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CANNES PREMIERE

  • Critique de L’AMOUR ET LES FORÊTS de Valérie Donzelli - Cannes Première

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    C’est dans la section Cannes Première qu’est présenté ce nouveau film de Valérie Donzelli, une adaptation du roman éponyme de Eric Reinhardt publié aux Editions Gallimard.

    Quand Blanche (Virginie Efira) croise le chemin de Grégoire (Melvil Poupaud), elle pense rencontrer celui qu’elle cherche. Les liens qui les unissent se tissent rapidement et leur histoire se construit dans l’emportement. Le couple déménage, Blanche s’éloigne de sa famille, de sa sœur jumelle, s’ouvre à une nouvelle vie. Mais fil après fil, elle se retrouve sous l’emprise d’un homme possessif et dangereux. Grégoire s’appelle Lamoureux. L’amoureux qu’il semble incarner magnifiquement. Blanche le rencontre à une fête à laquelle sa sœur jumelle l’a poussée à aller.

    Face caméra, Blanche commence son récit qui nous embarque aux côtés de sa sœur jumelle. Elles sont en route pour une soirée. Dans la voiture, la musique, les couleurs qui les environnent évoquent la joie, les prémisses d’une rencontre. Quand Blanche revoit cet ancien camarade d’école à la soirée à laquelle elle accompagne sa sœur, elle ne le reconnaît pas. « Mais tu as beaucoup maigri » lui dit-elle.  Il lui raconte notamment qu’il aurait voulu être pilote d’avion. Ce complexe et ce regret seront les seules « explications » à l’homme pervers et violent qu’il deviendra. Ce soir-là, la rencontre semble magique. Ils se regardent intensément. Les autres et le monde n’existent plus. Et quand il cite (mal) Britannicus : J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler », peut-être peut-on déjà déceler les racines du mal.

    Puis cela commence par des remarques insidieuses, une nouvelle coiffure de Blanche qu’il accueille par un cassant « Je suis pas très frange en général », avant de l’éloigner délibérément de sa famille en inventant une mutation, l’obligeant à quitter la Bretagne  et la mer pour l’Est et les forêts. Et puis il y a ses expressions mielleuses, presque enfantines « Vérité, vérité » qui marquent déjà son obsession de tout savoir, comme lorsqu’il lit par-dessus l’épaule de Blanche lorsqu’elle écrit à sa sœur.

    Disons-le d’emblée, le scénario co-écrit avec Audrey Diwan, d’une force et maîtrise exemplaires, nous captive de la première à la dernière seconde, de la lumière à l’obscurité, de la respiration à la suffocation.

    La lumière du chef opérateur Laurent Tangy suit les évolutions de cette histoire du conte au thriller hitchcockien, notamment par de savants clairs-obscurs. Le cadre enferme de plus en plus Blanche, comme elle l’est dans son enfer, dans cette maison elle-même inquiétante. Seule la forêt représentera un ailleurs.

    Autour de Virginie Efira (magistrale une fois de plus) évolue une pléiade d’actrices remarquables : Virginie Ledoyen, Romane Bohringer, Laurence Côte, Nathalie Richard ou encore Dominique Reymond...  Melvil Poupaud est impressionnant dans le rôle de ce « petit monsieur » rigide, possessif, violent, d’une mauvaise foi et perversité rares, derrière une apparence lisse et élégante, dont la perversité va jusqu’à reconnaître ses fautes après avoir entendu à la radio une émission sur un homme maltraitant sa femme, avant de se positionner en victime en lui reprochant de l’avoir « laissé faire ça » :  « Pourquoi tu m’as jamais rien dit. Ce qui me tue c’est ton manque de considération. Tu dois pas m’aimer beaucoup pour me laisser devenir ce monstre. »

    Glaçante, puissante, cette histoire d’amour se transforme thriller psychologique émaillée de scènes de fantaisie au début pour ne bientôt plus laisser bientôt plus de place qu’à la noirceur, qu’à l’enfermement dans cette prison de violence et d’emprise. Elle nous laisse, comme Blanche à la fin, heureux d’être libres mais KO. Un grand film. A voir absolument.

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  • Critique de AS BESTAS de Rodrigo Sorogoyen - Cannes Première

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    Madre (le dernier film de Sorogoyen, sorti en 2019) débutait ainsi…Le téléphone sonne. Le fils d’Elena, 6 ans, paniqué, perdu, seul sur une plage des Landes, appelle sa mère à des kilomètres de là et dit ne plus trouver son père. C’est par ce plan-séquence brillantissime, haletant, qui nous met dans la peau d’Elena, saisie par cette angoisse absolue, que commence en effet ce film captivant, suffocant, déroutant, comme il le sera jusqu’à la dernière seconde. Constamment, il brouille les pistes, les genres même, comme le deuil lui-même abolit toute notion de réalité, aux frontières de la morale et de la folie : savant écho entre le fond et la forme dans ce thriller sur la confusion des sentiments autant que sur l’absence inacceptable. Ajoutez à cela un sens rare du cadre et du hors champ, une interprétation magistrale et vous obtiendrez un film d’une singularité rare, et palpitant.

    Si je vous parle de ce précédent film, c’est parce que As bestas ne manque pas de points communs avec celui-ci, à commencer par une maîtrise magistrale de chaque plan. Mais aussi sa scène d’introduction d’une puissance rare.  Elle montre des « aloitadores » qui luttent, et parviennent finalement à immobiliser un cheval. Une chorégraphie à la fois fascinante et violente. Un affrontement jusqu’à la capitulation finale d’un des deux « duellistes ». Une métaphore qui nous laisse deviner que la bataille qui s’annonce sera rude et impitoyable. Une allégorie qui place d’emblée le film sous le sceau de la tension et de l’étouffement…qui ne se relâchera qu’à la fin.

    Antoine (Denis Ménochet) et Olga (Marina Foïs), un couple de Français, sont installés depuis longtemps dans un petit village de Galice. Ils possèdent une ferme et restaurent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Tout devrait être idyllique mais un grave conflit avec leurs voisins lié à leur opposition à un projet d’éoliennes fait monter la tension jusqu’à l’irréparable…  

    Ce serait réducteur de qualifier ce film uniquement de thriller, aussi palpitant soit-il. Drame personnel, social, il est à la frontière des genres, reprend et détourne même les codes du western. Sorogoyen a le don d’instiller de la tension dans des scènes a priori anodines (comme ces scènes de saloon dans les westerns dans lesquelles la tension est palpable, l’apparente tranquillité n’étant qu’un leurre et pouvant dégénérer en duel meurtrier), avec notamment deux plans-séquences magistraux. Les frères Anta rappellent bien des personnages de westerns aux visages patibulaires, nés sur leurs terres, ancrés dans leurs certitudes et leurs haines tenaces.

    Dans ce film en deux parties (comme Madre, là encore) la suffocation est progressive, jusqu’à l’étouffement. Ce film est d’ailleurs dichotomique à bien des égards. Il met ainsi face à face les citadins idéalistes face aux campagnards aux rudes conditions de vie dont le seul rêve est de partir vivre en ville, sans que cela soit pour autant manichéen. Deux mondes qui ne se comprennent pas, en partie en raison des préjugés des derniers. La rancœur devient bientôt irrationnelle. C’est celle d’un monde où l’on ne s’entend plus, où l’on ne cherche plus à se comprendre. Les deux frères sont en colère contre le reste du monde. Contre ces étrangers qui, pour eux, l’incarnent. La rancœur devient alors une haine sans limites, sans lois, sans morale et finalement sans raison.

    Le village en déclin et la campagne de Galice, sauvage, grisâtre et monotone, constituent un personnage à part entière, à la fois fascinant et inquiétant, hostile et admirable.  Ajoutez à cela un scénario impeccable ( de Isabel Peña et Rodrigo Sorogoyen), une interprétation de Marina Foïs et Denis Ménochet d’une justesse qui ne flanche jamais, et qui contribue beaucoup au parfait équilibre de l'ensemble, et vous obtiendrez un film âpre mais remarquable. A voir absolument au cinéma, dès le 20 juillet.

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  • Critique de DON JUAN de Serge Bozon - Cannes Première

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    Comme ce film a été injustement méprisé par une partie de la critique suite à sa projection hier dans le cadre de Cannes Première, avant de vous en parler plus longuement, je voulais vous convaincre dès à présent de découvrir ce sixième long métrage de Serge Bozon, qui sort en salles ce 23 mai.

    En 2022, Don Juan renommé Laurent (Tahar Rahim) n’est plus l’homme qui séduit toutes les femmes, mais un homme obsédé par une seule femme, Julie (Virginie Efira) : celle qui l’a abandonné…

    Un homme se prépare face à un miroir. Ses gestes orchestrent la musique. Don Juan aime mener la danse, semble-t-on nous dire. Puis Don Juan entre en scène, en l’occurrence dans la salle de la mairie où il doit se marier. Sa future femme n’est pas encore arrivée, tarde à venir. Et il l’attend, l’attend, l’attend…Pour soulager cette interminable attente, il invite les invités à écouter un air de musique qu’elle aime pour « la connaître un peu par la musique. » Il continuera à attendre. En vain. Sa future femme ne viendra pas. Il regarde par la fenêtre. Son regarde s’attarde sur une femme qui passe sous celle-ci. Pendant ce temps, Julie entre dans un café et au « Qu’est-ce que je vous sers ? » par lequel on l’interroge, elle répond « Servez-moi de la musique. »

    Tout est là, dans ces premières minutes, le ton décalé, poétique, romantique, mélancolique. Serge Bozon dit avoir voulu abandonner le registre des films de genre pour signer un film d’amour et il y est parvenu. Laurent/Don Juan ne verra alors plus que Julie dans toutes les femmes qu’il rencontrera (incroyable Virginie Efira qui incarne avec brio toutes ces femmes différentes, ce fut probablement aussi jubilatoire à l'actrice de les incarner toutes que cela l'est pour le spectateur à regarder toutes ces incarnations). Ce Don Juan est obsédé par une seule femme. Il croit la reconnaître dans toutes les femmes qu’il aborde, et qui d’ailleurs le rejettent (ce rejet atteint son paroxysme lors d’une fête de mariage à l’occasion d’une danse nocturne presque macabre, fascinante). Plus défait que victorieux, plus sincère que cynique, ce Don Juan contemporain arrive après l’ère #Metoo. C’est donc une version féministe que nous propose ici Serge Bozon, avec ce scénario coécrit avec Axelle Roppert. C’est par la chanson que Don Juan exprime sa douleur par la voix mélodieuse de Tahar Rahim.

    Un troisième protagoniste va jouer un rôle essentiel, sous les traits d’Alain Chamfort dans le rôle du Commandeur, altier et inquiétant, éprouvé par un chagrin incommensurable, la perte de sa fille.

    Avec cette revisite du mythe de Don Juan, sous forme de comédie musicale féministe, Serge Bozon nous livre un film particulièrement élégant, une relecture de Molière moderne et sensible qui inverse la situation : c’est elle qui l’a abandonné, lui qui ne peut pas l’oublier. L’autre bonne idée est que Tahar Rahim interprète ici un comédien qui joue le rôle de Don Juan permettant d’initier un jeu de miroirs entre le rôle que son personnage joue sur scène et celui qu'il incarne dans la vie. La mise en abyme apporte à la fois recul et profondeur à ce film qui mêle brillamment les genres : un film harmonieusement mélancolique qui nous emporte dans sa danse, envoûtante et douloureuse.

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  • Critique de CHRONIQUE D'UNE LIAISON PASSAGERE d'Emmanuel Mouret - Cannes Première

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    Chaque film d’Emmanuel Mouret donne envie de saisir chaque seconde, de désirer et d’enchanter la vie. Celui-ci ne déroge pas à la règle.

     « Au moment où l’on devient amoureux, à cet instant précis, il se produit en nous une musique particulière. Elle est pour chacun différente et peut survenir à des moments inattendus… » Tel était le pitch du film d’Emmanuel Mouret, L’art d’aimer. Tel pourrait être aussi le pitch de chacun des films d’Emmanuel Mouret, et notamment de celui-ci. Dès les premiers plans, l’eau scintillante sur laquelle se superposent les notes de la Javanaise de Gainsbourg, se dégage un charme captivant. Puis, nous arrivons dans un bar dans lequel un homme et une femme sont en pleine conversation. Nous entrons alors immédiatement dans le vif du sujet de cette liaison passagère.

    Il s’agit de celle de Charlotte, une mère célibataire (Sandrine Kiberlain) et Simon, un homme marié (Vincent Macaigne). Ils décident de devenir amants. Ils s’engagent à ne se voir que pour le plaisir et à n’éprouver aucun sentiment amoureux mais au fil des rendez-vous, au fil des mois, ils sont de plus en plus surpris par leur complicité. Le contrat  verbal qu’ils se sont fixés au début de leur relation leur en interdit cependant l’expression…

    Simon est aussi gauche et indécis (entre Antoine Doinel et Woody Allen) que Charlotte est audacieuse, déterminée et libérée.  Comme dans tous les films de Mouret, planent ainsi les ombres de Truffaut, Rohmer et Allen mais aussi cette gravité légère et fantaisiste qu’ils ont en commun.

    Kiberlain et Macaigne sont tellement parfaits dans leurs rôles qu’il est impossible d’imaginer quels autres acteurs auraient pu incarner aussi bien ce contraste, et apporter cette fantaisie à leurs personnages, ce ton si particulier, sur le fil, entre légèreté et gravité. D’infimes variations dans leur jeu nous font comprendre l’évolution des sentiments indicibles de leurs personnages. Charlotte dit détester le mot passion « parce qu’on l’affiche trop souvent comme une obligation » et ce qu’il incarne mais semble peu à peu y succomber. Georgia Scalliet, qui fut sociétaire de la Comédie-Française, est elle aussi d’une remarquable justesse, tout en émotions, dans le rôle de Louise qui vient perturber le fragile équilibre du couple. Sandrine Kiberlain, solaire et aventureuse, (irrésistible dans des comédies comme Les Deux Alfred récemment mais aussi bouleversante dans un film comme Mademoiselle Chambon en institutrice introverti) et Vincent Macaigne (époustouflant dans Médecin de nuit mais aussi dans le précédent film de Mouret) prouvent une nouvelle fois qu’ils sont aussi à l’aise dans le drame que dans la comédie.

    L’occasion pour moi de faire une digression (mais après tout, les films de Mouret en regorgent souvent !) pour vous recommander à nouveau Une jeune fille qui va bien, le premier long-métrage en tant que réalisatrice de Sandrine Kiberlain, actuellement sur Canal + cinéma. Un film aux résonances universelles comme l'est le Journal d’Anne Frank, qui doit tout autant être montré aux jeunes générations. Pour ne pas oublier. Que cela fut. Que cela pourrait advenir à nouveau. Que le présent et la liberté sont aussi précieux que fragiles. Cette ode à la vie les célèbre magnifiquement et nous laisse avec leur empreinte, pugnace et sublime. Un grand premier film qui nous rappelle qu’il ne faut jamais oublier, et que l’on n’oubliera pas. 

    Les dialogues qui excellaient dans Les chose qu’on dit, les choses qu’on fait et plus encore dans Mademoiselle de Joncquières sont ici à nouveau savoureux, grâce à l’écriture ciselé d’Emmanuel Mouret et Pierre Giraud. Dans Madamoiselle de Joncquières, adaptation d'un épisode de Jacques le Fataliste de Diderot, les dialogues sont délectables de la première à la dernière phrase, d'une beauté, d'une richesse, d'un lyrisme, d'une ironie, d'une profondeur jubilatoires, d'autant plus que les acteurs jonglent avec les mots et les émotions avec un talent rare, au premier rang desquels Cécile de France qui passe en une fraction de seconde d'une émotion à l'autre, sidérante de justesse en femme cruelle car et seulement car blessée au cœur. Les plans-séquence et les judicieuses ellipses (ou quand deux livres symbolisent magnifiquement une scène d'amour), la façon de passer de l'extérieur à l'intérieur, tout est le reflet des âmes sinueuses ou tourmentées. Edouard Baer manie aussi la langue du 18ème siècle avec brio et incarne avec une élégance tout en désinvolture ce libertin qui peu à peu découvre les affres de la passion après les avoir tant singées et s'en être si souvent lassé. Cette nouvelle digression pour dire que ce film n’était pas sans rappeler l’œuvre de Laclos, Les liaisons dangereuses et que le titre de ce nouveau film de Mouret nous y fait aussi songer mais également l'esprit du 18ème siècle que l’on retrouve dans les dialogues qui font aussi penser à ceux de Baisers volés de Truffaut qui en étaient  imprégnés. Nous retrouvons aussi ici ce mélange tendresse et drôlerie, légèreté et mélancolie présents également dans l’œuvre de Truffaut.

    L’inventivité de la mise en scène est une nouvelle fois remarquable. La caméra virevolte entre les acteurs, les accompagne dans leurs mouvements incessants, dans leur indécision, leur ambivalence, notamment par des plans-séquence magistraux ou les plongeant dans des décors plus grands qu’eux, ceux de la grande aventure de leur vie. Ils sont aussi souvent filmés dans de superbes contre-jours ou de dos. Ces choix de mise en scène incitent ainsi le spectateur à interpréter leurs émotions dans leurs gestes tout en retenue au contraire de ceux  des personnages de Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman que Charlotte et Simon vont voir au cinéma comme un malin contrepoint à leur relation.

    La (trompeuse) légèreté de cette fable fait un bien fou…et ne rend que plus émouvants la partie finale qui nous cueille savamment et subitement et ces plans de décors vides où ils vécurent des moments heureux auxquels la musique apporte une douce mélancolie.

    La musique joue d’ailleurs un rôle central. De la Javanaise par Juliette Gréco (qui là aussi fait penser à Baisers volés et au rôle primordial qu'y joue la chanson de Charles Trenet Que reste-t-il de nos amours) à Haendel en passant par Mozart et… Ravi Shankar. Après cette fantaisie enchantée, nous repartons de la salle de cinéma avec en tête la Javanaise et les sonates de Mozart et l’envie de danser la vie !

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  • Critique de LA NUIT DU 12 de Dominik Moll - Cannes Première

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    Il ne fait aucun doute que ce film inspiré de faits réels, âpre et ciselé, fera beaucoup parler lors de sa sortie. Le scénario et les dialogues sont signés d’un duo qui a déjà fait ses preuves, Gilles Marchand et Dominik Moll.

    Cela commence par un cycliste qui fait des tours de piste dans un stade seul dans la nuit. Et par ce fait énoncé : « chaque année la police judiciaire ouvre près de 800 enquêtes pour homicide. 20% restent irrésolues. Ce film raconte une de ces enquêtes. »

    À la PJ chaque enquêteur tombe un jour ou l’autre sur un crime qu’il n’arrive pas à résoudre et qui le hante. Pour Yohan (Bastien Bouillon) (le fameux « cycliste »), c’est le meurtre de Clara. Les interrogatoires se succèdent, les suspects ne manquent pas, et les doutes de Yohan ne cessent de grandir. Une seule chose est certaine, le crime a eu lieu la nuit du 12.

    Avec cette vision très personnelle du polar, Dominik Moll signe là son septième long-métrage dont la puissance de la mise en scène fait écho à celle de son film le plus réussi, Harry, un ami qui vous veut du bien (2000).

    A l’heure où les féminicides sont dramatiquement nombreux, ce film est un plaidoyer retentissant et vibrant contre les violences faites aux femmes. Ainsi, parmi les 6 jeunes suspects, le plus terrible est que chacun d’entre eux aurait pu tuer Clara :  « Je suis peut-être fou mais j'ai la conviction que si on ne trouve pas l'assassin, c'est parce que ce sont tous les hommes qui ont tué Clara. C'est quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes. »

     L’intérêt de l’enquête réside ainsi moins dans la résolution du crime que dans l’auscultation de la vision de la femme, de cette femme, par ces 6 hommes mais aussi par certains policiers dont les propos font écho à ceux de ces derniers. N'y voyez pas là du manichéisme, bien au contraire. Les formidables personnages incarnés par Bastien Bouillon et Bouli Lanners viennent les contrebalancer.

    Bouli Lanners et Bastien Bouillon sont ainsi perdus et tourmentés, et leur désespoir, leur fragilité, leur solitude face à cette affaire irrésolue nous hantent autant que cette dernière après le film. Anouk Grinberg campe aussi une juge profondément humaine.  La procédure est décortiquée mais ce sont surtout les âmes humaines qui le sont comme dans un film de Tavernier (on songe à L627).

    Le décor de cette vallée grisâtre autour de Grenoble se prête parfaitement à ce thriller sombre. Un film noir dont on ressort bousculé par le portrait de la misogynie « ordinaire » contre laquelle il est un vibrant et glaçant plaidoyer, surtout nécessaire.

    Le dernier plan, celui de Yohan qui s'échappe du vélodrome et roule le jour est la respiration tant attendue qui nous marque longtemps après la projection comme ce film qui ne peut laisser indifférent, tant il entre en résonance avec les plaies à vif de notre époque.

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  • JANE PAR CHARLOTTE de Charlotte Gainsbourg - Sélection Cannes Première 2021 - En salles ce 12/01/2022

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    Les magnétiques. Tel est le titre du sublime film de Vincent Maël Cardona présenté à la Quinzaine des Réalisateurs. Tel pourrait aussi être celui de ce documentaire. Parfois les films qui provoquent les voyages les plus intenses ne sont pas les plus clinquants ou démonstratifs.  Quelques mots sur le documentaire projeté dans le cadre de « Cannes Première » intitulé  « Jane par Charlotte» dans lequel Charlotte Gainsbourg « capture l'instant présent » reprenant ainsi les mots et la démarche de Varda (le titre se réfère à "Jane B. par Agnès V") mais avec sa singularité et sa sensibilité, à fleur de peau. Un dialogue intime mais jamais impudique entre Gainsbourg et Birkin qui, pendant 3 ans et avec un dispositif minimaliste, au gré des voyages, du Japon à la Bretagne en passant par les États-Unis, et au gré de l’évocation des « petits riens » devient un dialogue universel entre une mère et sa fille, un zoom progressif d'une fille sur sa mère, sans fards. Jane Birkin y apparaît telle qu’elle est : sans méfiance, fantasque, empathique. Mais aussi seule, insomniaque, tourmentée. Tourmentée par les deuils et leurs chagrins inconsolables. La maladie. Le drame ineffable la perte de sa fille Kate. Le temps insatiable et carnassier qui altère la beauté et emporte les êtres chers. Au milieu de tout cela, la visite « comme dans un rêve » de la maison de la rue de Verneuil, l'ombre de Serge Gainsbourg et les silences éloquents et émouvants. Le portrait d’une femme majestueuse. Un portrait qui s’achève par la voix mélodieuse et les mots bouleversants de sa fille se livrant à son tour, enfin, et évoquant la peur terrifiante et universelle de la perte de sa mère et qui, par ce film, tente d'appréhender l'inacceptable, de l'apprivoiser, de retenir chaque poussière d’instant en compagnie de celle dont l'intermédiaire de la caméra lui permet paradoxalement de se rapprocher. Un bijou de tendresse et d’émotion portée par une judicieuse BO (de Bach aux interludes électroniques de Sebastian). D’humour aussi, d'humour beaucoup, grâce au regard décalé, espiègle et clairvoyant que Jane Birkin porte sur elle-même, la vie, les autres, mais aussi celui que sa fille porte sur sa mère. Un film comme elles, réservées et terriblement audacieuses : riche de leurs séduisants paradoxes. Léger dans la forme et teinté de touches de gravité. Libre aussi. Et encore cela : délicat, iconoclaste, éperdument vivant et attachant. Un documentaire qui, en capturant le présent et sa fragilité, nous donne une envie folle d’étreindre chaque seconde de notre vie et aux filles de s'accrocher à leurs mères comme elles deux dans ce dernier plan avec l'illusion d'empêcher ainsi l'inexorable, que la vague effroyable de l'impitoyable faucheuse ne les emporte un jour, à tout jamais...
    Je voudrais remonter le temps. Redevenir celle qui, en 1999, avait eu la chance de partager 5 jours mémorables avec Jane Birkin en tant que membre d'un jury qu'elle présidait au Festival du Film Britannique de Dinard (petite digression pour vous dire que la 32ème édition 2021 a lieu en ce moment, jusqu’au 3 octobre). Et lui dire à quel point sa bienveillance, cette confiance sans filtre envers les autres qui transpire dans ce documentaire, m'avaient émue...Et lui dire merci tout simplement.  Alors merci Jane et merci Charlotte Gainsbourg pour ce portrait qui entremêle les émotions, nuancé aussi à l'image du film de clôture de ce festival, le magistral dernier long-métrage de Yvan Attal, "Les choses humaines" dont je vous parlerai plus tard. "Jane par Charlotte" sort en salles le 27 octobre. Et vous l'aurez compris : je vous le recommande vivement. 

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  • TROMPERIE d'ARNAUD DESPLECHIN - Cannes Première 2021

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    Tromperie est une adaptation du livre Deception de Philip Roth publié en 1990 et sorti en 1994 en France.

    1987. Philip (Denis Podalydès) est un écrivain américain célèbre installé à Londres avec son épouse (Anouk Grinberg). Sa maîtresse (Léa Seydoux) vient régulièrement le retrouver dans son bureau, qui est le refuge des deux amants dans lequel ils vivent leur amour et parlent des heures durant.

    Tromperie a été présenté en séance spéciale sous le nouveau label Cannes Première du Festival de Cannes, label initié en 2021, réservé à des films de réalisateurs confirmés « que le festival suit depuis longtemps » selon la définition du Délégué Général du festival, Thierry Frémaux.

    Desplechin jouait déjà la scène finale avec Emmanuelle Devos dans le bonus DVD de Rois et Reines. S’il portait donc en lui cette œuvre depuis longtemps, son adaptation ne relevait pas moins du défi. C’est avec Julie Peyr, sa coscénariste, qu’il s’y est attelé, divisant ainsi le film en onze chapitres et un épilogue. Il s’agissait en effet d’adapter un film dont l’intrigue se déroule dans les années 1980, en Angleterre, avec des acteurs français, en langue française, et un film reposant essentiellement sur les dialogues très écrits. Défi relevé magistralement puisque le résultat est absolument captivant, évoquant des sujets parfois sombres (la mort qui obsède Philip, l’âge et la maladie qui sont aussi des sujets récurrents), teinté d'ironie et même d'humour, traversé par le désir (amoureux, de vie, d’art).

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    Dans Les Fantômes d’Ismaël, la vie d’un cinéaste, Ismaël (Mathieu Amalric) est bouleversée par la réapparition de Carlotta, un amour disparu 20 ans auparavant. Un personnage irréel à la présence troublante et fantomatique incarné par Marion Cotillard, filmée comme une apparition, pourtant incroyablement vivante et envoûtante, notamment dans cette magnifique scène d’une grâce infinie lors de laquelle elle danse sur It Ain't Me Babe de Bob Dylan (qui à elle seule justifie de voir le film en question).  Desplechin jongle avec les codes du cinéma pour mieux les tordre et nous perdre. A la frontière du réel, à la frontière des genres (drame, espionnage, fantastique, comédie, histoire d’amour), à la frontière des influences (truffaldiennes, hitchcockiennes - Carlotta est ici une référence à Carlotta Valdes dans Vertigo d’Hitchcock - ) ce film d’Arnaud Desplechin est savoureusement inclassable, et à l’image du personnage de Marion Cotillard : insaisissable, et nous laissant une forte empreinte. Comme le ferait un rêve ou un cauchemar. Un film plein de vie, un dédale dans lequel on s’égare avec délice. Un film résumé dans la réplique suivante : « la vie m'est arrivée. » La vie avec ses vicissitudes imprévisibles que la poésie du cinéma enchante et adoucit.

    Si j’effectue cette digression sur Les fantômes d’Ismaël, c’est parce que j’aurais pu tirer la même conclusion de ce dernier film de Desplechin. Dès la séquence d’ouverture, le cinéma, à nouveau, (ré)enchante la vie. Le personnage de l’amante incarnée par Léa Seydoux se trouve ainsi dans une loge du théâtre des Bouffes du Nord. Là, elle se présente à nous face caméra et nous envoûte, déjà, et nous convie à cette farandole utopique, à jouer avec elle, à faire comme si, comme si tout cela n’était pas que du cinéma. Parce que ludique, ce film l’est follement, notamment lors d’une scène burlesque de procès. Mais aussi dans la première séquence entre Philip et sa maîtresse. Il lui demande alors de décrire le bureau dans lequel ils se trouvent, ce qu’elle fait les yeux fermés avec poésie, malice, avec la complicité de la caméra de Desplechin qui nous invite dans cet autre dédale, à plonger pleinement dans chaque moment, à les vivre intensément, là, dans ce bureau qui devient le lieu de la liberté. Le lieu où l’amante anglaise est écoutée sans être jugée.

    L’intrigue est principalement centrée autour de Philip et de sa maîtresse dans l’appartement -bureau de l’écrivain, mais aussi jalonné de conversations, avec d’autres femmes, qui portent toutes en elles des brisures qui ne les rendent pas moins ensorcelantes, vibrantes, vivantes. Il y a là Rosalie (Emmanuelle Devos), la seule à porter un prénom, son ancienne maîtresse newyorkaise qui lutte contre le cancer mais aussi l’épouse, l’étudiante (Rebecca Marder), l’exilée tchèque (Madalina Constantin).

    Tromperie est une ode constante aux pouvoir de la fiction, qu’elle soit littéraire ou cinématographique. La fiction qui sublime la vie. Par une judicieuse mise en abyme, le dispositif qu’utilise Desplechin fait écho au travail et aux ruses de l’écrivain qui s’amuse avec la réalité, la traduit, la trahit, la transgresse, lui vole des moments de vérité. D’ailleurs, l’amante existe-t-elle vraiment ? C’est là que le film prend une tournure encore plus passionnante, quand Philip pour se justifier auprès de son épouse lorsqu’elle tombe sur un carnet racontant son histoire avec son amante anglaise, explique qu’il s’agit là seulement d’un être fictif et de la matière de son nouveau roman, brouillant encore un peu plus les frontières entre le vrai et le faux, comme s’amuse à le faire aussi Desplechin dans ce film qui manie l’ellipse et les changements de tons et de décor avec maestria.

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    On a beaucoup évoqué Bergman à propos de ce film. Il m’a aussi souvent rappelé Alain Resnais qui, à chaque film, réinventait encore et encore le dispositif cinématographique. Il m’a notamment fait songer à Vous n’avez encore rien vu, dans lequel un homme de théâtre, après sa mort, convoque ses amis comédiens ayant joué dans différentes versions d’une pièce. Chaque phrase prononcée, d’une manière presque onirique, magique, est d’une intensité sidérante de beauté et de force et exalte la force de l’amour. Un film inventif et, là aussi, ludique qui joue avec les temporalités, avec le temps, avec la disposition dans l’espace. Il donne à jouer des répliques à des acteurs qui n’en ont plus l’âge. Cela ne fait qu’accroître la force des mots, du propos, leur douloureuse beauté et surtout cela met en relief le talent de ses comédiens. Chaque phrase qu’ils prononcent semble être la dernière et la seule, à la fois la première et l’ultime. Une sublime déclaration d’amour au théâtre et aux acteurs, un des plus beaux hommages au cinéma qu’il m’ait été donné de voir et de ressentir. Une mise en abyme déroutante, exaltante, d’une jeunesse folle, un pied-de-nez à la mort qui, au théâtre ou au cinéma, est transcendée. Un film inclassable et si séduisant, n’usant pourtant d’aucune ficelle pour l’être mais au contraire faisant confiance à l’intelligence du spectateur, qui m’avait enchantée, bouleversée, et qui m’a rappelé pourquoi j’aime follement le cinéma et le théâtre, et les mots auxquels il rend un si bel hommage.

    Je me permets cette nouvelle digression parce que je pourrais là aussi employer ces mêmes termes à propos de ce nouveau film de Desplechin, déclaration d’amour aux acteurs, au théâtre, au cinéma, aux pouvoirs de l’écriture, et qui fait tout aussi confiance à l’intelligence du spectateur.

    Arnaud Desplechin retrouve ici Léa Seydoux qu’il avait dirigée dans son film précédent, le remarquable Roubaix, une lumière, dans un rôle radicalement différent. Le spectateur est suspendu à chacun de ses mots. Elle est ainsi à la fois sensuelle, malicieuse, inquiète, toujours lumineuse a fortiori quand elle se rhabille et que tout devient noir autour d’elle (une des nombreuses astuces de mise en scène). Desplechin offre à chaque actrice une partition sublime dont l’ensemble permet de faire entendre une musique, celle de la voix de Philip Roth, et de dresser son portrait. Anouk Grinberg, Emmanuelle Devos, Madalina Constantin, Rebecca Marder sont aussi absolument bouleversantes. En double de Roth et un peu de Desplechin, Denis Podalydès a le regard et l’écoute intenses qui le rendent successivement ironique, inquiétant, attachant, détestable, désirable, méprisable mais toujours à l’image du film : captivant.

    La caméra d’Arnaud Desplechin, avec l’aide précieuse et judicieuse de son chef-opérateur Yorick Le Saux, caresse sensuellement les visages et les corps, au plus près. Sur une année, de l’automne à l’été, la lumière, est de plus en plus prégnante.  Ajoutez à cela la musique de Grégoire Hetzel et une précision et une variation astucieuses des décors et vous obtiendrez une orfèvrerie de mise en scène.

    Un film solaire et sensuel, parfois doucement cruel mais aussi tendre, même quand il évoque des sujets plus âpres, bouleversant, intimiste, réjouissant, élégant, à la fois léger et sombre. Une réflexion passionnante sur l’art aussi et sur la vérité, une réflexion à laquelle cette brillante mise en abyme invite, nous emportant dans son tourbillon fascinant de mots et, surtout, de cinéma.

    Catégories : CANNES PREMIERE Lien permanent 0 commentaire Pin it! Imprimer