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UN CERTAIN REGARD - Page 3

  • Critique de "Trois mondes" de Catherine Corsini (Un Certain Regard)

    Ces trois mondes qui se rencontrent ou plutôt se confrontent sont incarnés par Al, Juliette et Véra.

    « Al (Raphaël Personnaz) est un jeune homme d’origine modeste à qui tout réussit : il se marie dans huit jours avec la fille de son patron et doit prendre la tête de l’entreprise de son futur beau-père. Une nuit, après une soirée arrosée à fêter dignement tous ces projets d’avenir, il renverse un inconnu. Poussé par ses deux amis d’enfance, il abandonne le blessé et s’enfuit. De son balcon, Juliette (Clotilde Hesme) a tout vu. Hantée par l’accident, elle va aider Véra (Arta Dobroshi), la femme du blessé, à retrouver l’homme qu’elle a vu fuir. »

    Dans « Partir » déjà, Catherine Corsini confrontait des mondes qui n’auraient pas dû se rencontrer, c’est cette fois le sujet au centre de ce nouveau long-métrage. Dès les premières secondes, Catherine Corsini place son film sous le signe de l’urgence et de la tension et du côté de Al. Le film oscille entre un cinéma à la Claude Sautet (mon cinéaste de prédilection, donc un compliment ) avec les scènes sous la pluie de rigueur qui rapprochent les personnages et, selon ses propres dires, de thrillers, celle-ci citant Hitchcock ou James Gray dont la principale qualité est justement de savoir mêler thriller et histoire d’amour.

    Catherine Corsini ne choisit finalement ni l’une ni l’autre de ces options, ce qui laisse une impression d’inachevé (mais, après tout, à l’image de ces mondes qui n’achèveront pas la rencontre forcée et entamée). Le film n’en reste pas moins palpitant mais inégal dans les mondes qu’il relate : dommage que les personnages moldaves n’échappent pas aux clichés, elle semble ici avoir plus d’attachement pour le personnage de Al sur lequel commence et se termine le film, et tirer un constat pessimiste puisque chacun, finalement, restera dans son monde.

    De cette confrontation l’un d’eux, bien que détruit, aura peut-être juste gagné en liberté. Le film est porté par ses interprètes principaux : Raphaël Personaz qui, par l’intensité de son jeu, et sa présence magnétique, me fait penser à Alain Delon ; Arta Dobroshi (inoubliable dans « Le silence de Lorna » des Dardenne) et Clothilde Hesme, écartelée entre deux mondes mais, comme toujours, très juste.

    Un film que je vous recommande malgré ses criantes invraisemblances scénaristiques (Al se rend à l’hôpital auprès de celui qu’il a renversé risquant d’être démasqué; Juliette a une liaison brève avec Al qui tombe dans ses bras, sans doute réunis par la violence de ce qu’ils ont vécu, mais elle est quand même enceinte et lui sur le point de se marier; Juliette qui ne travaille pourtant pas pour les services secrets retrouve Al miraculeusement en en disposant que du numéro de sa plaque d’immatriculation)

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  • Critique de "A perdre la raison" de Joachim Lafosse

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    photos ci-dessus: Présentation du Film par l'équipe à Cannes

    « A perdre la raison » est un des grands chocs cinématographiques de cette année 2012, et même sans doute le seul film de cette année auquel sied le substantif « choc ». Peut-être équivalent à celui éprouvé à la fin de « Melancholia « , l’année précédente. C’est dire ! Même si le film de Joachim Lafosse ne va pas jusqu’à relever de l’expérience comme celui de Lars Von Trier, il vous laisse avec une émotion dévastatrice et brutale, une réflexion aussi, qui vont bien au-delà de la salle de cinéma.

    Murielle (Emilie Dequenne) et Mounir (Tahar Rahim) s’aiment passionnément. Elle est belle, féminine, joyeuse, lumineuse. Il est incontestablement charmant. Depuis son enfance, le jeune homme vit chez le Docteur Pinget (Niels Arestrup), qui lui assure une vie matérielle aisée après s’être marié avec la sœur marocaine de celui-ci, pour lui permettre d’avoir des papiers. Murielle et Mounir décident de se marier. D’abord, réticent, le Docteur accueille la jeune femme chez lui. Le jeune couple n’en déménagera jamais, pas plus à la suite des 4 grossesses de la jeune femme. Une dépendance s’installe. Le climat affectif devient irrespirable. L’issue tragique est alors inéluctable…

    Joachim Lafosse ne laisse d’ailleurs planer aucun doute sur celle-ci. Dès les premiers plans, Murielle est à l’hôpital et demande à ce qu’ils soient « enterrés au Maroc ». Puis, 4 petits cercueils descendent d’un avion sur le territoire marocain. Entre ces deux plans, Mounir et le Docteur Pinget s’étreignent chaleureusement. La succession de ces trois scènes est d’autant plus cruelle, terrible et bouleversante, a posteriori.

    Le film, lui aussi, vous étreint dès ces premiers plans pour ne plus vous lâcher, pourtant Joachim Lafosse ne recourt à aucune facilité pour cela : aucun sensationnalisme, pas plus qu’une photographie sombre annonciatrice du drame à venir. Non, il a eu l’intelligence de recourir à une mise en scène sobre, baignée d’une lumière crue, parfois éblouissante, qui rend d’autant plus terrible la noirceur dans laquelle se retrouve plongée Murielle, et celle du geste qu’elle accomplira. Seul le cadre légèrement chancelant (avec ces plans de portes en amorce, comme si quelqu’un, constamment, dominait, surveillait, instillant une impression malsaine mais impalpable), les gros plans qui enserrent les personnages, les plans séquences qui suggèrent le temps qui s’étire, et quelques plans significatifs comme celui de Murielle en Djellaba, hagarde, à l’extérieur mais filmée derrière une fenêtre à barreaux, laissent entendre qu’elle est emmurée, oppressée, que l’étau se resserre.

    Il en fallait du talent, de la délicatesse, pour réussir un film, sur un tel sujet, rendre envisageable l’impensable, sans doute le crime le plus terrible qui soit : l’infanticide. Nous faire comprendre comment cette femme va perdre sa liberté, une raison d’être, et la raison. Du talent dans l’écriture d’abord : le scénario de Joachim Lafosse, Matthieu Reynaert et Thomas Bidegain qui avait nécessité 2 ans et demi d’écriture pour adapter très librement ce fait divers survenu en Belgique en 2007, l’affaire Geneviève Lhermitte, est particulièrement habile, maniant les ellipses et se centrant sur ses trois personnages principaux, aussi passionnants que, chacun à leur manière, terrifiants. Les dialogues sont concis et précis, comme les phrases assénées par Pinget à Murielle qui peuvent sembler tendrement réprobatrices ou terriblement injustes et cruelles selon la perception de la jeune femme. Tout est question de point de vue, de perception, et la nôtre est subtilement amenée à être celle de Murielle, ce qui rend la scène finale (judicieusement hors-champ) d’autant plus brutale. Dans la réalisation évidemment, évoquée précédemment. Dans le choix de la musique qui intervient à chaque transgression.

    Dans l’interprétation enfin. Et quelle(s) interprétation(s) ! D’abord, le duo Arestrup- Rahim reformé trois ans après un « Prophète », et leurs prix d’interprétation respectifs. Niels Arestrup est parfait en père de substitution à la présence envahissante, à la générosité encombrante, d’une perversité insidieuse, sachant obtenir tout ce qu’il veut, comme un enfant capricieux et colérique.

    Face à lui, Tahar Rahim prouve une nouvelle fois que ses deux prix aux César (meilleur acteur, meilleur espoir) n’étaient nullement usurpés, toujours ici d’une justesse remarquable; il prouve aussi une nouvelle fois l'intelligence de ses choix artistiques. D’abord charmant, puis irascible, un peu lâche, velléitaire, sans être vraiment antipathique, il est lui aussi emmuré dans la protection et le paternalisme ambigu de Pinget, ne voyant pas ou préférant ne pas voir la détresse dans laquelle s’enferme sa femme. (cf aussi ma critique de "Or noir" et celle du film "Les hommes libres").

    Que dire d’Emilie Dequenne ? Elle est sidérante, époustouflante, bouleversante en Médée moderne. Il faudrait inventer des adjectifs pour faire l’éloge de sa prestation. D’abord si lumineuse, elle se rembrunit, s’enlaidit, s’assombrit, se renferme sur elle-même pour plonger dans la folie. Ce n’est pas seulement une affaire de maquillage comme cette scène où elle est à un spectacle de sa fille, outrageusement maquillée, et où ses réactions sont excessives. Non, tout en elle incarne sa désincarnation progressive, cette raison qui s’égare : sa démarche qui en devient presque fantomatique, son regard hagard, ses gestes hâtifs ou au contraire si lents, en tout cas désordonnés. Elle parvient à nous faire croire à l’incroyable, l’impensable ; comment ce personnage lumineux peut s’aliéner et accomplir un acte aussi obscur. Et puis il y a cette scène dont tout le monde vous parlera, mais comment ne pas en parler, tant elle y est saisissante d’émotion : ce plan-séquence où elle chante et pleure en silence, dans sa voiture sur la musique de Julien Clerc. Elle a reçu le prix d’interprétation Un Certain Regard pour ce film. Gageons que ce ne sera pas le dernier.

    Lafosse dissèque les rapports de pouvoir entre ces trois êtres, fascinants et terrifiants, métaphore d’un colonialisme dont l’aide est encombrante, oppressante, rendant impossible l’émancipation. La famille devient un Etat dictatorial si bien que le Maroc dont ont voulu absolument fuir Mounir et sa famille apparaît comme le paradis pour Murielle, et ressemble à un Eden onirique dans la perception qui nous est donnée, la sienne. Il y a un soupçon de Dardenne dans cette empathie pour les personnages dont Lafosse tente de comprendre et d’expliquer tous les actes, même les inexplicables, même le pire, même l’ignominie. Du Chabrol aussi dans cette plongée dans les travers de la bourgeoisie, ses perversions, sa fausse affabilité. Et même du Clouzot dans ce diabolisme insidieux. Mais surtout une singularité qui fait que Joachim Lafosse, aucunement moralisateur, est un vrai cinéaste avec son univers et son point de vue propres.

    Si vous ne deviez voir que trois films cette année, celui-ci devrait sans aucun doute en faire partie. Bouleversant, il vous hantera et questionnera longtemps après cette plongée étouffante, palpitante et brillante dans cette cellule familiale (la bien nommée) et dans la complexité des tourments de l’âme humaine et vous laissera avec le choc de ce dénouement annoncé mais non moins terrassant.

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  • Critique - Les Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin ( Un Certain Regard )

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    « Les Bêtes du Sud sauvage » est le premier long-métrage de Benh Zeitlin adapté de « Juicy and Delicious», une pièce écrite par Lucy Alibar, une amie de Benh Zeitlin qui a coécrit le scénario avec lui. Il se déroule dans le Sud de la Louisiane, dans le bayou, «le « bathtub », une terre sauvage et âpre où vit Hushpuppy (Quvenzhané Wallis), une petite fille de 6 ans et son père Wink (Dwight Henry). Soudain cette nature rebelle s’emballe, les glaciers fondent, des aurochs apparaissent, le monde s’effondre pour Hushpuppy (la nature qui l’environne mais aussi le sien, son monde, puisque la santé de son père décline) ; elle va alors partir à la recherche de sa mère.

    Ne vous fiez pas à mon synopsis réducteur car ce film possède tout ce qu’un synopsis ou une critique ne pourront jamais refléter. Il en va ainsi de certains films, rares, comme de certaines personnes qui possèdent ce charme indescriptible, cette grâce ineffable, ce supplément d’âme que rien ni personne ne pourront décrire ni construire car, justement, il n’est pas le fruit d’un calcul mais une sorte de magie qui surgit presque par miracle (et sans doute grâce à la bienveillance et la sensibilité du regard du cinéaste) comme celle qui peuple les rêves de Hushpuppy.

    Dès les premières secondes, malgré la rudesse de la vie qu’il décrit, malgré l’âpreté de cette terre et celle du père de Hushpuppy, ce film vous séduit et vous emporte pour ne plus vous lâcher. C’est à travers les yeux innocents et l’imagination débordante de Hushpuppy que nous sommes embarqués dans cette histoire guidés par sa voix qui nous berce comme un poème envoûtant.

    La vie grouille, palpite, dans chaque seconde du film, dans cet endroit où elle est (et parce qu’elle est) si fragile, son cœur bat et résonne comme celui de ces animaux qu’écoute Hushpuppy pour, finalement, faire chavirer le vôtre. Un monde qu’il donne envie de préserver avant que les marées noires ne le ravagent et que la magie n’en disparaisse à jamais.

    Son monde est condamné mais Hushpuppy (incroyable présence et maturité de la jeune Quvenzhané Wallis) , avec son regard attendrissant, opiniâtre et frondeur résiste, lutte, et s’invente un univers magique où le feu s’allume au passage d’une belle femme, où elle résiste aux aurochs du haut de ses 6 ans. Benh Zeitlin filme à hauteur d’enfant et du regard d’Hushpuppy imprégnant tout le film de son riche imaginaire.

    Film inclassable : autant une histoire d’amour ( d’un réalisateur pour une terre sauvage et noble qui se confond avec la mer dans un tumulte tourmenté que pour ses habitants, fiers et courageux viscéralement attachés à leur terre mais aussi d’une fille pour son père et réciproquement dont les relations sont faites de dureté attendrissante), fantastique ou fantasmagorique que conte philosophique et initiatique, « Les bêtes du sud sauvage » est aussi un poème onirique qui mêle majestueusement tendresse et rudesse (des êtres, de la terre), réalité et imaginaire, violence (des éléments) et douceur (d’une voix), dureté et flamboyance (comme lors de ce défilé d’une gaieté triste pour célébrer la mort). Voilà, ce film est beau et contrasté comme un oxymore.

    Un film d’une beauté indescriptible, celle des êtres libres, des êtres qui résistent, des êtres qui rêvent, envers et contre tout, tous et cela s’applique aussi bien au film qu’à celui qui l’a réalisé avec un petit budget et des acteurs non professionnels sans parler des conditions de tournage puisque l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon de BP s’est produite le premier jour du tournage le 20 avril 2010.

    Un film universel, audacieux et dense, un hymne à la vie et l’espoir, au doux refuge de l’imaginaire aussi quand la réalité devient trop violente, un film d’une beauté âpre et flamboyante qui vous emmènera loin et vous accompagnera longtemps comme cette voix (texte de la voix off dit par Hushpuppy magnifiquement écrit), ce regard et cette musique qui reflètent ce mélange de force et de magie, de grâce et de détermination ( une musique dont Benh Zeitlin est le coauteur) et, à l’image de son affiche, un feu d’artifices d’émotions. Un film rare!

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  • La composition du jury d'Un Certain Regard 2012

    Voici une des dernières annonces concernant la programmation et les jurys de ce Festival de Cannes 2012, la composition complète du jury Un Certain Regard. Je vous laisse découvrir le communiqué de presse du festival, ci-dessous:

    Aux côtés de la Compétition, la Sélection Officielle Un Certain Regard accueille également un Jury qui décerne ses prix lors d’une cérémonie sur scène, salle Debussy, le samedi 26 mai. Le Jury, présidé par l’acteur et réalisateur britannique Tim Roth est composé de cinq personnalités du cinéma qui composeront leur palmarès parmi les vingt films sélectionnés au Certain Regard.

    Tim Roth (acteur et réalisateur), Président du Jury.
    Leïla Bekhti (actrice), Tonie Marshall (réalisatrice et productrice), Luciano Monteagudo (Critique cinéma à Pàgina/12 à Buenos Aires) et Sylvie Pras (Responsable des Cinémas au Centre Pompidou à Paris, Directrice artistique du Festival de La Rochelle).                                       

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  • Présentation de "Laurence Anyways" de Xavier Dolan (sélection Un Certain Regard du Festival de Cannes 2012)

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    Je continue mes présentations des films de ce Festival de Cannes 2012 avec "Laurence Anyways", le troisième film du cinéaste Xavier Dolan après "J'ai tué ma mère" et "Les amours imaginaires", également son troisième film sélectionné à Cannes (après la Quinzaine des Réalisateurs pour le premier, et déjà Un Certain Regard pour le deuxième). Tourné au Québec, ce film met en scène Melvil Poupaud (un habitué de la sélection Un Certain Regard) et Nathalie Baye. Egalement au casting : Monia Chokri et Suzanne Clément.
     

    Synopsis: En 1989, Laurence Alia célèbre son 30e anniversaire au restaurant en compagnie de Fred, sa petite copine. Quand il lui révèle son projet le plus secret, le plus brûlant, celui de devenir une femme, leur monde bascule. Après une retraite légitime en famille pour réfléchir, Fred accepte d'accompagner Laurence tout au long de cette métamorphose. En janvier 1990, celui-ci se présente au Cégep où il enseigne la littérature habillé en femme. Une nouvelle vie commence, qui semble débuter dans la tolérance et la simplicité.

    En bonus, retrouvez ma critique du deuxième film de Xavier Dolan "Les amours imaginaires", un film que je vous recommande plus que vivement.

     
    Découvrez cette excellente interview de Xavier Dolan par touscoprod:
     

     

    Critique "Les Amours imaginaires" : une grisante fantasmagorie

     

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     Après son arrivée explosive dans le monde du 7ème art avec « J’ai tué ma mère », film qu’il avait réalisé à 17 ans, présenté l’an passé à Cannes, à la Quinzaine des Réalisateurs où il avait obtenu trois prix, film que j’avais ignominieusement manqué,  la rencontre de ces amours imaginaires (présenté à Cannes cette année dans la section « Un Certain Regard ») était donc aussi pour moi celle avec l’univers de Xavier Dolan.

    Francis (Xavier Dolan) et Marie (Monia Chokri) sont tous deux amis et épris du même jeune homme rencontré lors d’une soirée, Nicolas (Niels Schneider), et tous les deux bien déterminés à le conquérir, analysant, interprétant, scrutant obsessionnellement le moindre geste ou comportement de leur (obscur) objet du désir.

    Dès les premiers plans se dégage de ce film un charme irrésistible et surtout un ton, un style qui font souffler un vent d’air frais et revigorant sur le cinéma actuel. Xavier Dolan est un vrai cinéphile et son film regorge de références cinématographiques (entre les ralentis langoureux et poétiques à la Wong Kar Waï, les couleurs chatoyantes et la fantaisie jubilatoire à la Almodovar, les plans de dos à la Gus Van Sant, les références à la Nouvelle Vague, au « Mépris » de Godard, un trio à la « Jules et Jim » de Truffaut ou encore des confessions face caméra qui rappellent Woody Allen) mais aussi picturales (Boticelli, Michel Ange) ou littéraire (Musset…).

    Que de brillantes références me direz-vous. Tout cela aurait pu donner un film présomptueux mais Xavier Dolan, d’une part, a su assimiler toutes ces références pour créer son propre univers et d’autre part, y apporter une légèreté masquant savamment la mélancolie sous-jacente (que ne faut-il pas avoir souffert en amour pour faire preuve d’une telle maturité et clairvoyance à seulement 21 ans!), que ce soit par les dialogues, légèrement précieux, souvent hilarants, toujours caustiques ou le jeu des comédiens (à commencer par lui-même mais surtout celui de Monia Chokri absolument irrésistible).

    La caméra de Xavier Dolan est au plus près des visages, ignorant le plus souvent le cadre spatial à l’image de cet amour obsédant qui rend Marie et Francis aveugles au monde qui les entoure. La mise en scène non seulement épouse le propos du film mais devient un élément scénaristique : puisque Marie et Francis se « font des films » (l’un se prenant pour James Dean, l’autre pour Audrey Hepburn), et sont enivrés par leur fantasmagorie amoureuse, par ce destructeur et grisant vertige de l’idéalisation amoureuse, le film en devient lui-même un vertige fantasmatique. Cette soirée aux images syncopées rappelle ce vertige à la fois grisant et déstabilisant, ce manège qui rend si floue la frontière entre enchantement et désenchantement, rêve et illusion. Marie et Francis sont amoureux d’une chimère, d’une image, d’un idéal, d’une illusion, de l’amour même qui prend ici les traits d’un bellâtre ambigu aux allures de Dieu Grec. L’histoire de notre trio est entrecoupée de « témoignages » face caméra de style documentaire de victimes d’illusions amoureuses, là aussi irrésistibles.

    Xavier Dolan a aussi en commun avec quelques uns des plus brillants réalisateurs auxquels il se réfère une bande originale particulièrement soignée, à l’image du film, mêlant modernité, et titres plus anciens, et musique classique : de Dalida qui reprend « Bang Bang » à Indochine jusqu’à « The Knife », « Fever Ray », « Vive la fête » en passant par Bach qui rappelle mélodieusement la douleur de ces irrépressibles et irrationnels élans amoureux, de ces amours qui rongent et enragent.

    Xavier Dolan est un véritable chef d’orchestre qui mêle les couleurs, les références les arts, un prodige du cinéma (à la fois monteur, scénariste, producteur, acteur, s’occupant aussi des costumes) faisant à la fois preuve de l’inventivité et de l’audace de sa jeunesse mais aussi d’une étonnante maturité. Déclaration d’amour au cinéma, déclaration de désespoir d’un amoureux désillusionné sous des allures de fable burlesque et hilarante, « Les amours imaginaires » est un film mélancoliquement caustique.

    Xavier Dolan signe là une fantasmagorie pop, poétique sur la cristallisation amoureuse, sur ces illusions exaltantes et destructrices, sublimes et pathétiques un film enivrant et entêtant comme un amour imaginaire… sans les effets secondaires. A prescrire donc et à très haute dose !

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  • Palmarès de la section Un Certain Regard du Festival de Cannes 2011

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    Ce soir, dans le cadre du théâtre Debussy, était délivré le palmarès Un Certain Regard de ce Festival de Cannes 2011, une soirée toujours moins informelle que la remise de prix de la compétition officielle, le tout présenté par un Thierry Frémaux toujours aussi enthousiaste même après 11 jours de festival et qui partage avec Gilles Jacob , outre la passion du cinéma, un véritable sens de l'humour.  C'est Kusturica, réalisateur présentant la particularité d'avoir deux fois reçu la palme d'or à Cannes qui, le premier, a pris la parole évoquant avec humour ses 25 ans de Festival de Cannes sans jamais y voir un seul film: "Depuis 25 ans que je viens ici, je n'ai jamais vu un seul film", "Un Certain Regard est vraiment une bonne section", a-t-il ajouté. Le jury a remis cette année dux prix Ex-aquo pour le prix Un Certain Regard, à Andreas Dresen et à Kim Ki Duk qui a chanté une chanson du film pour l'occasion (sous le regard interloqué de Kusturica). Mohammad Rasoulof a reçu le prix de la mise en scène.

    Le film d'Andrey Zvyagintsev, Elena, récompensé d'un prix spécial était projeté en clôture

    , en voici le synopsis:

    Synopsis : Elena et Vladimir forment un couple d’un certain âge. Ils sont issus de milieux sociaux différents. Vladimir est un homme riche et froid, Elena une femme modeste et docile. Ils se sont rencontrés tard dans la vie et chacun a un enfant d’un précédent mariage.
    Le fils d’Elena, au chômage, ne parvient pas à subvenir aux besoins de sa propre famille et demande sans cesse de l’argent à sa mère. La fille de Vladimir est une jeune femme négligente, un peu bohème, qui maintient son père à distance.
    Suite à un malaise cardiaque, Vladimir est hospitalisé. A la clinique, il réalise qu’il pourrait mourir prochainement. Un moment bref mais tendre, partagé avec sa fille le conduit à une décision importante : c’est elle qui héritera de toute sa fortune. De retour à la maison, Vladimir l’annonce à Elena. Celle-ci voit soudain s’effondrer tout espoir d’aider financièrement son fils.
    La femme au foyer timide et soumise élabore alors un plan pour offrir à son fils et ses petits-enfants une vraie chance dans la vie.
    Un Certain Regard 2011 a proposé 21 films réalisés par 22 réalisateurs venus de 19 pays différents. Deux d’entre eux sont des premiers films.

    Je vous reparlerai de ce film d'une rigueur mélancolique aussi bien dans le fond que dans la forme qui obéissent à la même logique froide, implacable, mais reflètant aussi un regard d'une profonde humanité.

    Présidé par Emir KUSTURICA (Réalisateur, acteur et musicien - Serbie), le Jury était composé de : Elodie BOUCHEZ (Actrice - France), Peter BRADSHAW (Critique-The Guardian - Royaume Uni), Geoffrey GILMORE (Directeur artistique-Tribeca Enterprises - Etats-Unis), Daniela MICHEL (Directrice du Festival de Morelia - Mexique).

    PRIX UN CERTAIN REGARD Ex-æquo

    ARIRANG de KIM Ki-Duk

    HALT AUF FREIER STRECKE (Arrêt en pleine voie) d’Andreas DRESEN

    PRIX SPECIAL DU JURY

    ELENA d’Andrey ZVYAGINTSEV

    PRIX DE LA MISE EN SCENE

    BÉ OMID É DIDAR (Au revoir) de Mohammad RASOULOF

    Le cinéma d’art et d’essai parisien le Reflet Médicis accueillera les films de la Sélection officielle 2011 sélectionnés à Un Certain Regard du mercredi 25 mai au mardi 31 mai 2011.

     

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  • Un Certain Regard - Critique de "L'Exercice de l'Etat" de Pierre Schoeller

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    Hasard ou coïncidence : ce Festival de Cannes 2011 aura été aussi celui du retour des films politiques, à la veille d’une année riche en échéances électorales primordiales. Trois films et trois regards sur la politique.  « Pater » d’Alain Cavalier (en compétition) : une réflexion déroutante et ludique sur le jeu et les jeux de pouvoirs (entre un président de la République et son Premier ministre, entre deux hommes, entre un père et son fils, entre un réalisateur et un acteur mais aussi entre un réalisateur et le spectateur ici allègrement manipulé) qui,  témoigne d’une belle audace et liberté. « La Conquête » de Xavier Durringer, présenté hors compétition, que je n’ai pas vu mais qui me semble tout de même être le contraire du premier, notamment en ce qu’il n’est pas une représentation mais une imitation. Et enfin « L’Exercice de l’Etat » de Pierre Schoeller, présenté dans la sélection Un Certain Regard.

    Olivier Gourmet y incarne le ministre des Transports Bertrand Saint-Jean. Réveillé en pleine nuit par son directeur de cabinet (Michel Blanc) suite à un accident (un car avec des enfants a basculé dans un ravin), il n’a d’autre choix que de se rendre sur les lieux du carnage. C’est le début du parcours d’un homme qui apparaît d’abord guidé par ses convictions mais dans un Etat qui dévore ceux qui le servent, où une urgence et une actualité chassent l’autre, les idéaux sont mis à rude épreuve surtout quand on le choisit, lui, le défenseur du service public, pour réformer les gares et les privatiser.

    Le film débute par une séquence onirique et inquiétante. Une femme se glisse languissamment dans la gueule d’un crocodile qui la dévore, sous les apparats d’un bureau ministériel. L’homme est un animal politique pétri de désirs et de pouvoir(s) qui dévore ce qu’il désire et ce qui l’entrave. Le ton est donné. Bertrand Saint-Jean est alors brusquement sorti de son rêve par son directeur de cabinet. L’actualité fracassante et tonitruante, l’actualité qui ne le lâchera plus le rattrape dans ses évasions nocturnes et prémonitoires.

    Ce film a priori rugueux, qui ne cherche pas à être à tout prix sympathique (au contraire de celui dont il dresse le portrait, manière habile de nous dire ce que doit être la politique ?) est aussi palpitant qu’un thriller. Après tout, l’enjeu aussi est de sauver sa peau. Au prix de ses idéaux. De ses illusions. De la vie des autres.

     Il fallait un acteur de la trempe d’Olivier Gourmet pour incarner ce rôle. Connu mais assez peu pour que sa personnalité ne parasite pas celle de son personnage.  Homme politique complexe (pléonasme) tour à tour mécanique, humain, imbuvable, cynique, altruiste, égoïste, idéaliste, ambitieux et finalement surtout ambitieux, notre attention ne le quitte pas une seconde partagée entre l’empathie, le rejet, l’incompréhension.

    La tension est constante car la caméra traque ses faiblesses et ses sursauts d’humanité, nous fait suivre son parcours qui ne lui laisse, pas plus qu’à nous, aucun répit, guidé par une actualité et un Etat voraces.

    Le film ne s’appelle pas (et à dessein) l’Exercice du pouvoir, mais de l’Etat car il s’agit d’ailleurs plutôt d’un renoncement au premier dévolu à d’autres entités (privé, économie, médias). Le manège qui l’entoure est alors essentiel et en partie responsable : des médias carnassiers, une chargée des communication qui lui dicte aussi bien sa cravate que ses réponses pour créer l’image de cet « objet non identifié », « flou » qui a une histoire à écrire pour un peuple, semble-t-il, avide d’histoires (par exemple celle d’un homme qui survit à un accident –dont il est d’ailleurs en partie responsable, ironie de l’histoire et de l’Histoire-) plus que de compétences. Le tout appuyé par une musique aux sonorités ironiques.

    La réalisation, nerveuse, constamment sous tension, épouse son rythme de vie trépidant, tendu, grisant, vertigineux, périlleux, étouffant aussi. Le piège se referme comme une mâchoire de crocodile. L’obstacle auquel se retrouve confronté l’Exercice de l’Etat n’est pas tant une hiérarchie (quelle qu’elle soit) que l’ambition personnelle qui, forcément semble-t-on nous dire, dicte ses actes à l’homme politique, au mépris de ses convictions, de l’intérêt général, de la sécurité, de ses citoyens instrumentalisés (idée démagogique des chômeurs employés au service des ministères, fascinant personnage du chauffeur qui incarne ce citoyen silencieux partagé entre scepticisme, fascination, désapprobation) .  Les choix s’imposent au ministre plus qu’il ne les impose : c’est cela l’Exercice de l’Etat, ici.

    Dommage  que la conclusion aboutisse à ce constat aux frontières poujadistes (d’autant qu’aucun homme ou parti politique n’est clairement identifiable, et ce qui en fait une qualité du film au début, contribue finalement à cet amer constat ) dont le film avait pourtant brillamment évité l’écueil (nous montrant au départ Saint-Jean dans toute son ambigüité, guidé par ses idéaux qu’il abandonne ensuite par ambition, tout comme il abandonnera son directeur de cabinet et ami lors d’une scène d’autant plus effroyablement cruelle qu’elle se déroule au calme, dans un cadre doré, avec sourires et politesses de rigueur) et surtout que son renoncement semble être la seule solution possible dans un monde politique décrit avec cynisme (« pas là pour refaire les mondes mais pour reprendre 5 points de sondage »,  qui « brasse du vent, n’a rien dans les mains, à part sa petite ambition »).

    Brillant exercice de style ( avec un symbolisme parfois appuyé comme le début ou cette route que Saint-Jean remonte après son accident, comme tout homme politique qui « remonte la pente » parce que « ce qui ne [le] tue pas [le] rend plus fort »), démonstration implacable (mais contestable) du renoncement inéluctable à ses idéaux, de l’ambition dévorante et dévoreuse de l’homme (animal) politique. Le seul qui n’y renoncera pas (très beau personnage de Michel Blanc qui vaut une des plus belles scènes du film, lorsque celui-ci écoute le discours d’André Malraux sur Jean Moulin, presque avec ferveur, comme le témoignage d’un idéalisme révolu) sera broyé avec une ferme et impitoyable douceur.

    Reste un film passionnant, parfois aussi cruel et âpre, cynique ou réaliste, selon les points de vue. Vous aurez compris le mien, sans doute idéaliste mais assumé. Une vision de l’exercice de l’Etat, contestable, mais indéniablement personnelle, et traitée avec rigueur et originalité, à voir en tout cas !

     
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  • Un Certain Regard - "Et maintenant on va où" de Nadine Labaki

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    Ce film raconte la vie d’un village libanais dans lequel les femmes s’évertuent à protéger le village et leurs familles des menaces extérieures et surtout des dissensions religieuses. Chrétiens et musulmans y vivent en effet en bonne entente mais cette entente est très fragile et le fruit de la détermination sans failles des femmes du village, faisant tout pour distraire les hommes et les empêcher de se haïr ou de trouver le moindre prétexte à leur haine. Comme une mine prête à exploser à tout instant.

     Nadine Labaki mêle gravité et légèreté et les styles (comédie musicale, comédie, drame) passant de l’un à l’autre avec une facilité déconcertante pour ne nous dire qu’une seule chose qu’elle le chante, le crie ou le pleure : cessez cette haine meurtrière absurde.

     « Et maintenant on va où » parle de la nécessité absurde mais finalement rassurante (car devenant un mode d’expression voire de distraction ou d’identification) d’appartenir à un camp, de s’exprimer par la violence qui peut surgir à tout instant et briser l’harmonie.

      Une utopie enchantée, une fable parfois douloureuse et une démonstration par l’absurde maligne et efficace.  Le tout servi par des actrices remarquables (à commencer par la réalisatrice elle-même) et une lumière chaleureuse rendant hommage à ces dernières et à la beauté du Liban.

    Et un plan de la fin qui fait joliment et dramatiquement écho à celui du début illustrant l’insoluble question du titre.  Je vous reparlerai plus longuement de ce film que je vous recommande d’ores et déjà.

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  • "Elena" d'Andreï Zviaguintsev Film de clôture d'Un Certain Regard le 21 mai

    banni.jpgC'est le film russe "Elena" d'Andrei Zviaguintsev qui fera la clôture de la section Un Certain Regard, le samedi 21 mai. Andreï Zviaguintsev était en compétition à Cannes en 2007 avec "Le Bannissement".

     Synopsis d' "Elena": Elena et Vladimir forment un couple d’un certain âge. Ils sont issus de milieux sociaux différents. Vladimir est un homme riche et froid, Elena une femme modeste et docile. Ils se sont rencontrés tard dans la vie et chacun a un enfant d’un précédent mariage.
    Le fils d’Elena, au chômage, ne parvient pas à subvenir aux besoins de sa propre famille et demande sans cesse de l’argent à sa mère. La fille de Vladimir est une jeune femme négligente, un peu bohème, qui maintient son père à distance.
    Suite à un malaise cardiaque, Vladimir est hospitalisé. A la clinique, il réalise qu’il pourrait mourir prochainement. Un moment bref mais tendre, partagé avec sa fille le conduit à une décision importante : c’est elle qui héritera de toute sa fortune. De retour à la maison, Vladimir l’annonce à Elena. Celle-ci voit soudain s’effondrer tout espoir d’aider financièrement son fils.
    La femme au foyer timide et soumise élabore alors un plan pour offrir à son fils et ses petits-enfants une vraie chance dans la vie. comes up with a plan to give her son and grandchildren a real chance in life.

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  • Bande-annonce de "Restless" de Gus Van Sant : film d'ouverture de la section Un Certain Regard 2011

    Je vous annonçais tout à l'heure que ce film ferait l'ouverture de la section Un Certain Regard 2011. Vous pourrez bien entendu en trouver la critique sur ce blog. En attendant, voici la bande-annonce.

     

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