malheurs) auprès de Luca, finalement d’une certaine manière désigné comme coupable à cause de sa « pitié dangereuse ».

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     Nadia, elle, porte la trace indélébile de son passé. Son rire si triste résonne sans cesse comme un vibrant cri de désespoir. Elle est une sorte de double de « Rocco », n’ayant d’autre choix que de vendre son corps, Rocco qui est sa seule raison de vivre. L’un et l’autre, martyrs, devront se sacrifier. Rocco en boxant, en martyrisant son corps. Elle en vendant son corps (et le martyrisant déjà), puis, dans une scène aussi terrible que splendide, en se laissant poignarder, les bras en croix puis enserrant son meurtrier en une ultime et fatale étreinte.

     Annie Girardot apporte toute sa candeur, sa lucidité, sa folie, son désespoir à cette Nadia, personnage à la fois fort et brisé qu’elle rend inoubliable par l’intensité et la subtilité de son jeu.

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    Face à elle, Alain Delon illumine ce film sombre de sa beauté tragique et juvénile et montre ici toute la palette de son jeu, du jeune homme timide, fragile et naïf, aux attitudes et aux craintes d’enfant encore, à l’homme déterminé. Une palette d’autant plus impressionnante quand on sait que la même année (1960) sortait Plein soleil de René Clément, avec un rôle et un jeu si différents.

    La réalisation de Visconti reprend le meilleur du néoréalisme et le meilleur de la Nouvelle Vague avec une utilisation particulièrement judicieuse des ellipses, du hors-champ, des transitions, créant ainsi des parallèles et des contrastes brillants et intenses.

    Il ne faudrait pas non plus oublier la musique de Nino Rota qui résonne comme une complainte à la fois douce, cruelle et mélodieuse.

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    Rocco et ses frères  : encore un chef d’œuvre de Visconti qui prend le meilleur du pessimisme et d’une paradoxale légèreté de la Nouvelle Vague, mais aussi du néoréalisme qu’il a initié et qui porte déjà les jalons de ses grandes fresques futures. Un film d’une beauté et d’une lucidité poignantes, sombres et tragiques porté par de jeunes acteurs (Delon, Girardot, Salvatori…), un compositeur et un réalisateur déjà au sommet de leur art.

     Rocco et ses frères  a obtenu le lion d’argent à la Mostra de Venise 1960.

    Critique n°3 -  LE GUEPARD de Luchino Visconti (1963)

    Quand la réalité rejoint le cinéma (article tel que publié suite à la projection exceptionnelle du Guépard en version restaurée dans le cadre du Festival de Cannes 2010)

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    Parmi mes très nombreux souvenirs du Festival de Cannes, celui de ce soir restera sans aucun doute un des plus émouvants et inoubliables. Ce soir, dans le cadre de Cannes Classics était en effet projetée la version restaurée du chef d’œuvre de Luchino Visconti Le Guépard, palme d’or du Festival 1963.

     Alors que nous étions très peu nombreux dans la file presse et que, en face, dans la file Cannes cinéphiles on se bousculait tout le monde a finalement pu entrer. J’avais une place de choix puisque juste à côté de moi figurait un siège sur lequel était écrit  Martin Scorsese  et devant  Alain Delon et Claudia Cardinale ! Tandis que les premiers invités commençaient à arriver (Benicio Del Toro, Kate Beckinsale, Aishwarya Rai puis Salma Hayek, Juliette Binoche…), la fébrilité était de plus en plus palpable dans la salle. Thierry Frémaux est venu prévenir que Martin Scorsese était retenu dans les embouteillages en ajoutant qu’Alain Delon avait tenu à préciser que, lui, n ’était pas en retard.

     Puis Martin Scorsese est enfin sorti des embouteillages pour monter sur scène  pour parler de ce film si important pour lui. Ensuite, ce fut au tour d’Alain Delon et Claudia Cardinale de monter sur scène. Tous deux émus, Alain Delon aussi nostalgique que Claudia Cardinale semblait enjouée.  Enfin, ils se sont installés, juste devant mo et le film, ce film que j’ai vu tant de fois a commencé.

    Quelle étrange sensation de le découvrir enfin sur grand écran, tout en voyant ses acteurs au premier plan, juste devant moi, en chair et en os. Aussi fascinant et somptueux soit Le Guépard  (et ce soir il m’a à nouveau et plus que jamais éblouie) mon regard ne pouvait s’empêcher de dévier vers Delon et Cardinale. Instant irréel où l’image de la réalité se superposait à celle de l’écran. Je ne pouvais m’empêcher d’essayer d’imaginer leurs pensées. Claudia Cardinale qui semblait littéralement transportée (mais avec gaieté) dans le film, tapant des mains, se tournant vers Alain Delon, lorsque des scènes, sans doute, lui rappelaient des souvenirs particuliers, riant aussi souvent, son rire se superposant même sur la célèbre cavalcade de celui d’Angelica dans la scène du dîner. Et Alain Delon, qui regardait l’écran avec tant de solennité, de nostalgie, de tristesse peut-être comme ailleurs, dans le passé, comme  s’il voyait une ombre du passé ressurgie en pleine lumière, pensant, probablement,  comme il le dit souvent, à ceux qui ont disparu : Reggiani, Lancaster, Visconti….

    Delon et Cardinale plus humains sans doute que ces êtres d’une beauté irréelle sur l’écran et qu’ils ont incarnés mais aussi beaux et touchants. D’autant plus troublant que la scène de la réalité semblait faire étrangement écho à celle du film qui raconte  la déliquescence d’un monde, la nostalgie d’une époque. Comme si Delon était devenu le Prince Salina (incarné par Lancaster dans le film) qui regarde avec mélancolie une époque disparaître. J’avais l’impression de ressentir leur émotions, ce  qui, ajouté, à celle que me procure immanquablement ce film, a fait de cet instant un moment magique de vie et de cinéma entremêlés, bouleversant.

    Je n’ai pas vu passer les trois heures que dure le film dont la beauté, la modernité, la richesse, la complexité mais aussi la vitalité, l’humour  (c’était étonnant d’entendre ainsi la salle rire) me sont apparus plus que jamais éclatants et surtout inégalés. 47 ans après, quel film a pu rivaliser ? Quel film contient des plans séquences aussi voluptueux ? Des plans aussi somptueux ? On comprend aisément pourquoi le jury lui a attribué la palme d’or à l’unanimité !

     Et encore maintenant il me semble entendre la valse qui a sublimé Angelica et Tancrède,  et d’en ressentir toute la somptuosité nostalgique…  Cette phrase prononcée par Burt Lancaster dans Le Guépard  pourrait ainsi peut-être être désormais prononcée par ceux qui ont joué à ses côtés, il y a 47 ans déjà  : « Nous étions les Guépards, les lions, ceux qui les remplaceront seront les chacals, les hyènes, et tous, tant que nous sommes, guépards, lions, chacals ou brebis, nous continuerons à nous prendre pour le sel de la terre ».

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    Ci-dessus, mes photos lors de la projection dans le cadre de Cannes Classics,sans aucun doute un de mes plus beaux souvenirs du Festival de Cannes.
     

    En 1860, en Sicile, tandis que Garibaldi et ses chemises rouges débarquent pour renverser la monarchie des Bourbons de Naples et l’ancien régime, le prince Don Fabrizio Salina (Burt Lancaster) ainsi que sa famille et son confesseur le Père Pirrone (Romolo Valli), quitte ses domaines pour son palais urbain de Donnafigata, tandis que son neveu Tancrède rejoint les troupes de Garibaldi. Tancrède s’éprend d’Angelica, (Claudia Cardinale), la fille du riche maire libéral  de Donnafugata : Don Calogero. Le Prince Salina s’arrange pour qu’ils puissent se marier. Après l’annexion de la Sicile au royaume d’Italie, Tancrède qui s’était engagé aux côtés des Garibaldiens les abandonne pour rejoindre l’armée régulière…

    Les premiers plans nous montrent une allée qui mène à une demeure, belle et triste à la fois. Les allées du pouvoir. Un pouvoir beau et triste, lui aussi. Triste car sur le déclin, celui de l’aristocratie que symbolise le Prince Salina. Beau car fascinant comme l’est le prince Salina et l’aristocratie digne qu’il représente. Ce plan fait écho à celui de la fin : le prince Salina avance seul, de dos, dans des ruelles sombres et menaçantes puis il s’y engouffre comme s’il entrait dans son propre tombeau. Ces deux plans pourraient résumer l’histoire, l’Histoire, celles d’un monde qui se meurt. Les plans suivants nous emmènent à l’intérieur du domaine, nous offrant une vision spectrale et non moins sublime de cette famille. Seuls des rideaux blancs dans lesquels le vent s’engouffre apportent une respiration, une clarté dans cet univers somptueusement sombre. Ce vent de nouveauté annonce l’arrivée de Tancrède, Tancrède qui apparaît dans le miroir dans lequel Salina se mire.  Son nouveau visage. Le nouveau visage du pouvoir. Le film est à peine commencé et déjà son image est vouée à disparaître. Déjà la fin est annoncée. Le renouveau aussi.

    Fidèle adaptation d’un roman écrit en 1957 par Tomasi di Lampedusa, Le Guépard témoigne d’une époque représentée par cette famille aristocrate pendant le Risorgimento, « Résurrection » qui désigne le mouvement nationaliste idéologique et politique qui aboutit à la formation de l’unité nationale entre 1859 et 1870. Le Guépard est avant tout l’histoire du déclin de l’aristocratie et de l’avènement de la bourgeoisie, sous le regard et la présence félins, impétueux, dominateurs du Guépard, le prince Salina. Face à lui, Tancrède est un être audacieux, vorace, cynique, l’image de cette nouvelle ère qui s’annonce.

    La scène du fastueux bal qui occupe un tiers du film est aussi la plus célèbre, la plus significative, la plus fascinante. Elle marque d’abord par sa magnificence et sa somptuosité :  somptuosité des décors, soin du détail du Maestro Visconti qui tourna cette scène en huit nuits parmi 300 figurants. Magnificence du couple formé par Tancrède et Angelica, impériale et rayonnante dans sa robe blanche. Rayonnement du couple qu’elle forme en dansant avec Salina, aussi.  La fin du monde de Salina est proche mais le temps de cette valse, dans ce décor somptueux, le temps se fige. Ils nous font penser à cette réplique de Salina à propos de la Sicile : « cette ombre venait de cette lumière ». Tancrède regarde avec admiration, jalousie presque, ce couple qui représente pourtant la déchéance de l’aristocratie et l’avènement de la bourgeoisie. Un suicide de l’aristocratie même puisque c’est Salina qui scelle l’union de Tancrède et Angelica, la fille du maire libéral, un mariage d’amour mais aussi et avant tout de raison entre deux univers, entre l’aristocratie et la bourgeoisie. Ces deux mondes se rencontrent et s’épousent donc aussi le temps de la valse d’Angelica et Salina. Là, dans le tumulte des passions, un monde disparaît et un autre naît. Ce bal est donc aussi remarquable par ce qu’il symbolise : Tancrède, autrefois révolutionnaire, se rallie à la prudence des nouveaux bourgeois tandis que Salina, est dans une pièce à côté, face à sa solitude, songeur,  devant un tableau de Greuze, la Mort du juste, faisant « la cour à la mort » comme lui dira ensuite magnifiquement Tancrède.

    Angelica, Tancrède et Salina se retrouvent ensuite dans cette même pièce face à ce tableau morbide alors qu’à côté se fait entendre la musique joyeuse et presque insultante du bal. L’aristocratie vit ses derniers feux mais déjà la fête bat son plein. Devant les regards attristés et admiratifs de Tancrède et Angelica, Salina s’interroge sur sa propre mort. Cette scène est pour moi une des plus intenses de ce film qui en comptent pourtant tant qui pourraient rivaliser avec elle. Les regards lourds de signification qui s’échangent entre eux trois, la sueur qui perle sur les trois visages, ce mouchoir qu’ils s’échangent pour s’éponger en font une scène d’une profonde cruauté et sensualité où entre deux regards et deux silences, devant ce tableau terriblement prémonitoire de la mort d’un monde et d’un homme, illuminé par deux bougies que Salina a lui-même allumées comme s’il admirait, appelait, attendait sa propre mort, devant ces deux êtres resplendissants de jeunesse, de gaieté, de vigueur, devant Salina las mais toujours aussi majestueux, plus que jamais peut-être, rien n’est dit et tout est compris.

     Les décors minutieusement reconstitués d’ une beauté visuelle sidérante, la sublime photo de Giuseppe Rotunno, font de ce Guépard une véritable fresque tragique, une composition sur la décomposition d’un monde, dont chaque plan se regarde comme un tableau, un film mythique à la réputation duquel ses voluptueux plans séquences (notamment la scène du dîner pendant laquelle résonne le rire interminable et strident d’Angelica comme une insulte à l’aristocratie décadente, au cour duquel se superposent des propos, parfois à peine audibles, faussement anodins, d’autres vulgaires, une scène autour de laquelle la caméra virevolte avec virtuosité, qui, comme celle du bal, symbolise la fin d’une époque), son admirable travail sur le son donc, son travail sur les couleurs (la séquence dans l’Eglise où les personnages sont auréolés d’une significative lumière grise et poussiéreuse ) ses personnages stendhaliens, ses seconds rôles judicieusement choisis (notamment Serge Reggiani en chasseur et organiste), le charisme de ses trois interprètes principaux, la noblesse féline de Burt Lancaster, la majesté du couple Delon-Cardinale, la volubilité, la gaieté et le cynisme de Tancrède formidablement interprété par Alain Delon, la grâce de Claudia Cardinale, la musique lyrique, mélancolique et ensorcelante de Nino Rota ont également contribué à faire de cette fresque romantique, engagée, moderne, un chef d’œuvre du septième Art. Le Guépard a ainsi obtenu la Palme d’or 1963… à l’unanimité.

     La lenteur envoûtante dont est empreinte le film métaphorise la déliquescence du monde qu’il dépeint. Certains assimileront à de l’ennui ce qui est au contraire une magistrale immersion  dont on peinera ensuite à émerger hypnotisés par l’âpreté lumineuse de la campagne sicilienne, par l’écho du pesant silence, par la beauté et la splendeur stupéfiantes de chaque plan. Par cette symphonie visuelle cruelle, nostalgique et sensuelle l’admirateur de Proust qu’était Visconti nous invite à l’introspection et à la recherche du temps perdu.

    La personnalité du Prince Salina devait beaucoup à celle de Visconti, lui aussi aristocrate, qui songea même à l’interpréter lui-même, lui que cette aristocratie révulsait et fascinait à la fois et qui, comme Salina, aurait pu dire : « Nous étions les Guépards, les lions, ceux qui les remplaceront seront les chacals, les hyènes, et tous, tant que nous sommes, guépards, lions, chacals ou brebis, nous continuerons à nous prendre pour le sel de la terre ».

    Que vous fassiez partie des guépards, lion, chacals ou brebis, ce film est un éblouissement inégalé par lequel je vous engage vivement à vous laisser hypnotiser…

    CRITIQUE n°4 - PLEIN SOLEIL de René Clément (1960)

     

     

    Photo ci-dessus, copyright inthemoodforcinema.com . Présentation de Plein soleil par Alain Delon lors de sa projection en copie restaurée dans le cadre du Festival de Cannes 2013.

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    Chaque année, la section Cannes Classics réserve de très belles surprises avec des projections de classiques du cinéma en copies restaurées. Il m’a fallu renoncer à quelques unes (ah, les choix cornéliens entre les multiples projections cannoises !) mais s’il y en a bien une que je n’aurais manqué sous aucun prétexte, c’est celle de Plein soleil  de René Clément, en présence d’Alain Delon, de retour à Cannes, en 2013, trois ans après la projection du Guépard  également en copie restaurée.

    Alain Delon dit régulièrement de  René Clément  que c’est pour lui le plus grand réalisateur mais surtout le plus grand directeur d’acteurs au monde. Sa présence à l’occasion de la projection de Plein soleil  à Cannes Classics était donc une évidence. L’acteur a par ailleurs tenu à ce qu’il ne s’agisse pas d’un hommage à Alain Delon mais d’un hommage à René Clément.

    Rappelons que Delon devait d’ailleurs au départ interpréter le rôle que Maurice Ronet jouera finalement et, malgré son jeune âge (24 ans alors), il avait réussi à convaincre Clément (et d’abord sa femme…) de le faire changer de rôle.

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    C’est une longue ovation qui a accueilli Alain Delon dans la salle Debussy  où a été projeté le film. Ce dernier était visiblement très ému par l’accueil qui lui avait été réservé lors de la montée des marches mais aussi dans la salle. Voici la retranscription de sa présentation du film, pleine d’émotion, d’humour et d’élégance. Un beau moment de cinéma et d’émotion.

    « C’est gentil de dire bravo et de m’applaudir mais attendez de voir le film, peut-être que vous allez être déçus, a-t-il répondu, avant de remercier son « très cher » Bertrand [Delanoe] et la Ministre de la Culture pour lui avoir fait « l’honneur et le bonheur » de l’accompagner dans la montée des marches. « C’est un grand moment pour moi. Je veux que vous sachiez que ma présence ici est avant tout un hommage, un hommage que je veux rendre à mon maître absolu, René, René Clément. Le 17 Mars passé, René aurait eu 100 ans et j’aurais tellement aimé qu’il soit  là ce soir. Je sais qu’il aurait été bouleversé. « Plein soleil », ça a été mon 4ème film. Personne ne savait qui j’étais. Lorsque ce film est sorti il a fait la tour du monde et ça a été un triomphe, de l’Est à l’Ouest, de la Chine à l’Argentine, et ce film a été la base de toute ma carrière et ça je le dois à René qui m’a dirigé à ce moment-là comme personne. Tout de suite après, j’ai eu la chance de faire « Rocco et ses frères ». C’est après la vision de « Plein soleil » que Visconti a décidé « je veux que ce soit Alain Delon qui soit mon Italien du Sud ». J’avais plein de choses à dire mais là vous m’avez tellement coincée, dans la rue, ça a été extraordinaire donc vraiment merci René, merci de tout ce qu’il m’a donné car ce film, je n’aurais pas eu la chance de le faire en 1959, je ne sais pas où je serais, sûrement pas là ce soir. Après « Rocco et ses frères », il y a eu un autre Clément « Quelle joie de vivre » puis « Le Guépard ». Vous voyez qu’on peut commencer plus mal. Comme Luchino m’a toujours expliqué « la première chose qu’il faut c’est des bases » et avec Clément j’ai eu mes bases, voilà. Je voudrais avoir une pensée aussi ce soir pour quelqu’un qui m’était tellement cher qui est Maurice Ronet. Il riait tout le temps, il s’amusait de cela. Il disait « tu sais nous sommes les deux meilleurs amis du monde et dans tous les films il faut que tu me tues ». On n’a jamais compris mais c’était comme ça. Et puis une pensée pour Elvire Popesco qui fait une apparition qui était ma patronne et ma maîtresse de théâtre et enfin des gens que vous n’avez pas connus mais certains ici savent de qui je parle, les producteurs qui ont été formidables avec moi dans ce film et dans d’autres, ce sont les frères Robert et Raymond Hakim. Je vais vous laisser voir ce film que je qualifie d’exceptionnel, d’extraordinaire mais vraiment extra-ordinaire. Ceux qui ne l’ont pas vu vont comprendre, ceux qui l’ont déjà vu vont se le remémorer et vous verrez en plus une copie remasterisée. Vous allez voir ce qu’est un film remasterisé, on a l’impression qu’il a été tourné la semaine dernière.  Bonne soirée. Bon film.  Pour terminer, car je sais qu’il y a ici quelques sceptiques, quelques douteux, je voudrais simplement leur dire que l’acteur qui joue dans ce film le rôle de Tom Ripley, il y a 54 ans, c’est bien moi. »

    Dans ce film de 1960, Alain Delon est Tom Ripley, qui, moyennant  5000 dollars, dit être chargé par un milliardaire américain, M.Greenleaf, de ramener son fils Philippe (Maurice Ronet) à San Francisco, trouvant que ce dernier passe de trop longues vacances en Italie auprès de sa maîtresse Marge (Marie Laforêt). Tom est constamment avec eux, Philippe le traite comme son homme à tout faire, tout en le faisant participer à toutes ses aventures sans cesser de le mépriser. Mais Tom n’est pas vraiment l’ami d’enfance de Philippe qu’il dit être et surtout il met au point un plan aussi malin que machiavélique pour usurper l’identité de Philippe.

    Plein soleil  est une adaptation d’un roman de Patricia Highsmith (écrite par Paul Gégauff et René Clément) et si cette dernière a été très souvent adaptée (et notamment   le roman le  Talentueux  Monsieur Ripley  titre originel du roman de Patricia Highsmith qui a fait l’objet de très nombreuses adaptations et ainsi en 1999 par Anthony Minghella avec Matt Damon dans le rôle de Tom Ripley), le film de René Clément était selon elle le meilleur film tiré d’un de ses livres.

    Il faut dire que le film de René Clément, remarquable à bien des égards, est bien plus qu’un thriller. C’est aussi l’évocation de la jeunesse désinvolte, oisive, désœuvrée, égoïste, en Italie, qui n’est pas sans rappeler la « Dolce vita » de Fellini.

    Cette réussite doit beaucoup à la complexité du personnage de Tom Ripley et à celui qui l’incarne. Sa beauté ravageuse, son identité trouble et troublante, son jeu polysémique en font un être insondable et fascinant dont les actes et les intentions peuvent prêter à plusieurs interprétations. Alain Delon excelle dans ce rôle ambigu, narcissique, où un tic nerveux, un regard soudain moins assuré révèlent l’état d’esprit changeant du personnage. Un jeu double, dual comme l’est Tom Ripley et quand il imite Philippe (Ronet) face au miroir avec une ressemblance à s’y méprendre, embrassant son propre reflet, la scène est d’une ambivalente beauté. Si Plein soleil  est le quatrième film d’Alain Delon, c’est aussi son premier grand rôle suite auquel Visconti le choisit pour Rocco et ses frères. Sa carrière aurait-elle était la même s’il avait joué le rôle de Greenleaf qui lui avait été initialement dévolu et s’il n’avait insisté pour interpréter celui de Tom Ripley ? En tout cas, avec Plein soleil un mythe était né et Delon depuis considère toujours Clément comme son « maître absolu ». Ils se retrouveront d’ailleurs peu après pour les tournages de Quelle joie de vivre  (1960),  Les Félins  (1964) et enfin  Paris brûle-t-il ?  en 1966.

    Face à lui, Ronet est cynique et futile à souhait. Le rapport entre les deux personnages incarnés par  Delon et Ronet est d’ailleurs similaire à celui qu’ils auront dans La Piscine de Jacques Deray 9 ans plus tard, le mépris de l’un conduisant pareillement au meurtre de l’autre. Entre les deux, Marge se laisse éblouir par l’un puis par l’autre, victime de ce jeu dangereux mais si savoureux pour le spectateur qui ne peut s’empêcher de prendre fait et cause pour l’immoral Tom Ripley.

    L’écriture et la réalisation de Clément procurent un caractère intemporel à ce film de 1960 qui apparaît alors presque moins daté et plus actuel que celui de Minghella qui date pourtant de 1999 sans compter la modernité du jeu des trois acteurs principaux qui contribue également à ce sentiment de contemporanéité.

    Plein soleil, c’est aussi la confrontation entre l’éternité et l’éphémère, la beauté éternelle et la mortalité, la futilité pour feindre d’oublier la finitude de l’existence et la fugacité de cette existence.

    Les couleurs vives avec lesquelles sont filmés les extérieurs renforcent cette impression de paradoxe, les éléments étant d’une beauté criminelle et trompeuse à l’image de Tom Ripley. La lumière du soleil, de ce plein soleil, est à la fois élément de désir, de convoitise et  le reflet de ce trouble et de ce mystère. Une lumière si bien mise en valeur par le célèbre chef opérateur Henri Decaë sans oublier la musique de Nino Rota et les sonorités ironiquement joyeuses des mandolines napolitaines. L’éblouissement est celui exercé par le personnage de Tom Ripley  qui est lui-même fasciné par celui dont il usurpe l’identité et endosse la personnalité. Comme le soleil qui à la fois éblouit et brûle, ils sont  l’un et l’autre aussi fascinants que dangereux. La caméra de Clément enferme dans son cadre ses personnages comme ils le sont dans leurs faux-semblants.

    Acte de naissance d’un mythe, thriller palpitant, personnage délicieusement ambigu, lumière d’été trompeusement belle aux faux accents d’éternité, Plein soleil  est un chef-d’œuvre du genre dans lequel la forme coïncide comme rarement avec le fond, les éléments étant la métaphore parfaite du personnage principal. Plein soleil, un film trompeusement radieux par lequel je vous conseille vivement de vous laisser éblouir !

    Critique n°5 - LA PISCINE de Jacques Deray (1969)

    Ce film date de 1968: c’est déjà tout un programme. Il réunit Maurice Ronet, Alain Delon, Romy Schneider, Jane Birkin dans un huis-clos sensuel et palpitant: ce quatuor est déjà une belle promesse.

    Marianne (Romy Schneider) et Jean-Paul (Alain Delon) passent en effet des vacances en amoureux dans la magnifique villa qui leur a été prêtée sur les hauteurs de Saint-Tropez. L’harmonie est rompue lorsqu’arrive Harry (Maurice Ronet), ami de Jean-Paul et de Marianne chez lequel ils se sont d’ailleurs rencontrés, cette dernière entretenant le trouble sur la nature de ses relations passées avec Harry. Il arrive accompagné de sa fille de 18 ans, la gracile et nonchalante Pénélope (Jane Birkin).

    La piscine fait partie de ces films que l’on peut revoir un nombre incalculable de fois (du moins que je peux revoir un nombre incalculable de fois) avec le même plaisir pour de nombreuses raisons mais surtout pour son caractère intelligemment elliptique et son exceptionnelle distribution et direction d’acteurs.

    Dès les premières secondes, la sensualité trouble et la beauté magnétique qui émane du couple formé par Romy Schneider et Alain Delon, la langueur que chaque plan exhale plonge le spectateur dans une atmosphère particulière, captivante. La tension monte avec l’arrivée d’Harry et de sa fille, menaces insidieuses dans le ciel imperturbablement bleu de Saint-Tropez. Le malaise est palpable entre Jean-Paul et Harry qui rabaisse sans cesse le premier, par une parole cinglante ou un geste méprisant, s’impose comme si tout et tout le monde lui appartenait, comme si rien ni personne ne lui résistait.

    Pour tromper le langoureux ennui de l’été, un jeu périlleusement jubilatoire de désirs et de jalousies va alors commencer, entretenu par chacun des personnages, au péril du fragile équilibre de cet été en apparence si parfait et de leur propre fragile équilibre, surtout celui de Jean-Paul, interprété par Alain Delon qui, comme rarement, incarne un personnage vulnérable à la sensualité non moins troublante. L’ambiguïté est distillée par touches subtiles : un regard fuyant ou trop insistant, une posture enjôleuse, une main effleurée, une allusion assassine. Tout semble pouvoir basculer dans le drame d’un instant à l’autre. La menace plane. L’atmosphère devient de plus en plus suffocante.

    Dès le début tout tourne autour de la piscine : cette eau bleutée trompeusement limpide et cristalline autour de laquelle ils s’effleurent, se défient, s’ignorent, s’esquivent, se séduisent autour de laquelle la caméra virevolte, enserre, comme une menace constante, inéluctable, attirante et périlleuse comme les relations qui unissent ces 4 personnages. Harry alimente constamment la jalousie et la susceptibilité de Jean-Paul par son arrogance, par des allusions à sa relation passée avec Marianne que cette dernière a pourtant toujours niée devant Jean-Paul. Penelope va alors devenir l’instrument innocent de ce désir vengeur et ambigu puisqu’on ne sait jamais vraiment si Jean-Paul la désire réellement, s’il désire atteindre Harry par son biais, s’il désire attiser la jalousie de Marianne, probablement un peu tout à la fois, et probablement aussi se raccrochent-ils l’un à l’autre, victimes de l’arrogance, la misanthropie masquée et de la désinvolture de Harry. C’est d’ailleurs là que réside tout l’intérêt du film : tout insinuer et ne jamais rien proclamer, démontrer. Un dialogue en apparence anodin autour de la cuisine asiatique et de la cuisson du riz alors que Jean-Paul et Penelope reviennent d’un bain nocturne ne laissant guère planer de doutes sur la nature de ce bain, Penelope (dé)vêtue de la veste de Jean-Paul dans laquelle elle l’admirait de dos, enlacer Marianne, quelques jours auparavant, est particulièrement symptomatique de cet aspect du film, cette façon d’insinuer, cette sensualité trouble et troublante, ce jeu qui les dépasse. Cette scène entremêle savoureusement désirs et haines latents. Les regards de chacun : respectivement frondeurs, évasifs, provocants, dignes, déroutés… font que l’attention du spectateur est suspendue à chaque geste, chaque ton, chaque froncement de sourcil, accroissant l’impression de malaise et de fatalité inévitable.

    Aucun des 4 personnages n’est délaissé, la richesse de leurs psychologies, de la direction d’acteurs font que chacune de leurs notes est indispensable à la partition. La musique discrète et subtile de Michel Legrand renforce encore cette atmosphère trouble. Chacun des 4 acteurs est parfait dans son rôle : Delon dans celui de l’amoureux jaloux, fragile, hanté par de vieux démons, d’une sensualité à fleur de peau, mal dans sa peau même, Romy Schneider dans celui de la femme sublime séductrice dévouée, forte, provocante et maternelle, Jane Birkin dont c’est le premier film français dans celui de la fausse ingénue et Maurice Ronet dans celui de l’ « ami » séduisant et détestable, transpirant de suffisance et d’arrogance…et la piscine, incandescente à souhait, véritable « acteur ». Je ne vous en dirai pas plus pour ne pas lever le voile sur les mystères qui entourent ce film et son dénouement.

    Deray retrouvera ensuite Delon à 8 reprises notamment dans Borsalino, Flic story, Trois hommes à abattre… mais La piscine  reste un film à part dans la carrière du réalisateur qui mettra en scène surtout un cinéma de genre.

    Neuf ans après  Plein soleil de René Clément (que je vous recommande également), la piscine réunit donc de nouveau Ronet et Delon, les similitudes entres les personnages de ces deux films sont d’ailleurs nombreuses et le duel fonctionne de nouveau à merveille.

    Un film sensuel d'une incandescence trouble porté par des acteurs magistraux, aussi fascinants que cette eau bleutée fatale, un film qui se termine par une des plus belles preuves d’amour que le cinéma ait inventé. A voir et à revoir. Plongez dans les eaux troubles de cette « piscine » sans attendre une seconde …à vos risques et périls.

    CRITIQUE n°6 - LE SAMOURAÏ de Jean-Pierre Melville (1967)

     

     

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    Jef Costello est un tueur à gages dont le dernier contrat consiste à tuer le patron d’une boîte de jazz, Martey. Il s’arrange pour que sa maîtresse, Jane (Nathalie Delon), dise qu’il était avec elle au moment du meurtre. Seule la pianiste de la boîte, Valérie (Cathy Rosier) voit clairement son visage. Seulement, lorsqu’elle est convoquée avec tous les autres clients et employés de la boîte pour une confrontation, elle feint de ne pas le reconnaître… Pendant ce temps, on cherche à tuer Jef Costello « le Samouraï » tandis que le commissaire (François Périer) est instinctivement persuadé de sa culpabilité qu’il souhaite prouver, à tout prix.

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    © Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

    Dès le premier plan, Melville parvient à nous captiver et plonger dans son atmosphère, celle d’un film hommage aux polars américains…mais aussi référence de bien des cinéastes comme Johnny To dans Vengeance  dans lequel le personnage principal se prénomme d’ailleurs Francis Costello mais aussi Jim Jarmusch dans  Ghost Dog, la voie du samouraï  sans oublier Michael Mann avec  Heat , Quen Tarantino avec Reservoir Dogs  ou encore John Woo dans The Killer  et bien d’autres qui, plus ou moins implicitement, ont cité ce film de référence…et d’ailleurs très récemment le personnage de Ryan Gosling dans  Drive  présente de nombreuses similitudes avec Costello (même si Nicolas Winding Refn est très loin d’avoir le talent de Melville qui, bien que mettant souvent en scène des truands, ne faisait pas preuve de cette fascination pour la violence qui gâche la deuxième partie du film de Nicolas Winding Refn malgré sa réalisation hypnotique) ou encore le personnage de Clooney dans The American  d’Anton Corbijn.

    Ce premier plan, c’est celui du Samouraï à peine perceptible, fumant, allongé sur son lit, à la droite de l’écran, dans une pièce morne dans laquelle le seul signe de vie est le pépiement d’un oiseau, un bouvreuil. La chambre, presque carcérale, est grisâtre, ascétique et spartiate avec en son centre la cage de l’oiseau, le seul signe d’humanité dans cette pièce morte (tout comme le commissaire Mattei interprété par Bourvil dans Le Cercle rouge a ses chats pour seuls amis). Jef Costello est un homme presque invisible, même dans la sphère privée, comme son « métier » exige qu’il le soit. Le temps s’étire. Sur l’écran s’inscrit « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle…peut-être… » ( une phrase censée provenir du « Bushido, le livre des Samouraï » et en fait inventée par Melville). Un début placé sous le sceau de la noirceur et de la fatalité comme celui du « Cercle rouge » au début duquel on peut lire la phrase suivante : « Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d’un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit :  "Quand des hommes, même sils l’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna)".

    Puis, avec calme et froideur (manière dont il agira tout au long du film), Costello enfile sa « panoplie », trench-coat et chapeau, tandis que son regard bleu acier affronte son image élégante et glaciale dans le miroir. Le ton est donné, celui d’un hiératisme silencieux et captivant qui ne sied pas forcément à notre époque agitée et tonitruante. Ce chef-d’œuvre (rappelons-le, de 1967) pourrait-il être tourné aujourd’hui ? Ce n’est malheureusement pas si certain…

    Pendant le premier quart d’heure du film, Costello va et vient, sans jamais s’exprimer, presque comme une ombre. Les dialogues sont d’ailleurs rares tout au long du film mais ils ont la précision chirurgicale et glaciale des meurtres et des actes de Costello, et un rythme d’une justesse implacable : « Je ne parle jamais à un homme qui tient une arme dans la main. C’est une règle ? Une habitude. » Avec la scène du cambriolage du  Cercle rouge  (25 minutes sans une phrase échangée), Melville confirmera son talent pour filmer le silence et le faire oublier par la force captivante de sa mise en scène. (N’oublions pas que son premier long-métrage fut « Le silence de la mer »).

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    © Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

    La mise en scène de Melville est un modèle du genre, très épurée (inspirée des estampes japonaises), mise en valeur par la magnifique photographie d’Henri Decae, entre rues grises et désertes, atmosphère grise du 36 quai des Orfèvres, passerelle métallique de la gare, couloirs gris, et l’atmosphère plus lumineuse de la boîte de jazz ou l’appartement de Jane. Il porte à la fois le polar à son paroxysme mais le révolutionne aussi, chaque acte de Costello étant d’une solennité dénuée de tout aspect spectaculaire.

    Le scénario sert magistralement la précision de la mise en scène avec ses personnages solitaires, voire anonymes. C’est ainsi « le commissaire », fantastique personnage de François Périer en flic odieux prêt à tout pour satisfaire son instinct de chasseur de loup (Costello est ainsi comparé à un loup) aux méthodes parfois douteuses qui fait songer au « tous coupables » du Cercle rouge. C’est encore « La pianiste » (même si on connaît son prénom, Valérie) et Jane semble n’exister que par rapport à Costello et à travers lui dont on ne saura jamais s’il l’aime en retour. Personnages prisonniers d’une vie ou d’intérieurs qui les étouffent comme dans « Le cercle rouge ».

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    © Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

    Le plan du début et celui de la fin se répondent ainsi ingénieusement : deux solitudes qui se font face, deux atmosphères aussi, celle grisâtre de la chambre de Costello, celle, plus lumineuse, de la boîte de jazz mais finalement deux prisons auxquelles sont condamnés ces êtres solitaires qui se sont croisés l’espace d’un instant. Une danse de regards avec la mort qui semble annoncée dès le premier plan, dès le titre et la phrase d’exergue. Une fin cruelle, magnifique, tragique (les spectateurs quittent d’ailleurs le « théâtre » du crime comme les spectateurs d’une pièce ou d’une tragédie) qui éclaire ce personnage si sombre qui se comporte alors comme un samouraï sans que l’on sache si c’est par sens du devoir, de l’honneur…ou par un sursaut d’humanité.

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    © Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

     Que ce soit dans Le Doulos, Le Deuxième souffle et même dans une autre mesure L’armée des ombres, on retrouve toujours chez Melville cet univers sombre et cruel, et ces personnages solitaires qui firent dirent à certains, à propos de L’armée des ombres qu’il réalisait un « film de gangsters sous couverture historique » … à moins que ses « films de gangsters » n’aient été à l’inverse le moyen d’évoquer cette idée de clandestinité qu’il avait connu sous la Résistance. Dans les films précédant L’armée des ombres  comme  Le Samouraï, Melville se serait donc abrité derrière des intrigues policières comme il s’abritait derrière ses indéfectibles lunettes, pour éviter de raconter ce qui lui était le plus intime : la fidélité à la parole donnée, les codes qui régissent les individus vivant en communauté. Comme dans  L’armée des ombres, dans Le Samouraï la claustrophobie psychique des personnages se reflète dans les lieux de l’action et est renforcée d’une part par le silence, le secret qui entoure cette action et d’autre part par les «couleurs », terme d’ailleurs inadéquat puisqu’elles sont ici aussi souvent proches du noir et blanc et de l’obscurité. Le film est en effet auréolé d’une lumière grisonnante, froide, lumière de la nuit, des rues éteintes, de ces autres ombres condamnées à la clandestinité pour agir.

    Evidemment, ce film ne serait sans doute pas devenu un chef-d’œuvre sans la présence d’Alain Delon (que Melville retrouvera dans Le Cercle rouge, en 1970,  puis dans Un flic en 1972) qui parvient à rendre attachant ce personnage de tueur à gages froid, mystérieux, silencieux, élégant dont le regard, l’espace d’un instant face à la pianiste, exprime une forme de détresse, de gratitude, de regret, de mélancolie pour ensuite redevenir sec et brutal. N’en reste pourtant que l’image d’un loup solitaire impassible d’une tristesse déchirante, un personnage quasiment irréel (Melville s’amuse d’ailleurs avec la vraisemblance comme lorsqu’il tire sans vraiment dégainer) transformant l’archétype de son personnage en mythe, celui du fameux héros melvillien.

    Avec ce film noir, polar exemplaire, Melville a inventé un genre, le film melvillien avec ses personnages solitaires portés à leur paroxysme, un style épuré d’une beauté rigoureuse et froide et surtout il a donné à Alain Delon l’un de ses rôles les plus marquants, finalement peut-être pas si éloigné de ce samouraï charismatique, mystérieux, élégant et mélancolique au regard bleu acier, brutal et d’une tristesse presque attendrissante, et dont le seul vrai ami est un oiseau. Rôle en tout cas essentiel dans sa carrière que celui de ce Jef Costello auquel Delon lui-même fera un clin d’oeil dans Le Battant. Melville, Delon, Costello, trois noms devenus indissociables au-delà de la fiction.

    Sachez encore que le tournage se déroula dans les studios Jenner si chers à Melville, en 1967, des studios ravagés par un incendie…et dans lequel périt le bouvreuil du film. Les décors durent être reconstruits à la hâte dans les studios de Saint-Maurice.

     Critique n°7 - LE CERCLE ROUGE de Jean-Pierre Melville (1970)

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    Synopsis : Le commissaire Matteï (André Bourvil) de la brigade criminelle est chargé de convoyer Vogel (Gian Maria Volonte), un détenu. Ce dernier parvient à s'enfuir et demeure introuvable malgré l'importance des moyens déployés. A même moment, à Marseille, Corey (Alain Delon), à la veille de sa libération de prison, reçoit la visite d'un gardien  dans sa cellule venu lui proposer une « affaire ». Alors que Corey gagne Paris, par hasard, Vogel se cache dans le coffre de la voiture. Corey et Vogel montent alors ensemble l'affaire proposée par le gardien : le cambriolage d'une bijouterie place Vendôme. Ils s'adjoignent ensuite les services d'un tireur d'élite : Janson, un ancien policier, rongé par l'alcool.

    Dès la phrase d'exergue, le film est placé sous le sceau de la noirceur et la fatalité : " Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d'un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : " Quand des hommes, même sils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna)".

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    C'est cette fatalité qui fera se rencontrer Corey et Vogel puis Jansen et qui les conduira tous les trois à la mort « réunis dans le cercle rouge ». Ce cercle rouge réunit aussi policier et gangsters, Mattei ressemblant à bien des égards davantage à ces derniers qu'à l'inspecteur général pour qui les hommes sont « tous coupables ». Dès le début, le film joue sur la confusion : le feu rouge grillé par la police, les deux hommes (Vogel et Matteï) qui rentrent en silence dans la cabine de train, habités par la même solitude, et dont on ne découvre que plus tard que l'un est policier et l'autre un prévenu. Il n'y a plus de gangsters et de policiers. Juste des hommes. Coupables. Matteï comme ceux qu'ils traquent sont des hommes seuls. A deux reprises il nous est montré avec ses chats qu'il materne tandis que Jansen a pour seule compagnie «  les habitants du placard », des animaux hostiles que l'alcool lui fait imaginer.

    Tous sont prisonniers. Prisonniers d'une vie de solitude. Prisonniers d'intérieurs qui les étouffent. Jansen qui vit dans un appartement carcéral avec son papier peint rayé et ses valises en guise de placards. Matteï dont l'appartement ne nous est jamais montré avec une ouverture sur l'extérieur. Ou Corey qui, de la prison, passe à son appartement devenu un lieu hostile et étranger. Prisonniers ou gangsters, ils subissent le même enfermement. Ils sont avant tout prisonniers du cercle du destin qui les réunira dans sa logique implacable. Des hommes seuls et uniquement des hommes, les femmes étant celles qui les ont abandonnés et qui ne sont plus que des photos d'une époque révolue (que ce soit Corey qui jette les photos que le greffe lui rend ou Matteï dont on aperçoit les photos de celle dont on imagine qu'elle fut sa femme, chez lui, dans un cadre).

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    Avec une économie de mots (la longue -25 minutes- haletante et impressionnante scène du cambriolage se déroule ainsi sans qu'un mot soit échangé), grâce à une mise en scène brillante, Melville signe un polar d'une noirceur, d'une intensité, d'une sobriété rarement égalées.

     Le casting, impeccable, donne au film une dimension supplémentaire : Delon en gangster désabusé et hiératique (dont c'est le seul film avec Melville dont le titre ne le désigne pas directement, après Le Samouraï  et avant  Un flic), Montand en ex-flic rongé par l'alcool, et  Bourvil, mort peu de temps après le tournage, avant la sortie du film (même s'il tourna ensuite Le mur de l'Atlantique), est ici bouleversant dans ce contre-emploi, selon moi son meilleur deuxième rôle dramatique avec  Le Miroir à deux faces.  Ce sont pourtant d'autres acteurs qui étaient initialement prévus : Lino Ventura pour « Le commissaire Matteï », Paul Meurisse pour Jansen et Jean-Paul Belmondo pour Vogel.

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    La critique salua unanimement ce film qui fut aussi le plus grand succès de Melville dont il faut par ailleurs souligner qu'il est l'auteur du scénario original et de cette idée qu'il portait en lui depuis 20 ans, ce qui lui fit dire : « Ce film est de loin le plus difficile de ceux qu' j'ai tournés, parce que j'en ai écrit toutes les péripéties et que je ne me suis pas fait de cadeau en l'écrivant. »

    En tout cas, il nous a fait un cadeau, celui de réunir pour la première et dernières fois de grands acteurs dans un « Cercle rouge » aux accents hawksiens, aussi sombre, fatal qu'inoubliable.

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    Critique n°8 - BORSALINO de Jacques Deray (1970)
     
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    Voilà. C'était en 1970. 4, 7 millions de spectateurs avaient alors vu ce film produit par Alain Delon. Un film alors très médiatisé. Et pour cause : deux mythes du cinéma s'y retrouvaient pour la première fois, 28 ans avant que Patrice Leconte les réunisse à nouveau pour Une chance sur deux. Belmondo avait d'ailleurs reproché à Delon d'être deux fois sur l'affiche, en tant que producteur et en tant qu'acteur. Ce jeu et cette apparente concurrence entre les deux acteurs avaient même conduit Jacques Deray à s'arranger pour qu'ils aient exactement le même nombre de plans et il est vrai que les deux acteurs y sont autant l'un que l'autre à leur avantage...

    Basé sur le roman Bandits à Marseille d'Eugène Saccomano, « Borsalino » est inspiré de l'histoire des bandits Carbone et Spirito   dont les noms avaient finalement été remplacés en raison de leurs rôles pendant l'Occupation. On y retrouve, outre Delon et Belmondo,  Nicole Calfan, Françoise Christophe, Corinne Marchand, Mireille Darc (qui fait une apparition remarquée) mais aussi Michel Bouquet, Julien Guiomar, Mario David, Laura Adani. Les dialogues sont signés Jean-Claude Carrière, co-scénariste avec Claude Sautet, Jacques Deray, Jean Cau. Rien de moins !

    Début des années 30 à Marseille. Roch Siffredi (Alain Delon) sort de prison. Venu retrouver son amie Lola (Catherine Rouvel) il rencontre par la même occasion son nouvel amant François Capella (Jean-Paul Belmondo). S'ensuit une bagarre entre les deux rivaux, elle scellera le début d'une indéfectible amitié.  Capella cherche à se faire une place dans la pègre marseillaise. Les deux truands vont ainsi se trouver et  se respecter. De cette réunion va naître une association de malfaiteurs florissante puis une amitié à la vie, à la mort qui va leur permettre de gravir les échelons de la Pègre marseillaise !

    D'un côté, Capella/Belmondo séducteur, désinvolte, bon vivant,  aux goûts clinquants et aux manières cavalières. De l'autre Siffredi/Belmondo élégant, ambitieux, taciturne, froid, implacable, presque inquiétant. Deux mythes du cinéma face à face, côte à côte qui jouent avec leurs images. Parfois avec dérision (ah la scène de la baignade, ah la bagarre...), démontrant ainsi d'ailleurs l'humour dont ils savaient et savent faire preuve même celui dont ses détracteurs l'accusaient à tort d'en être dépourvu, même si dans le DVD on reconnaît plus volontiers cette qualité à Jean-Paul Belmondo et à Delon... sa générosité. Jouant avec leur image encore lorsqu'ils deviennent des gangsters stars sur le passage desquels on se  détourne, et applaudis par la foule, comme ils le sont en tant qu'acteurs.

    C'est aussi un hommage aux films de gangsters américains, aux films de genre, avec leurs voitures rutilantes,  leurs tenues élégantes parfois aussi clinquantes (dont le fameux Borsalino qui inspira le titre du film), leurs femmes fatales mystérieuses ou provocantes, leurs lieux aussi folkloriques et hauts en couleurs que les personnages qui les occupent. En toile de fond la pittoresque Marseille, Marseille des années 30,  sorte de Chicago française, Marseille luxueusement reconstituée que Deray filme avec minutie, chaleur, avec l'allégresse qui illumine son film influencé par l'atmosphère ensoleillée et chaleureuse de Marseille. Sa caméra est alerte et virevoltante et elle accompagne avec une belle légèreté et application quelques scènes d'anthologie comme celle de la fusillade dans la boucherie. Tout cela donne au film une vraie « gueule d'atmosphère » qui n'appartient qu'à lui. Et s'il n'y a pas réellement de suspense, Deray nous fait suivre et vivre l'action sans penser à la suivante, à l'image de Siffredi et Capella qui vivent au jour le jour;  il  ne nous embarque pas moins avec vivacité dans cette ballade réjouissante, autant teintée d'humour et de second degré (dans de nombreuses scènes mais aussi dans les dialogues, savoureux) que de nostalgie, voire de mélancolie suscitée par la solitude du personnage de Delon dont la majesté de fauve, parfois la violence, semblent être les masques de la fragilité. Et dont la solitude fait écho à celle de l'acteur, auréolé d'un séduisant mystère. Celui d'un fauve blessé.

    Un film que ses deux acteurs principaux font entrer dans la mythologie de l'Histoire  du cinéma, et qui joue intelligemment avec cette mythologie, ce film étant par ailleurs  avant tout un hymne à l'amitié incarnée par deux prétendus rivaux de cinéma.  Ce sont évidemment deux rôles sur mesure pour eux mais c'est aussi toute  une galerie de portraits et de personnages aussi pittoresques que la ville dans laquelle ils évoluent qui constitue d'ailleurs  un véritable personnage (parmi lesquels le personnage de l'avocat magistralement interprété par Michel Bouquet). Un film avec un cadre, une ambiance, un ton, un décor, deux acteurs uniques. Et puis il y a l'inoubliable musique de Claude Bolling avec ses notes métalliques parfois teintées d'humour et de violence, de second degré et de nostalgie, d'allégresse et de mélancolie,  de comédie et de polar entre lesquels alterne ce film inclassable.

    Borsalino fut nommé aux Golden Globes et à l'ours d'or. Quatre ans plus tard Jacques Deray réalisera Borsalino and co, de nouveau avec Alain Delon, sans connaître le même succès auprès du public et de la critique. Reste un film qui, 40 ans après, n'a rien perdu de son aspect jubilatoire et semble même aujourd'hui encore, pour son habile mélange des genres, en avoir inspiré beaucoup d'autres. Imité, rarement égalé. En tout cas inimitable pour ses deux personnages principaux que ses deux acteurs mythiques ont rendu à leurs tours mythiques, les faisant entrer dans la légende, et dans nos souvenirs inoubliables, inégalables et attendris de cinéphiles.

     

     Critique n°9 - LE PROFESSEUR de Valerio Zurlini (1972)

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    Nous sommes en 1972, Alain Delon vient de tourner des chefs d'œuvre comme La Piscine ou Le Cercle rouge . Marcello Mastroianni n'étant pas disponible, Zurlini fait appel à Alain Delon qui répond positivement et avec enthousiasme décidant même de coproduire le film. Il  demandera ainsi à Zurlini d'amputer le film de 20 minutes et de changer le titre pour un titre plus « delonien ».  Après Visconti et Antonioni, Zurlini s'ajoute donc à la liste des réalisateurs italiens à faire tourner Delon qui retrouve ici Lea Massari avec qui il avait tourné dans l'Insoumis en 1964.

    Delon incarne ici un jeune professeur de littérature nommé Daniel Dominici qui remplace un professeur malade au lycée de Rimini, lycée de riches et oisifs élèves. Il mène une vie d'infidélités assumées avec sa femme (Léa Massari) avec laquelle il vit « par désespoir plus que par habitude »,  qui seule semble comprendre sa blessure secrète, et il passe son temps à jouer et perdre aux cartes, et à boire.  C'est ce même sentiment de blessure qu'il décèle chez une de ses élèves de 19 ans, la mystérieuse et sombre Vanina (Sonia Petrova) dont il tombe amoureux.

    Dès les premiers plans, ce film tranche avec les films habituels dans lesquels joue Alain Delon. D'abord par son atmosphère. Celle de la ville italienne de Rimini hors saison, déserte, brumeuse, maussade, oppressante au bord d'une mer plus glaçante que chaleureuse. Le désespoir se lit sur les visages et s'insinue dans les rues désertes et brumeuses, et la tragédie semble menacer de s'abattre à tout instant, à nouveau, là où chacun semble traîner ses blessures enfouies. Ensuite dans le rythme où se mêlent ennui, langueur, oisiveté, mélancolie. Enfin et surtout dans le personnage incarné par Alain Delon. Mal rasé, ombrageux, usé, vêtu d'un long manteau beige informe et sans âge qu'il traîne nonchalamment et ne quitte jamais comme son mal être, c'est un professeur peu soucieux des convenances qui propose des cigarettes à ses élèves en classe et leur demande de raconter leur vie en dissertation pendant qu'il s'absente de la classe. Et qui surtout leur parle de poésie, de littérature (de Pétrarque, de Goethe, de Manzoni, et de Stendhal auquel le prénom de Vanina fait évidemment penser) qu'il aime plus que son métier, plus que la vie aussi semble-t-il. Amoureux de poésie dans laquelle il noie ses chagrins, ses secrètes fêlures et sa mélancolie et dont le visage d'ange inquiet de Vanina lui semble être le reflet. Elle sera d'ailleurs la seule à traiter le sujet de Manzoni sur le vice et la vertu qu'elle pourrait lui avoir inspiré.

    Dans cette ville grisâtre de Rimini, c'est aussi un portrait sans concession de la société italienne du début des années 1970 dépravée, cruelle, même perverse. Cette froideur et cette obscurité se retrouvent dans la réalisation qui reflète la face sombre et l'accablement des personnages.

    Si cette atmosphère est essentiellement suffocante, (une atmosphère exacerbée par une musique qui résonne comme un cri angoissé) les dernières minutes lors desquelles la vérité des visages et des sentiments (de ses origines aristocrates aussi qu'il avait dissimulées) de Dominici éclatent , lors desquelles Daniel trouve dans la mort "La prima notte di quiete" (vers de Goethe qu'il cite et qui fait référence à  la première nuit de quiétude parce qu'elle est sans rêve) sont d'une force poignante

    Avec ce rôle intériorisé, Delon, une nouvelle fois bluffant, joue un personnage désespéré, loin de ses personnages plus habituels à la beauté arrogante et à l'arrogance désinvolte, dans une société elle-même sans espoir, une  prestation saisissante d'une impressionnante justesse et crédibilité qui rend bouleversant ce film aussi douloureux qu'imparfait qui nous accompagne néanmoins longtemps après le générique comme un air pesant et mélancolique.

    Catégories : PALMES D'OR Lien permanent 0 commentaire Pin it! Imprimer
  • UN HOMME ET UNE FEMME de Claude Lelouch en version restaurée au cinéma le 16 novembre

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    Combien de fois vous ai-je parlé de ce chef-d'œuvre de Claude Lelouch? Je ne les compte plus de même que je ne compte plus le nombre de fois où j'ai revu ce film qui, à chaque fois, m'emporte dans son tourbillon d'émotions... Un film qui m'a tant accompagnée que vous le croisez au fil des lignes de mes deux livres "L'amor dans l'âme" et "Les illusions parallèles" (et j'ai d'ailleurs eu le plaisir de faire transmettre ce dernier à Claude Lelouch lors du dernier Festival du Film Britannique dont il présidait le jury). Je n'ai pas non plus résisté au plaisir de le revoir lors des 50 ans du film au dernier Festival de Cannes (section Cannes Classics, photo ci-dessous).

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    Le 16 novembre, Sophie Dulac Distribution le ressort en salles en version restaurée. A cette occasion, mon cinéma fétiche, l'Arlequin (situé rue de Rennes, à Paris) organisera une séance exceptionnelle le 6 novembre à 17H30. Vous pouvez réserver vos places, ici. L'occasion était trop belle, je vous en reparle donc ci-dessous avec, en bonus, une vidéo dans laquelle Claude Lelouch parle de la genèse du film(prise lors de sa passionnante master class au Festival du Film Britannique de Dinard 2016 dont vous pouvez retrouver le compte rendu complet, ici).

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    Lelouch. Prononcez ce nom et vous verrez immédiatement l’assistance se diviser en deux. Les adorateurs d’un côté qui aiment : ses fragments de vérité, ses histoires d’amour éblouissantes, sa vision romanesque de l’existence, sa sincérité, son amour inconditionnel du cinéma, ses phrases récurrentes, une musique et des sentiments grandiloquents, la beauté parfois cruelle des hasards et coïncidences. Les détracteurs de l’autre qui lui reprochent son sentimentalisme et tout ce que les premiers apprécient, et sans doute de vouloir raconter une histoire avant tout, que la forme soit au service du fond et non l’inverse. Je fais partie de la première catégorie et tant pis si pour cela je dois subir la condescendance des seconds. Le cinéma est pour moi avant tout affaire de passion, de sincérité, d’audace et quoiqu’en disent ses détracteurs, le cinéma de Claude Lelouch se caractérise par ces trois éléments comme le démontrait aussi magnifiquement de documentaire « D’un film à l’autre » réalisé à l’occasion des 50 ans des films 13.

    Un parcours fait de réussites flamboyantes et d’échecs retentissants. La plus flamboyante de ses réussites fut bien sûr « Un homme et une femme », palme d’or à Cannes en 1966, Oscar du meilleur film étranger et du meilleur scénario parmi 42 récompenses … à 29 ans seulement! Film que Claude Lelouch a, comme souvent réalisé, après un échec. Ainsi le 13 septembre 1965, désespéré, il roule alors vers Deauville où il arrive la nuit, épuisé. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture,  elle  marche sur la plage avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera « Un homme et une femme », la rencontre de deux solitudes blessées qui prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires. C’est une des histoires qu’il a à nouveau raconté lors de cette master class.

     

    Vous trouverez de nombreuses critiques des films de Claude Lelouch au fil de mes blogs. En bonus, retrouvez également, après ma critique de "Un homme et une femme" ma critique de "Un + Une"  et de "Salaud, on t'aime", les deux derniers films de Claude Lelouch. J'en profite pour vous dire que le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule projettera "Itinéraire d'un enfant gâté" à l'occasion de la présence dans le jury de Richard Anconina. Lors de sa première édition du festival, Claude Lelouch y avoir d'ailleurs donné une passionnante master class en compagnie de son fidèle complice, Francis Lai.

     

    Critique de UN HOMME ET UN FEMME de Claude Lelouch 

     

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    Je ne sais plus très bien si j'ai vu ce film avant d'aller à Deauville, avant que cette ville soit indissociablement liée à tant d'instants de mon existence, ou bien si je l'ai vu après, après que mon premier séjour à Deauville, il y a 23 ans, ait modifié le cours de mon « destin »... Toujours est-il qu'il est impossible désormais de dissocier Deauville du film de Claude Lelouch qui a tant fait pour sa réputation, « Un homme et une femme » ayant créé la légende du réalisateur comme celle de la ville de Deauville, et notamment sa réputation de ville romantique à tel point qu'il y a 10 ans, pendant le Festival du Cinéma Américain 2006, a été inaugurée une place Claude Lelouch, en sa présence et celle d'Anouk Aimée. J'étais présente ce jour-là et l'émotion et la foule étaient au rendez-vous.

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    Alors sans doute faîtes-vous partie de ceux qui adorent ou détestent Claude Lelouch, ses « instants de vérité », ses hasards et coïncidences. Rares sont ceux qu'il indiffère. Placez son nom dans une conversation et vous verrez. Quelle que soit la catégorie à laquelle vous appartenez, peut-être ce film « d'auteur » vous mettra-t-il d'accord...

    Le 13 septembre 1965, Claude Lelouch est désespéré, son dernier film ayant été un échec. Il prend alors sa voiture, roule jusqu'à épuisement en allant vers Deauville où il s'arrête à 2 heures du matin en dormant dans sa voiture. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture, étonné de la voir marcher avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera « Un homme et une femme ».

    Synopsis : Anne (Anouk Aimée), scripte, inconsolable depuis la mort de son mari cascadeur Pierre (Pierre Barouh), rencontre à Deauville, en allant chercher sa fille à la pension, un coureur automobile, Jean (Jean-Louis Trintignant), dont la femme s'est suicidée par désespoir. Jean raccompagne Anne à Paris. Tous deux sont endeuillés, et tous deux ont un enfant. C'est l'histoire d'un homme et d'une femme qui s'aiment, se repoussent, se retrouvent et s'aiment encore...

     J'ai vu ce film un grand nombre de fois, tout à l'heure encore et comme à chaque fois, avec le même plaisir, la même émotion, le même sentiment de modernité pour un film qui date de 1966, étonnant pour un cinéaste dont beaucoup de critiques raillent aujourd'hui le classicisme. Cette modernité est bien sûr liée à la méthode Claude Lelouch d'ailleurs en partie la conséquence de contraintes techniques et budgétaires. Ainsi, Lelouch n'ayant pas assez d'argent pour tourner en couleurs tournera les extérieurs en couleurs et les intérieurs en noir et blanc. Le montage et les alternances de noir et blanc et de couleurs jouent alors habilement avec les méandres du temps et de la mémoire émotive, entre le présent et le bonheur passé qui ressurgit sans cesse.

    Je ne sais pas si « le cinéma c'est mieux que la vie » mais en tout cas Claude Lelouch fait partie de ceux dont les films et surtout « Un homme et une femme » nous la font aimer.  Rares sont les films qui donnent à ce point la sensation de voir une histoire d'amour naître et vibrer sous nos yeux, d'en ressentir -partager, presque- le moindre battement de cœur ou le moindre frémissement de ses protagonistes, comme si la caméra scrutait les visages et les âmes. Par une main qui frôle une épaule si subtilement filmée. Par le plan d'un regard qui s'évade et s'égare. Par un sourire qui s'esquisse. Par des mots hésitants ou murmurés. Par la musique éternelle de Francis Lai (enregistrée avant le film) qui nous chavire le cœur. Par une photographie aux accents picturaux qui sublime Deauville filmée avec une lumière nimbée de mélancolie, des paysages qui cristallisent les sentiments de Jean-Louis et d'Anne, fragile et paradoxalement impériale, magistralement (dirigée et) interprétée par Anouk Aimée. Rares sont les films qui procurent cette impression de spontanéité, de vérité presque. Les fameux « instants de vérité » de Lelouch.

    Et puis il y a le charme incomparable du couple Anouk Aimée/ Jean-Louis Trintignant, le charme de leurs voix, notamment quand Jean-Louis Trintignant prononce « Montmartre 1540 ». Le charme et la maladresse des premiers instants cruciaux d'une histoire d'amour quand le moindre geste, la moindre parole peuvent tout briser. Et puis ces plans fixes, de Jean-Louis dans sa Ford Mustang (véritable personnage du film), notamment lorsqu'il prépare ce qu'il dira à Anne après qu'il ait reçu son télégramme. Et puis ces plans qui encerclent les visages et en capturent la moindre émotion. Ce plan de cet homme avec son chien qui marche dans la brume et qui  fait penser à Giacometti (pour Jean-Louis). Tant d'autres encore...

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     Avec « Un homme et une femme » Claude Lelouch a signé une histoire intemporelle, universelle avec un ton très personnel et poétique. La plus simple du monde et la plus difficile à raconter. Celle de la rencontre d'un homme et une femme, de la rencontre de deux solitudes blessées. Il prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires.

    Alors pour reprendre l'interrogation de Jean-Louis dans le film citant Giacometti « Qu'est-ce que vous choisiriez : l'art ou la vie » Lelouch, n'a certainement pas choisi, ayant réussi a insufflé de l'art dans la vie de ses personnages et de la vie dans son art. Voilà c'est de l'art qui transpire la vie.

    Alors que Claude Lelouch a tourné sans avoir de distributeur, sans même savoir si son film sortirait un jour, il obtint la palme d'or à Cannes en 1966, l'oscar du meilleur film étranger et celui du meilleur scénario et 42 récompenses au total et aujourd'hui encore de nombreux touristes viennent à Deauville grâce à « Un homme et une femme », le film, mais aussi sa musique mondialement célèbre. Vingt ans après, Claude Lelouch tourna une suite « Un homme et une femme 20 ans déjà » réunissant à nouveau les deux protagonistes. Je vous en parle très bientôt.

    Critique de UN + UNE de Claude Lelouch

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    En 1966, avec « Un homme et une femme », sa sublime histoire de la rencontre de deux solitudes blessées avec laquelle il a immortalisé Deauville, Claude Lelouch recevait la Palme d’or, l’Oscar du meilleur film étranger et du meilleur scénario parmi 42 récompenses … à 29 ans seulement ! Ce 45ème film de Claude Lelouch, presque cinquante ans plus tard raconte à nouveau l’histoire d’un homme et d’une femme et les années et les films qui séparent ces deux longs-métrages semblent n’avoir en rien entaché la fougue communicative, la réjouissante candeur, le regard enthousiaste, la curiosité malicieuse du cinéaste. Ni la fascination avec laquelle il regarde et révèle les acteurs. Les acteurs et la vie qu’il scrute et sublime. Bien que les critiques ne l’aient pas toujours épargné, il est en effet toujours resté fidèle à sa manière, singulière, de faire du cinéma, avec passion et sincérité, et fidélité, à la musique de Francis Lai, aux fragments de vérité, aux histoires d’amour éblouissantes, à sa vision romanesque de l’existence, à son amour inconditionnel du cinéma et de l’amour, à ses phrases récurrentes, à ses aphorismes, aux sentiments grandiloquents et à la beauté parfois terrible des hasards et coïncidences.

    Claude Lelouch est né avec la Nouvelle Vague qui ne l’a jamais reconnu sans doute parce que lui-même n’avait «pas supporté que les auteurs de la Nouvelle Vague aient massacré Clouzot,   Morgan, Decoin, Gabin », tous ceux qui lui ont fait aimer le cinéma alors qu’il trouvait le cinéma de la Nouvelle Vague « ennuyeux ». Et tous ceux qui m’ont fait aimer le cinéma. Avec son film « Roman de gare », les critiques l’avaient enfin épargné, mais pour cela il avait fallu que le film soit au préalable signé d’un autre nom que le sien. Peu m’importe. Claude Lelouch aime la vie. Passionnément. Sous le regard fiévreux et aiguisé de sa caméra, elle palpite. Plus qu’ailleurs. Et ce nouveau film ne déroge pas à la règle.

    Après Johnny Hallyday, Eddy Mitchell et Sandrine Bonnaire dans « Salaud, on t’aime », c’est un autre trio charismatique qui est à l’honneur dans ce nouveau film : Jean Dujardin, Elsa Zylberstein et Christophe Lambert (voire un quatuor avec Alice Pol). Son dernier film « Salaud, on t’aime » se rapprochait de « Itinéraire d’un enfant gâté », du moins en ce qu’il racontait l’histoire d’un homme à l’automne de sa vie, un autre « enfant gâté » passé à côté de l’essentiel et qui, contrairement au film précité, n’allait pas fuir sa famille mais tenter de la réunir. Ici, c’est finalement aussi d’un homme passé à côté non pas de sa vie mais de lui-même dont Lelouch nous raconte l’histoire, une histoire que j’attendais de découvrir depuis que j’avais vu cette affiche du film orner les murs de Cannes, lors du festival, en mai dernier.

    La manière dont le film est né ressemble déjà à un scénario de film de Claude Lelouch. Jean Dujardin et Elsa Zylberstein ont ainsi plusieurs fois raconté sa genèse. Le hasard qu’affectionne tant Claude Lelouch les a réunis sur le même vol entre Paris et Los Angeles lors duquel ils ont parlé de cinéma pendant des heures et notamment d’un film de Claude Lelouch, « Un homme qui me plaît », qu'ils adorent tous les deux. L'histoire d'amour entre un compositeur incarné par Jean-Paul Belmondo et une actrice incarnée par Annie Girardot qui tombent amoureux à l'autre bout du monde. Elsa Zylberstein a appelé Claude Lelouch et l’histoire était lancée, une histoire d’amour qui, eux aussi, les a emmenés à l’autre bout du monde…

    Jean Dujardin incarne ici le séduisant, pragmatique, talentueux Antoine. Antoine est compositeur de musiques de films. Antoine regarde la vie avec distance, humour et légèreté. Antoine est comme un enfant joueur et capricieux. D’ailleurs, il porte le prénom du petit garçon dans « Un homme et une femme ». Hasard ? Ou coïncidence ? Il part en Inde travailler sur une version très originale de « Roméo et Juliette » intitulée « Juliette et Roméo » et alors que sa compagne (Alice Pol) le demande en mariage par téléphone. A l’occasion d’une soirée donnée en son honneur à l’Ambassade de France, il rencontre la pétillante Anna (Elsa Zylberstein), la femme de l’ambassadeur (Christophe Lambert), aussi mystique qu’il est pragmatique, une femme qui, en apparence, ne lui ressemble en rien, pourtant, dès ce premier soir, entre ces deux-là, semble régner une magnétique connivence. Cette rencontre va les entraîner dans une incroyable aventure. Et le spectateur avec eux.

    Ce que j’aime par-dessus tout dans les films de Claude Lelouch, ce sont ces personnages, toujours passionnément vivants. Dans chacun de ses films, la vie est un jeu. Sublime et dangereux. Grave et léger. Un jeu de hasards et coïncidences. Le cinéma, son cinéma, l’est aussi. Et dans ce film plus que dans tout autre de Claude Lelouch. Le fond et la forme coïncident ainsi en une ludique mise en abyme. Le film commence par l’histoire d’un voleur qui va inspirer le film dont Antoine a composé la musique et dont les images jalonnent le film…de Lelouch. Le présent, le passé et le rêve s’entrelacent constamment pour peu à peu esquisser le portrait des deux protagonistes, pour se jouer de notre regard sur eux et sur la beauté troublante des hasards de la vie.

    Cela commence par des images de l’Inde, fourmillante, colorée, bouillonnante de vie dont la caméra de Lelouch, admirative, caresse l’agitation multicolore. Prémisses d’un voyage au pays « du hasard » et « de l’éternité. » Un voyage initiatique. Puis, il nous raconte une première histoire. Celle du voleur qui sauve sa victime, et de leur histoire d’amour. Celle du film dans le film. Un miroir de celle d’Anne et d’Antoine. Presque un conte. D’ailleurs, devant un film de Lelouch, j’éprouve la sensation d’être une enfant aux yeux écarquillés à qui on raconte une fable. Ou plein d’histoires puisque ce film est une sorte de poupée russe. Oui, une enfant à qui on rappelle magnifiquement les possibles romanesques de l’existence.

    Ensuite, Antoine rencontre Anna lors du dîner à l’ambassade. Antoine pensait s’ennuyer et le dit et le clame, il passe un moment formidable et nous aussi, presque gênés d’assister à cette rencontre, leur complicité qui crève les yeux et l’écran, leur conversation fulgurante et à l’image de l’Inde : colorée et bouillonnante de vie. Il suffirait de voir cet extrait pour deviner d’emblée qu’il s’agit d’un film de Lelouch. Cette manière si particulière qu’ont les acteurs de jouer. Ou de ne pas jouer. Vivante. Attendrissante. Saisissante de vérité. En tout cas une scène dans laquelle passe l’émotion à nous en donner le frisson. Comme dans chacun des tête-à-tête entre les deux acteurs qui constituent les meilleurs moments du film, dans lesquels leurs mots et leurs silences combattent en vain l’évidente alchimie. Ils rendent leurs personnages aussi attachants l’un que l’autre. Le mysticisme d’Anna. La désinvolture et la sincérité désarmante d’Antoine avec ses irrésistibles questions que personne ne se pose. Antoine, l’égoïste « amoureux de l’amour ».

    Comme toujours et plus que jamais, ses acteurs, ces deux acteurs, la caméra de Lelouch les aime, admire, scrute, sublime, magnifie, révèle, caresse presque, exacerbe leur charme fou. Ce film comme chaque film de Lelouch comporte quelques scènes d’anthologie. Dans son précédent film « Salaud, on t’aime », les deux amis Kaminsky/Johnny et Selman/ Eddy nous rejouaient « Rio Bravo » et c’était un régal. Et ici, chacun des échanges entre Antoine et Anna l’est aussi. Comme dans tout film de Lelouch aussi les dialogues sont parsemés de petites phrases dont certaines reviennent d’un film à l’autre, souvent pour nous rappeler les « talents du hasard » :

    « Mon agent, c’est le hasard. »

    « Mon talent, c’est la chance. »

    « Le pire n’est jamais décevant. »

     Ce film dans lequel l’amour est l’unique religion est une respiration salutaire a fortiori en cette période bien sombre. Un hymne à l’amour, à la tolérance, au voyage aussi bigarrés et généreux que le pays qu’il nous fait traverser. Un joyeux mélange de couleurs, de fantaisie, de réalité rêvée ou idéalisée, évidemment souligné et sublimé par le lyrisme de la musique du fidèle Francis Lai (retrouvez mon récit de la mémorable master class commune de Lelouch et Lai au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2014, ici) et celle de la Sérénade de Schubert (un peu trop utilisée par les cinéastes ces temps-ci mais c’est celle que je préfère donc je ne m’en lasse pas), par des acteurs que le montage inspiré, la musique lyrique, la photographie lumineuse ( de Robert Alazraki), le scénario ingénieux (signé Valérie Perrin et Claude Lelouch), et l’imparable et incomparable direction d’acteurs de Lelouch rendent plus séduisants, convaincants, flamboyants et vibrants de vie que jamais.

     Une « symphonie du hasard » mélodieuse, parfois judicieusement dissonante, émouvante et tendrement drôle avec des personnages marquants parce que là comme ils le sont rarement et comme on devrait toujours essayer de l’être : passionnément vivants. Comme chacun des films de Lelouch l’est, c’est aussi une déclaration d’amour touchante et passionnée. Au cinéma. Aux acteurs. A la vie. A l’amour. Aux hasards et coïncidences. Et ce sont cette liberté et cette naïveté presque irrévérencieuses qui me ravissent. Dans la vie. Au cinéma. Dans le cinéma de Lelouch qui en est la quintessence. Vous l’aurez compris, je vous recommande ce voyage en Inde !

     Critique de SALAUD, ON T'AIME de Claude Lelouch

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    Avec sa dernière fiction, « Ces amours-là », Lelouch signait une fresque nostalgique, une symphonie qui s’achevait sur une note d’espoir, la bande originale de son existence cinématographique (qui évitait l’écueil du narcissisme) en guise de remerciements au cinéma, à la musique, à son public, à ses acteurs. Un film qui mettait en exergue les possibles romanesques de l’existence. Un film jalonné de moments de grâce, celle des acteurs avant tout à qui ce film était une déclaration d’amour émouvante et passionnée.

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     Cette dernière réalisation qu’est « Salaud, on t’aime » se rapproche peut-être davantage de « Itinéraire d’un enfant gâté », du moins en ce qu’elle raconte l’histoire d’un homme à l’automne de sa vie, un autre « enfant gâté » qui est peut-être passé à côté de l’essentiel et qui, contrairement au film précité, ne va pas fuir sa famille, mais au contraire tenter de la réunir.

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     Jacques Kaminsky (Johnny Hallyday) est ainsi un photographe de guerre et père absent, qui s'est plus occupé de son appareil photo (enfin plutôt de son impressionnante collection d’appareils photos) que de ses 4 filles (de 4 mères différentes) nommées Printemps (Irène Jacob), Eté (Pauline Lefèvre), Automne (Sarah Kazemy –révélée par le magnifique « En secret » de Maryam Keshavarz ) et Hiver (Jenna Thiam). Avec l’espoir de les réunir, il décide d’acquérir une maison dans les Alpes dont il tombe amoureux en même temps que de celle qui la lui fait visiter,   Nathalie Béranger (Sandrine Bonnaire). Tout va se compliquer encore un peu plus quand son meilleur ami, Frédéric Selman (Eddy Mitchell) va tenter de le réconcilier avec sa famille en leur racontant un terrible mensonge.

     

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    Avec « Salaud, on t’aime », Claude Lelouch signe son 44ème film. Les réalisations et les années n’ont pourtant pas entamé la jeunesse et la modernité de son cinéma. Ni la curiosité, l’admiration, la fascination avec lesquelles il regarde et révèle les acteurs. Les acteurs et la vie qu’il scrute et sublime. Dès ce premier plan avec le beau visage buriné de Johnny Hallyday et derrière lui les pages d’un livre (écrit par sa fille) qui se consume, j’étais déjà happée. Et les pages de cet autre livre qui se tournent et montrent et rendent hommage au photographe de guerre qu’est Kaminsky, à tous les photographes de guerre et aux horreurs (et quelques bonheurs) de l’Histoire qu’ils ont immortalisées, souvent au péril de leur vie. Deux livres. Deux faces d’un même homme. Peut-être un peu le double de Claude Lelouch qui fut lui-même photographe de guerre à ses débuts.

     Dès les premiers plans du film règne à la fois une atmosphère tranquille et inquiétante à l’image de  celle de cette maison gardée par un  aigle majestueux, sublime, clairvoyant, là comme une douce menace, comme si tout pouvait basculer d’un instant à l’autre dans le drame ou le thriller. Le cinéma de Claude Lelouch ne rentre dans aucune case, situé à la frontière des genres. Ou si: il rentre dans un genre, celui d’un film de Lelouch, tout simplement. Et c’est ce que j’aime par-dessus tout : celle liberté, cet atypisme que j’ai retrouvés dans ce film.  Claude Lelouch est né avec la Nouvelle Vague qui ne l’a jamais reconnu sans doute parce que lui-même  n’avait « pas supporté que les auteurs de la Nouvelle Vague aient massacré Clouzot,   Morgan, Decoin, Gabin », tous ceux qui lui ont fait aimer le cinéma alors qu’il trouvait le cinéma de la Nouvelle Vague « ennuyeux ». Et tous ceux qui M’ont fait aimer le cinéma. 

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     A l’image de ses autres films, sans doute celui-ci agacera-t-il ses détracteurs pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles il m’a enchantée. Ses citations sur la vie, la mort, l’amour, l’amitié :

    - « Un ami c’est quelqu’un qui te connait très bien et qui t’aime quand même »,

    -« Qu’est-ce que vous préférez le plus au monde, à part votre appareil photo ? Le juste milieu. L’équilibre. Vous savez comme ces types qui viennent de traverser le Grand Canyon sur un fil. »

    C’est d’ailleurs ce qui pourrait définir le cinéma de Lelouch. Et ce film. La vie aussi. Et ce qui les rend si singuliers, palpitants et attachants. Cette impression d’être sur un fil, sur le fil, au bord du précipice.

    Comme toujours chez Claude Lelouch, la musique est judicieusement choisie entre le sublime jazz d’Ella Fitzgerald et Louis Armstrong, la chanson "Les eaux de mars" de Georges Moustaki, ou encore les "Quatre saisons" de Vivaldi repris par les compositeurs du film, le fidèle Francis Lai et Christian Gaubert.

    Et puis il y a les acteurs. Ces acteurs que la caméra de Lelouch aime, scrute, sublime, magnifie, révèle, caresse presque. D’abord, Johnny Hallyday qui n’a pas besoin d’en faire des tonnes pour être ce personnage. Son visage et sa prestance racontent déjà une histoire. Il n’a pas besoin d’en faire ou dire beaucoup pour imposer son personnage grâce à sa forte personnalité, un mélange de douceur,  de douleur, de force, de fragilité, de liberté, d’humanité, de rudesse et de tendresse. Et pour l’avoir vu (et revu) sur scène, que ce rôle lui ait été attribué me semble une évidence tant il est et joue sur scène et sait capter et captiver l’attention d’un regard. Leconte dans « L’homme du train » (à mon avis le meilleur film avec Johnny Hallyday) avait déjà compris cet énorme potentiel. Johnny Hallyday avait d’ailleurs déjà tourné sous la direction de Claude Lelouch en 1972 pour « L’Aventure c’est l’Aventure » où il jouait son propre rôle aux côtés de Lino Ventura et Jacques Brel. Ce rôle de Kaminsky semble avoir été écrit pour lui et pourtant il n’était initialement pas pressenti pour jouer le rôle principal de « Salaud, on t'aime ». Le plus sidérant est que Lelouch a dû l’imposer: « Aucune chaîne de télévision ne voulait faire un film avec Johnny et moi, aucune assurance n’a voulu nous suivre, les coproducteurs, les distributeurs, tout le monde s’est montré frileux. » Il y a eu Annie Girardot dans « Les Misérables », Jean-Paul Belmondo dans « Itinéraire d’une enfant gâté »  Tant d’autres… Il y aura désormais Johnny Hallyday dans « Salaud, on t’aime ». De fortes personnalités qui, plus que d’incarner des rôles, les imprègnent et les révèlent. Les réveillent même.

    A ses côtés, il y a Sandrine Bonnaire avec qui il forme un couple évident. Solaire Sandrine Bonnaire avec son sourire lumineux et empathique et dont on comprend qu’il en tombe immédiatement amoureux.

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    Et puis les 4 « saisons » dont la photographie reflète judicieusement les caractères au premier rang desquelles Jenna Thiam (Hiver Kaminsky), révélation du film à qui sont dévolues les plus belles partitions. Le temps d’un dialogue dans une voiture qui pourrait constituer à elle seule un court-métrage, Lelouch nous montre quel directeur d’acteurs et quel conteur d’histoire il est.  Les « seconds » rôles ne sont pas en reste : Isabelle de Hertogh, Rufus, Agnès Soral, Valérie Kaprisky, Jacky Ido, Antoine Duléry…

     Enfin, dernier personnage ici (et non des moindres !): la nature, sublime et sublimée elle aussi, à laquelle ce film est aussi un véritable hymne et qui varie subtilement au gré des saisons.

     

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    « Chaque nouvelle invention modifie l’écriture cinématographique. Mes gros plans c’est ma dictature, et les plans larges c’est ma démocratie, et pas de plan moyen. » avait-il dit lors du débat succédant à la projection du documentaire « D’un film à l’autre ». Ce nouveau film ne déroge pas à la règle. Une scène de repas est ainsi particulièrement réussie me faisant songer à celles qu'affectionnait Claude Sautet qui lui aussi aimait tant ces scènes mais aussi, comme Lelouch, raconter la vie. Notre vie.

     Ce film comme chaque film de Lelouch comporte quelques scènes d’anthologie. Celle pendant laquelle les deux amis Kaminsky/Johnny et Selman/ Eddy refont « Rio Bravo » est un régal. Mais aussi, à l’opposé, ce brusque basculement du film (que je ne vous révélerai évidemment pas) qui m’a bouleversée.  Il n’y a que lui pour oser. De même qu’il n’y a que lui pour oser appeler les 4 filles d’un personnage Printemps, Eté, Automne et Hiver. Et ce sont cette liberté presque irrévérencieuse, cette audace, qui me ravissent. Dans la vie. Au cinéma. Dans le cinéma de Lelouch qui en est la quintessence. La quintessence des deux.

    Lelouch, dans ce nouveau film coécrit avec Valérie Perrin,  raconte la vie, avec tout ce qu’elle comporte de beauté tragique ou de belle cruauté, de douleurs ineffables aussi, ses paradoxes qui la rendent si fragile et précieuse. En quelques plans, ou même en un plan d’une silhouette, il exprime la douleur indicible de l’absence. Mais c’est aussi et avant tout un film magnifique sur l’amitié et ses mensonges parfois nécessaires, sur le le pardon aussi…sans oublier ces « hasards et coïncidences » qu’affectionne le cinéaste. Ce hasard qui «  a du talent » à l’image de celui qui en a fait un de ses thèmes de prédilection.   Malgré son titre, peut-être son film le plus tendre, aussi.

     Je ne sais pas si le cinéma comme "le bonheur, c'est mieux que la vie » mais en tout cas Claude Lelouch fait partie de ceux dont les films nous la font voir en gros plans majestueux, parfois sans fards, avec une redoutablement sublime vérité, et qui nous la font aimer ardemment.   Et ce nouveau film porté par des acteurs solaires, un montage ingénieux, une musique judicieuse, une photographie émouvante ne déroge par à la règle. Le juste milieu entre légèreté et gravité. Les fragments de vérité et les fragments de mensonges. La vie et le cinéma.

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  • Critique - "Le Guépard" de Luchino Visconti (palme d'or 1963)

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    Après "Le ruban blanc" de Michael Haneke et "Un homme et une femme" de Claude Lelouch, je poursuis aujourd'hui mes critiques d'anciennes palmes d'or du Festival de Cannes avec un film projeté au Festival l'an dernier, en version restaurée, lors d'une projection riche en émotions,  palme d'or du Festival de Cannes 1963 et accessoirement mon film préféré (ou en tout cas un de ceux figurant dans le tiercé gagnant) : "Le Guépard" de Luchino Visconti. Ci-dessous, mon récit de cette soirée mémorable et ma critique du film.

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    Parmi mes très nombreux souvenirs du Festival de Cannes, celui de ce soir restera sans aucun doute un des plus émouvants et inoubliables. Ce soir, dans le cadre de Cannes Classics était en effet projetée la version restaurée du chef d'œuvre de Luchino Visconti « Le Guépard », palme d'or du Festival 1963. Un des films à l'origine de ma passion pour le cinéma avec  l'acteur que j'admire le plus (et tant pis pour ceux qu'il horripile... qu'ils me trouvent juste un seul acteur ayant tourné autant de chefs d'œuvre de « Rocco et ses frères » à « Monsieur Klein » en passant par « Le Cercle rouge » , « La Piscine » et tant d'autres...).

     

     Alors que nous étions très peu nombreux dans la file presse et que, en face, dans la file Cannes cinéphiles on se bousculait tout le monde a finalement pu entrer. J'avais une place de choix puisque juste à côté de moi figurait un siège sur lequel était écrit  Martin Scorsese  et devant  Alain Delon et Claudia Cardinale! Tandis que les premiers invités commençaient à arriver (Benicio Del Toro, Kate Beckinsale, Aishwarya Rai puis Salma Hayek, Juliette Binoche...), la fébrilité était de plus en plus palpable dans la salle. Avec son humour et son enthousiasme légendaires, Thierry Frémaux est venu prévenir que Martin Scorsese était retenu dans les embouteillages en ajoutant qu'Alain Delon avait tenu à préciser que lui n'était pas en retard.

     Puis Martin Scorsese est enfin sorti des embouteillages pour monter sur scène ( réalisateur du plus grand film de cette année « Shutter island », à voir absolument) pour parler de ce film si important pour lui. Puis ce fut au tour d'Alain Delon et Claudia Cardinale de monter sur scène. Tous deux émus, Alain Delon aussi nostalgique que Claudia Cardinale semblait enjouée. Je vous laisse découvrir cet instant que j'ai intégralement filmé. Puis, ils se sont installés, juste devant moi et le film, ce film que j'ai vu tant de fois a commencé.

    Quelle étrange sensation de le découvrir enfin sur grand écran, tout en voyant ses acteurs au premier plan, juste devant moi, en chair et en os. Aussi fascinant et somptueux soit « Le Guépard » (et ce soir il m'a à nouveau et plus que jamais éblouie) mon regard ne pouvait s'empêcher de dévier vers Delon et Cardinale. Instant irréel où l'image de la réalité se superposait à celle de l'écran. Je ne pouvais m'empêcher d'essayer d'imaginer leurs pensées. Claudia Cardinale qui semblait littéralement transportée (mais avec gaieté) dans le film, tapant des mains, se tournant vers Alain Delon, lorsque des scènes, sans doute, lui rappelait des souvenirs particuliers, riant aussi souvent, son rire se superposant même sur la célèbre cavalcade de celui d'Angelica dans la scène du dîner. Et Alain Delon, qui regardait l'écran avec tant de solennité, de nostalgie, de tristesse peut-être comme ailleurs, dans le passé, comme  s'il voyait une ombre du passé ressurgie en pleine lumière, pensant, probablement,  comme il le dit souvent, à ceux qui ont disparu : Reggiani, Lancaster, Visconti....

    Delon et Cardnale plus humains sans doute que ces êtres d'une beauté irréelle sur l'écran et qu'ils ont incarnés mais aussi beaux et touchants. D'autant plus troublant que la scène de la réalité semblait faire étrangement écho à celle du film qui raconte  la déliquescence d'un monde, la nostalgie d'une époque. Comme si Delon était devenu le Prince Salina (incarné par Lancaster dans le film) qui regarde avec mélancolie une époque disparaître. J'avais l'impression de ressentir leur émotions, ce  qui, ajouté, à celle que me procure immanquablement ce film, a fait de cet instant un moment magique de vie et de cinéma entremêlés, bouleversant. 

     Je n'ai pas vu passer les trois heures que dure le film dont la beauté, la modernité, la richesse, la complexité mais aussi la vitalité, l'humour  (c'était étonnant d'entendre ainsi la salle rire) me sont apparus plus que jamais éclatants et surtout inégalés. 47 ans après, quel film a pu rivaliser ? Quel film contient des plans séquences aussi voluptueux ? Des plans aussi somptueux ? On comprend aisément pourquoi le jury lui a attribué la palme d'or à l'unanimité !

    Hypnotisée par ces images confuses de réalité et de cinéma superposées, de splendeur visuelle, de mélancolie, de nostalgie, je suis repartie avec dans ma poche la lettre destinée à Alain Delon parlant du scénario que j'aimerais lui soumettre, mais sans regrets : il aurait été maladroit, voire indécent de lui donner à cet instant si intense, particulier. Et encore maintenant il me semble entendre la valse qui a sublimé Angelica et Tancrède,  et d'en ressentir toute la somptuosité nostalgique...  Cette phrase prononcée par Burt Lancaster dans « Le Guépard » pourrait ainsi peut-être être désormais prononcée par ceux qui ont joué à ses côtés, il y a 47 ans déjà  : « Nous étions les Guépards, les lions, ceux qui les remplaceront seront les chacals, les hyènes, et tous, tant que nous sommes, guépards, lions, chacals ou brebis, nous continuerons à nous prendre pour le sel de la terre ».


     Ma critique du « Guépard » de Luchino Visconti

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    En 1860, en Sicile, tandis que Garibaldi et ses chemises rouges débarquent pour renverser la monarchie des Bourbons de Naples et l’ancien régime, le prince Don Fabrizio Salina (Burt Lancaster) ainsi que sa famille et son confesseur le Père Pirrone (Romolo Valli), quitte ses domaines pour son palais urbain de Donnafigata, tandis que son neveu Tancrède rejoint les troupes de Garibaldi. Tancrède s’éprend d’Angelica, (Claudia Cardinale), la fille du riche maire libéral  de Donnafugata : Don Calogero. Le Prince Salina s’arrange pour qu’ils puissent se marier. Après l’annexion de la Sicile au royaume d’Italie, Tancrède qui s’était engagé aux côtés des Garibaldiens les abandonne pour rejoindre l’armée régulière…

    Les premiers plans nous montrent une allée qui mène à une demeure, belle et triste à la fois. Les allées du pouvoir. Un pouvoir beau et triste, lui aussi. Triste car sur le déclin, celui de l’aristocratie que symbolise le Prince Salina. Beau car fascinant comme l’est le prince Salina et l’aristocratie digne qu’il représente. Ce plan fait écho à celui de la fin : le prince Salina avance seul, de dos, dans des ruelles sombres et menaçantes puis il s’y engouffre comme s’il entrait dans son propre tombeau. Ces deux plans pourraient résumer l’histoire, l’Histoire, celles d’un monde qui se meurt. Les plans suivants nous emmènent à l’intérieur du domaine, nous offrant une vision spectrale et non moins sublime de cette famille. Seuls des rideaux blancs dans lesquels le vent s’engouffre apportent une respiration, une clarté dans cet univers somptueusement sombre. Ce vent de nouveauté annonce l’arrivée de Tancrède, Tancrède qui apparaît dans le miroir dans lequel Salina se mire.  Son nouveau visage. Le nouveau visage du pouvoir. Le film est à peine commencé et déjà son image est vouée à disparaître. Déjà la fin est annoncée. Le renouveau aussi.

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    Fidèle adaptation d’un roman écrit en 1957 par Tomasi di Lampedusa, Le Guépard témoigne d’une époque représentée par cette famille aristocrate pendant le Risorgimento, « Résurrection » qui désigne le mouvement nationaliste idéologique et politique qui aboutit à la formation de l’unité nationale entre 1859 et 1870. Le Guépard est avant tout l’histoire du déclin de l’aristocratie et de l’avènement de la bourgeoisie, sous le regard et la présence félins, impétueux, dominateurs du Guépard, le prince Salina. Face à lui, Tancrède est un être audacieux, vorace, cynique, l’image de cette nouvelle ère qui s’annonce.

    medium_guepard4.JPGLa scène du fastueux bal qui occupe un tiers du film est aussi la plus célèbre, la plus significative, la plus fascinante. Elle marque d'abord par sa magnificence et sa somptuosité :  somptuosité des décors, soin du détail du Maestro Visconti qui tourna cette scène en huit nuits parmi 300 figurants. Magnificence du couple formé par Tancrède et Angelica, impériale et rayonnante dans sa robe blanche. Rayonnement du couple qu’elle forme en dansant avec Salina, aussi.  La fin du monde de Salina est proche mais le temps de cette valse, dans ce décor somptueux, le temps se fige. Ils nous font penser à cette réplique de Salina à propos de la Sicile : "cette ombre venait de cette lumière". Tancrède regarde avec admiration, jalousie presque, ce couple qui représente pourtant la déchéance de l’aristocratie et l’avènement de la bourgeoisie. Un suicide de l'aristocratie même puisque c’est Salina qui scelle l’union de Tancrède et Angelica, la fille du maire libéral, un mariage d’amour mais aussi et avant tout de raison entre deux univers, entre l'aristocratie et la bourgeoisie. Ces deux mondes se rencontrent et s’épousent donc aussi le temps de la valse d’Angelica et Salina. Là, dans le tumulte des passions, un monde disparaît et un autre naît. Ce bal est donc aussi remarquable par ce qu’il symbolise : Tancrède, autrefois révolutionnaire, se rallie à la prudence des nouveaux bourgeois tandis que Salina, est dans une pièce à côté, face à sa solitude, songeur,  devant un tableau de Greuze, la Mort du juste, faisant « la cour à la mort » comme lui dira ensuite magnifiquement Tancrède.

    Angelica, Tancrède et Salina se retrouvent ensuite dans cette même pièce face à ce tableau morbide alors qu’à côté se fait entendre la musique joyeuse et presque insultante du bal. L’aristocratie vit ses derniers feux mais déjà la fête bat son plein. Devant les regards attristés et admiratifs de Tancrède et Angelica, Salina s’interroge sur sa propre mort. Cette scène est pour moi une des plus intenses de ce film qui en comptent pourtant tant qui pourraient rivaliser avec elle. Les regards lourds de signification qui s’échangent entre eux trois, la sueur qui perle sur les trois visages, ce mouchoir qu’ils s’échangent pour s’éponger en font une scène d’une profonde cruauté et sensualité où entre deux regards et deux silences, devant ce tableau terriblement prémonitoire de la mort d’un monde et d’un homme, illuminé par deux bougies que Salina a lui-même allumées comme s’il admirait, appelait, attendait sa propre mort, devant ces deux êtres resplendissants de jeunesse, de gaieté, de vigueur, devant Salina las mais toujours aussi majestueux, plus que jamais peut-être, rien n’est dit et tout est compris.

    medium_guepard3.JPG Les décors minutieusement reconstitués d’ une beauté visuelle sidérante, la sublime photo de Giuseppe Rotunno, font de ce Guépard une véritable fresque tragique, une composition sur la décomposition d’un monde, dont chaque plan se regarde comme un tableau, un film mythique à la réputation duquel ses voluptueux plans séquences (notamment la scène du dîner pendant laquelle résonne le rire interminable et strident d’Angelica comme une insulte à l’aristocratie décadente, au cour duquel se superposent des propos, parfois à peine audibles, faussement anodins, d’autres vulgaires, une scène autour de laquelle la caméra virevolte avec virtuosité, qui, comme celle du bal, symbolise la fin d’une époque), son admirable travail sur le son donc, son travail sur les couleurs (la séquence dans l’Eglise où les personnages sont auréolés d’une significative lumière grise et poussiéreuse ) ses personnages stendhaliens, ses seconds rôles judicieusement choisis (notamment Serge Reggiani en chasseur et organiste), le charisme de ses trois interprètes principaux, la noblesse féline de Burt Lancaster, la majesté du couple Delon-Cardinale, la volubilité, la gaieté et le cynisme de Tancrède formidablement interprété par Alain Delon, la grâce de Claudia Cardinale, la musique lyrique, mélancolique et ensorcelante de Nino Rota ont également contribué à faire de cette fresque romantique, engagée, moderne, un chef d’œuvre du septième Art. Le Guépard a ainsi obtenu la Palme d’or 1963… à l’unanimité.

     La lenteur envoûtante dont est empreinte le film métaphorise la déliquescence du monde qu’il dépeint. Certains assimileront à de l’ennui ce qui est au contraire une magistrale immersion  dont on peinera ensuite à émerger hypnotisés par l’âpreté lumineuse de la campagne sicilienne, par l’écho du pesant silence, par la beauté et la splendeur stupéfiantes de chaque plan. Par cette symphonie visuelle cruelle, nostalgique et sensuelle l’admirateur de Proust qu’était Visconti nous invite à l’introspection et à la recherche du temps perdu.

    La personnalité du Prince Salina devait beaucoup à celle de Visconti, lui aussi aristocrate, qui songea même à l’interpréter lui-même, lui que cette aristocratie révulsait et fascinait à la fois et qui, comme Salina, aurait pu dire : « Nous étions les Guépards, les lions, ceux qui les remplaceront seront les chacals, les hyènes, et tous, tant que nous sommes, guépards, lions, chacals ou brebis, nous continuerons à nous prendre pour le sel de la terre ».

    Que vous fassiez partie des guépards, lion, chacals ou brebis, ce film est un éblouissement inégalé par lequel je vous engage vivement à vous laisser hypnotiser...

    Retrouvez également mes critique de "Rocco et ses frères" et de "Ludwig ou le crépuscule des Dieux" de Visconti.

     

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  • Critique "Le Ruban blanc" de Michael Haneke, palme d'or du Festival de Cannes 2009

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    Je poursuis cette nouvelle rubrique consacrée aux critiques de films ayant obtenu la palme d'or dont vous pouvez retrouver la liste ici. Après "Un homme et une femme" de Claude Lelouch (palme d'or 1966), je vous propose maintenant la critique du film de Michael Haneke qui a obtenu la palme d'or en 2009 "Le ruban blanc", après son prix de la mise en scène, en 2005, pour "Caché". J'en profite pour vous rappeler que le directeur de casting attitré de Michael Haneke, Markus Schleinzer, présentera cette année son premier film en compétition: "Michael".

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    Synopsis : Un village de l’Allemagne du Nord à la veille de la Première Guerre Mondiale. Un instituteur raconte l’histoire d’étranges incidents qui surviennent dans la petite communauté protestante formée par les élèves et leurs familles. Peu à peu, d’autres accidents surviennent et prennent l’allure d’un rituel primitif.

     

    Quel qu’en soit l’enjeu  et aussi âpre soit-elle, Haneke a le don de créer une atmosphère quasi hypnotique, et de vous y plonger. L’admiration pour la perfection formelle  l’emporte toujours sur le rejet de l’âpreté, sur cette froideur qui devrait pourtant nous tenir à distance, mais qui aiguise notre intérêt, notre curiosité. La somptuosité glaciale  et glaçante de la réalisation, la perfection du cadre et des longs plans fixes où rien n’est laissé au hasard sont aussi paralysants que l’inhumanité qui émane des personnages qui y évoluent.

     

    Derrière ce noir et blanc, ces images d’une pureté étrangement parfaite,  à l’image de ces chérubins blonds symboles d’innocence et de pureté (que symbolise aussi le ruban blanc qu’on leur force à porter) se dissimulent la brutalité et la cruauté.

     

    L’image se fige à l’exemple de cet ordre social archaïquement hiérarchisé, et de cette éducation rigoriste et puritaine dont les moyens sont plus cruels que les maux qu’elle est destinée prévenir et qui va provoquer des maux plus brutaux encore que ceux qu’elle voulait éviter. La violence, au lieu d’être réprimé, s’immisce insidieusement pour finalement imposer son impitoyable loi. Cette violence, thème cher à Haneke, est toujours hors champ, « cachée », et encore plus effrayante et retentissante.

     

    Ce ruban blanc c’est le symbole d’une innocence ostensible qui dissimule la violence la plus insidieuse et perverse. Ce ruban blanc c’est le signe ostentatoire d’un passé et de racines peu glorieuses qui voulaient se donner le visage de l’innocence. Ce ruban blanc, c’est le voile symbolique de l’innocence qu’on veut imposer pour nier la barbarie, et ces racines du mal qu’Haneke nous  fait appréhender avec effroi par l’élégance moribonde du noir et blanc.

     

    Ces châtiments que la société inflige à ses enfants en évoquent d’autres que la société infligera à plus grande échelle, qu’elle institutionnalisera même pour donner lieu à l’horreur suprême, la barbarie du XXème siècle. Cette éducation rigide va enfanter les bourreaux du XXème siècle dans le calme, la blancheur immaculée de la neige d’un petit village a priori comme les autres.

     

    La forme démontre alors toute son intelligence, elle nous séduit d’abord pour nous montrer toute l’horreur qu’elle porte en elle et dissimule à l’image de ceux qui portent ce ruban blanc.

     

    Que dire de l’interprétation ? Elle est aussi irréprochable. Les enfants jouent avec une innocence qui semble tellement naturelle que l’horreur qu’ils recèlent en devient plus terrifiante encore.

     

    Avec une froideur et un ascétisme inflexibles, avec une précision quasi clinique, avec une cruauté tranchante et des dialogues cinglants, avec une maîtrise formelle fascinante,  Haneke poursuit son examen de la violence en décortiquant ici les racines du nazisme, par une démonstration implacable et saisissante. Une œuvre inclassable malgré ses accents bergmaniens.

     

    Un film à voir absolument. L'oeuvre austère, cruelle, dérangeante, convaincante, impressionnante d'un grand metteur en scène.

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  • Critique de "Un homme et une femme" de Claude Lelouch, palme d'or du Festival de Cannes 1966

    Je commence ma série de critiques de palmes d'or du Festival de Cannes avec "Un homme et une femme" de Claude Lelouch, palme d'or ex-aequo avec "Ces messieurs dames" de Pietro Germo, en 1966.  J'en profite pour vous rappeler que le documentaire  sur les 50 ans de carrière de Claude Lelouch "D'un film à l'autre" est actuellement à l'affiche et que vous pouvez en retrouver ma critique, ici.

     

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    Je ne sais plus très bien si j'ai vu ce film avant d'aller à Deauville, avant que cette ville soit indissociablement liée à tant d'instants de mon existence, ou bien si je l'ai vu après, après que mon premier séjour à Deauville, il y a 17 ans, ait modifié le cours de mon « destin »... Toujours est-il qu'il est impossible désormais de dissocier Deauville du film de Claude Lelouch qui a tant fait pour sa réputation, « Un homme et une femme » ayant créé la légende du réalisateur comme celle de la ville de Deauville, et notamment sa réputation de ville romantique à tel point qu'il y a 4 ans, pendant le Festival du Cinéma Américain 2006, a été inaugurée une place Claude Lelouch, en sa présence et celle d'Anouk Aimée. J'étais présente ce jour-là et l'émotion et la foule étaient au rendez-vous.

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    Alors sans doute faîtes-vous partie de ceux qui adorent ou détestent Claude Lelouch, ses « instants de vérité », ses hasards et coïncidences. Rares sont ceux qu'il indiffère. Placez son nom dans une conversation et vous verrez. Quelle que soit la catégorie à laquelle vous appartenez, peut-être ce film « d'auteur » vous mettra-t-il d'accord...

    Le 13 septembre 1965, Claude Lelouch est désespéré, son dernier film ayant été un échec. Il prend alors sa voiture, roule jusqu'à épuisement en allant vers Deauville où il s'arrête à 2 heures du matin en dormant dans sa voiture. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture, étonné de la voir marcher avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera « Un homme et une femme ».

    Synopsis : Anne (Anouk Aimée), scripte, inconsolable depuis la mort de son mari cascadeur Pierre (Pierre Barouh), rencontre à Deauville, en allant chercher sa fille à la pension, un coureur automobile, Jean (Jean-Louis Trintignant), dont la femme s'est suicidée par désespoir. Jean raccompagne Anne à Paris. Tous deux sont endeuillés, et tous deux ont un enfant. C'est l'histoire d'un homme et d'une femme qui s'aiment, se repoussent, se retrouvent et s'aiment encore...

     J'ai vu ce film un grand nombre de fois, tout à l'heure encore et comme à chaque fois, avec le même plaisir, la même émotion, le même sentiment de modernité pour un film qui date de 1966, étonnant pour un cinéaste dont beaucoup de critiques raillent aujourd'hui le classicisme. Cette modernité est bien sûr liée à la méthode Claude Lelouch d'ailleurs en partie la conséquence de contraintes techniques et budgétaires. Ainsi, Lelouch n'ayant pas assez d'argent pour tourner en couleurs tournera les extérieurs en couleurs et les intérieurs en noir et blanc. Le montage et les alternances de noir et blanc et de couleurs jouent alors habilement avec les méandres du temps et de la mémoire émotive, entre le présent et le bonheur passé qui ressurgit sans cesse.

    Je ne sais pas si « le cinéma c'est mieux que la vie » mais en tout cas Claude Lelouch fait partie de ceux dont les films et surtout « Un homme et une femme » nous la font aimer.  Rares sont les films qui donnent à ce point la sensation de voir une histoire d'amour naître et vibrer sous nos yeux, d'en ressentir -partager, presque- le moindre battement de cœur ou le moindre frémissement de ses protagonistes, comme si la caméra scrutait les visages et les âmes. Par une main qui frôle une épaule si subtilement filmée. Par le plan d'un regard qui s'évade et s'égare. Par un sourire qui s'esquisse. Par des mots hésitants ou murmurés. Par la musique éternelle de Francis Lai (enregistrée avant le film) qui nous chavire le cœur. Par une photographie aux accents picturaux qui sublime Deauville filmée avec une lumière nimbée de mélancolie, des paysages qui cristallisent les sentiments de Jean-Louis et d'Anne, fragile et paradoxalement impériale, magistralement (dirigée et) interprétée par Anouk Aimée. Rares sont les films qui procurent cette impression de spontanéité, de vérité presque. Les fameux « instants de vérité » de Lelouch.

    Et puis il y a le charme incomparable du couple Anouk Aimée/ Jean-Louis Trintignant, le charme de leurs voix, notamment quand Jean-Louis Trintignant prononce « Montmartre 1540 ». Le charme et la maladresse des premiers instants cruciaux d'une histoire d'amour quand le moindre geste, la moindre parole peuvent tout briser. Et puis ces plans fixes, de Jean-Louis dans sa Ford Mustang (véritable personnage du film), notamment lorsqu'il prépare ce qu'il dira à Anne après qu'il ait reçu son télégramme. Et puis ces plans qui encerclent les visages et en capturent la moindre émotion. Ce plan de cet homme avec son chien qui marche dans la brume et qui  fait penser à Giacometti (pour Jean-Louis). Tant d'autres encore...

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     Avec « Un homme et une femme » Claude Lelouch a signé une histoire intemporelle, universelle avec un ton très personnel et poétique. La plus simple du monde et la plus difficile à raconter. Celle de la rencontre d'un homme et une femme, de la rencontre de deux solitudes blessées. Il prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires.

    Alors pour reprendre l'interrogation de Jean-Louis dans le film citant Giacometti « Qu'est-ce que vous choisiriez : l'art ou la vie » Lelouch, n'a certainement pas choisi, ayant réussi a insufflé de l'art dans la vie de ses personnages et de la vie dans son art. Voilà c'est de l'art qui transpire la vie.

    Alors que Claude Lelouch a tourné sans avoir de distributeur, sans même savoir si son film sortirait un jour, il obtint la palme d'or à Cannes en 1966, l'oscar du meilleur film étranger et celui du meilleur scénario et 42 récompenses au total et aujourd'hui encore de nombreux touristes viennent à Deauville grâce à « Un homme et une femme », le film, mais aussi sa musique mondialement célèbre. Vingt ans après, Claude Lelouch tourna une suite « Un homme et une femme 20 ans déjà » réunissant à nouveau les deux protagonistes. Je vous en parle très bientôt.

     

     

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  • Liste des palmes d’or du Festival de Cannes de 1946 à 2010

    Avant d’entamer une nouvelle rubrique consacrée à des critiques d’anciennes palmes d’or du Festival de Cannes, retrouvez-ci-dessous la liste complète des anciennes palmes d’or du festival.

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    1946 ex æquo L'Épreuve aka Tourments Alf Sjöberg 

     ex æquo Le Poison Billy Wilder

     ex æquo La terre sera rouge Bodil Ipsen & Lau Lauritzen Jr

     ex æquo La Ville basse Chetan Anand

     ex æquo Brève Rencontre David Lean

     ex æquo Maria Candelaria Emilio Fernández

     ex æquo Le Tournant décisif Fridrikh Ermler

     ex æquo La Symphonie pastorale Jean Delannoy

     ex æquo La Dernière Chance Leopold Lindtberg

     ex æquo Les Hommes sans ailes Frantisek Cáp

     ex æquo Rome, ville ouverte Roberto Rossellini

     ex æquo La Bataille du rail René Clément

    1947 non décerné 

    1948 pas de festival cette année 

    1949 Le Troisième Homme Carol Reed

    1950 pas de festival cette année 

    1951 ex æquo Mademoiselle Julie Alf Sjöberg

     ex æquo Miracle à Milan Vittorio De Sica

    1952 ex æquo Othello Orson Welles

     ex æquo Deux sous d'espoir Renato Castellani

    1953 Le Salaire de la peur Henri-Georges Clouzot

    1954 La Porte de l'enfer Teinosuke Kinugasa

    1955 Marty Delbert Mann

    1956 Le Monde du silence Jacques-Yves Cousteau & Louis Malle

    1957 La Loi du Seigneur William Wyler

    1958 Quand passent les cigognes Mikhaïl Kalatozov

    1959 Orfeu Negro Marcel Camus

    1960 La Dolce Vita Federico Fellini

    1961 ex æquo Une aussi longue absence Henri Colpi

     ex æquo Viridiana Luis Buñuel

    1962 La Parole donnée Anselmo Duarte

    1963 Le Guépard Luchino Visconti

    1964 Les Parapluies de Cherbourg Jacques Demy

    1965 Le Knack... et comment l'avoir Richard Lester

    1966 ex æquo Un homme et une femme Claude Lelouch

     ex æquo Ces messieurs dames Pietro Germi

    1967 Blow-Up Michelangelo Antonioni

    1968 arrêté à cause des événements de mai 68 

    1969 If... Lindsay Anderson

    1970 M*A*S*H Robert Altman

    1971 Le Messager Joseph Losey

    1972 ex æquo La classe ouvrière va au paradis Elio Petri

     ex æquo L'Affaire Mattei Francesco Rosi

    1973 ex æquo La Méprise Alan Bridges

     ex æquo L'Épouvantail Jerry Schatzberg

    1974 Conversation secrète Francis Ford Coppola

    1975 Chronique des années de braise Mohammed Lakhdar-Hamina

    1976 Taxi Driver Martin Scorsese

    1977 Padre Padrone Paolo et Vittorio Taviani

    1978 L'Arbre aux sabots Ermanno Olmi

    1979 ex æquo Apocalypse Now Francis Ford Coppola

     ex æquo Le Tambour Volker Schlöndorff

    1980 ex æquo Que le spectacle commence Bob Fosse

     ex æquo Kagemusha, l'ombre du guerrier Akira Kurosawa

    1981 L'Homme de fer Andrzej Wajda

    1982 ex æquo Porté disparu Costa-Gavras

     ex æquo Yol, la permission Yılmaz Güney et Şerif Gören

    1983 La Ballade de Narayama Shōhei Imamura

    1984 Paris, Texas Wim Wenders

    1985 Papa est en voyage d'affaires Emir Kusturica

    1986 The Mission Roland Joffé

    1987 Sous le soleil de Satan Maurice Pialat

    1988 Pelle le conquérant Bille August

    1989 Sexe, mensonges et vidéo Steven Soderbergh

    1990 Sailor et Lula David Lynch

    1991 Barton Fink Joel et Ethan Coen

    1992 Les Meilleures Intentions Bille August

    1993 ex æquo Adieu ma concubine Chen Kaige

     ex æquo La Leçon de piano Jane Campion

    1994 Pulp Fiction Quentin Tarantino

    1995 Underground Emir Kusturica

    1996 Secrets et Mensonges Mike Leigh

    1997 ex æquo Le Goût de la cerise Abbas Kiarostami

     ex æquo L'Anguille Shōhei Imamura

    1998 L'Éternité et un jour Theo Angelopoulos

    1999 Rosetta Luc et Jean-Pierre Dardenne

    2000 Dancer in the Dark Lars von Trier

    2001 La Chambre du fils Nanni Moretti

    2002 Le Pianiste Roman Polanski

    2003 Elephant Gus Van Sant

    2004 Fahrenheit 9/11 Michael Moore

    2005 L'Enfant Luc & Jean-Pierre Dardenne

    2006 Le vent se lève Ken Loach

    2007 4 mois, 3 semaines, 2 jours Cristian Mungiu

    2008 Entre les murs Laurent Cantet

    2009 Le Ruban blanc Michael Haneke

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