Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

HORS COMPETITION - Page 3

  • Hors compétition- "Agora" d'Alejandro Amenabar

    amenabar2.jpg
    Alejandro Amenabar- Ce matin

    Jeudi dernier, on me proposait de voir « Agora » ce lundi en avant-première à l'UGC de Bercy puis d'interviewer son réalisateur Alejandro Amenabar, le lendemain (aujourd'hui donc). J'étais évidemment aussi agréablement surprise qu'enthousiaste à cette idée même s'il m'a fallu pour cela renoncer à la Master class Jean-Laurent Cochet réservée de longue date (et ceux qui suivent ce blog depuis un moment savent à quel point j'en suis inconditionnelle) et même si je prends à cœur mais surtout avec humilité ce tout nouveau rôle d'intervieweuse (formation accélérée puisque c'était ma deuxième expérience en une semaine, après l'interview du cinéaste coréen Bong Joon-ho la semaine dernière). Et si je ne devais retenir qu'une chose de tous les beaux moments et les belles opportunités que ce blog a suscités (ou à l'inverse que j'ai suscités avant d'en parler sur ce blog) ce serait évidemment les rencontres qu'elles soient sur l'écran ou de l'autre côté mais pouvoir échanger ainsi avec des cinéastes dont on apprécie le travail est  encore un plaisir supplémentaire et un immense privilège dont j'ai entièrement conscience et pour lequel je remercie vivement Cinefriends et Mars Distribution à l'origine de cette rencontre. Mais avant d'en venir au récit de cette rencontre et au compte rendu de l'interview, d'abord la critique du film. L'avant-première a eu lieu hier soir en présence du réalisateur.

    agora1.jpg
    Critique d' « Agora » d'Alejandro Amenabar
    agora2.jpg

    Agora nous ramène 1600 ans en arrière, au IVème siècle après Jésus-Christ alors que l'Egypte est sous domination romaine. A Alexandrie, la révolte des Chrétiens gronde alors. C'est là que vit la brillante astronome Hypatie (Rachel Weisz), réfugiée dans La Grande Bibliothèque, menacée par la colère des insurgés. Avec ses disciples elle tente de préserver les connaissances accumulées depuis des siècles. Parmi ceux-ci, deux hommes qui se disputent son amour : Oreste et le jeune esclave Davus (Max Minghella), déchiré entre ses sentiments et la perspective d'être affranchi s'il accepte de rejoindre les Chrétiens de plus en plus puissants...

     « Agora » est avant tout un film qui ne cède à aucune mode, à aucune facilité didactique, à aucune banalité démagogique. Et c'est d'abord ce qui m'a séduite, cette exigence que certains ont analysée comme de la froideur. Cette rigueur presque scientifique comme si la personnalité d'Hypatie se reflétait dans la forme du film qui, comme elle, possède aussi une noblesse, une force, une grandeur admirables. Cette volonté de ne pas tout simplifier pour rendre le film plus accessible ou sympathique. Et avec raison puisque le film a cette année connu un énorme succès en Espagne où il pourrait même devenir le plus gros succès de tous les temps, ce qui est d'ailleurs rassurant sur les goûts du public que l'on tend trop souvent à infantiliser ou mépriser, même si une partie du public a aussi été attirée par la polémique (le film ayant révolté certains conservateurs, en raison de l'image du christianisme qui y est donnée).

     Mais n'allez pas croire qu'il s'agit d'un film hermétique et dénué de tout sentiment. Au contraire, la rareté des scènes où les sentiments s'expriment en renforce encore la majesté qui culmine dans le dénouement d'une beauté tragique et sublime, cruelle et sacrificielle, crue et poétique. Alliance et opposition des paradoxes comme l'est ce film tout entier. Entre science et religion. Savoir et intolérance. Réflexion et sentiment. Raison et passion. Liberté et enfermement.

    agora3.jpg

     Amenabar a aussi eu l'excellente idée d'appliquer à la forme le thème du cycle, symbole des travaux d'astronomie d'Hypatie mais aussi du cycle historique et des meurtrières intolérances qui se répètent inlassablement. Sa caméra prend aussi du recul sur les évènements comme un journal télévisé, ou comme si des extraterrestres ou un mystérieux démiurge (sous le fallacieux prétexte duquel toutes ces Hommes se battent, usent et abusent de leur violence) les observait.

     « Agora » est ainsi aussi une condamnation des extrémismes et en nous parlant de l'Egypte il évoque évidemment notre société avec d'ailleurs un remarquable souci d'équité (entre Païens, Juifs et Chrétiens) et avec la volonté de dénoncer avec la même force l'absurdité des extrémismes religieux, les opprimés d'hier devenant les oppresseurs d'aujourd'hui. L'Agora c'est le lieu où les Hommes devraient s'écouter, se comprendre mais où ils s'enferment dans leurs croyances et leurs intolérances obstinées.

     Grâce à un habile contraste de couleurs dans les tenues vestimentaires des défenseurs des différentes religions, Amenabar rend limpide un récit qui aurait rapidement pu être opaque et ennuyeux. Il n'en est rien, je n'ai pas vu passer les 2H que dure le film (une durée raccourcie après la projection cannoise.) La mise en scène y est évidemment pour beaucoup.

     Avec ce film sur la nécessité des Hommes (parfois meurtrière) de croire, Amenabar nous donne envie de croire encore davantage en la force inépuisable de conviction du cinéma.

     Et puis il y a Alexandrie, majestueusement reconstituée, ville monumentale et décadente mais surtout fascinante dans laquelle déambule une foule réelle et non créée par ordinateur, ce qui accroît l'impression de réalisme et d'actualité malgré les siècles qui nous séparent de l'époque de cette histoire.

     C'est enfin un magnifique portrait de femme, celui d'une femme libre et fière qui voulait vivre comme un homme, qui risqua se vie pour des idéaux et dans ce rôle Rachel Weisz est absolument impeccable.

     Cette fois Amenabar n'a pas signé lui-même la musique qu'il a laissée aux soins de Dario Marianelli.

     « Agora » est donc un prodigieux mélange de rigueur scientifique et de souffle épique, d'auscultation de douleurs intimes dans un décor spectaculaire, une fresque ambitieuse qui nous fait voyager dans le temps et dans l'espace, qui apporte de la contemporanéité au péplum.

     Amenabar (à partir d'un scénario coécrit avec Mateo Gil), avec ce cinquième long métrage, explore ainsi encore une nouvelle facette de son talent avec un film qui a la beauté intense du visage de Rachel Weisz et celle, ténébreuse et hantée de contradictions, de Max Minghella. Un film qui est aussi une irréfutable démonstration de l'absurdité des extrémismes religieux, du prosélytisme et de l'interprétation extrémiste des textes, quelle que soit la religion qu'ils sous-tendent.

     Un film brillant et éclairant. Rigoureux et intense. Un miroir implacable d'une société qui, dans ce domaine de l'intolérance religieuse, n'a finalement pas su évoluer en...1600 ans, ni tirer les leçons des cruautés et violences du passé !

     Un film dont que je vous recommande et dont je vous reparlerai, au moment de sa sortie, le 6 janvier 2010

    agora4.jpg

    Interview- Rencontre avec Alejandro Amenabar

    amenabar3.jpg

     Il y a des jours où  m(l)a vie ressemble vraiment à du cinéma et je crois que si j'accumulais les troublants hasards et coïncidences -que Lelouch même n'oserait inventer- rien que de cette année, et les moments surréalistes et irréels, je pourrais en faire un film (même comique parfois, souvent). J'étais donc en train de penser à une très récente étrange coïncidence, tandis que  dehors Paris était pétrifiée par l'air glacial sous un ciel mensongèrement bleutée, lorsque mon adorable chauffeuse de taxi qui, pendant tout le trajet, s'était déhanchée sur la musique à tue-tête de son autoradio (notamment un Guantanamera insolemment ensoleillé) -qui coïncidait avec mon humeur joviale-, tenant son volant par intermittence quand elle se souvenait que c'était quand même plus pratique pour conduire -ce qui coïncidait avec mon humeur inconsciente- quand la musique de Yann Tiersen pour le film « Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain » retentit dans le taxi et que, au même moment, ma chauffeuse me laissa, à Montmartre dans la rue même où avait eu lieu le tournage du film( encore une petite coïncidence donc) ,  à deux pas de l'hôtel particulier où avait lieu l'interview. Enfin un hôtel particulier...disons un endroit auquel on accède après un dédale, tamisé et presque inquiétant (un décor pour le film d'horreur qu'Amenabar projetterait de tourner ?). Amenabar, justement, revenons-y.  Malgré le froid et l'heure matinale mes neurones parvinrent tout de même à décompter -seulement- 4 personnes (2 blogueurs, enfin-euses- et 2 journalistes) au lieu des 10 initialement prévues, de quoi accentuer le caractère, intime, privilégiée de cette belle rencontre dont voici un résumé . Après que cette immense assemblée se soit présentée, et qu'Alejandro Amenabar nous ait poliment salués puis tout aussi poliment et stoïquement écoutés, le jeu des questions réponses pouvait débuter.

     Sur la genèse du projet, Alejandro Amenabar a d'abord évoqué son intérêt pour l'astronomie. Il a d'abord pensé à réaliser un film qui aurait retracé 20 siècles d'Histoire de l'astronomie. Quand il s'est aperçu que le projet aurait une envergure énorme, il s'est ensuite concentré sur le personnage d'Hypatie sans laisser de côté la cosmologie. Il a donc choisi ce lieu où régnait une ambiance d'hystérie collective où chacun essayait d'imposer ses idées par la force. Mais dans cette planète il devait bien exister un lieu où la diversité serait possible, ce lieu s'appelant l'Agora. Les changements dans le film concernent ainsi autant l'espace que le temps.

     Concernant le budget, et le grand nombre de figurants, il a fait comme avec ses premiers films en « essayant d'optimiser les ressources et de faire le maximum avec les moyens » dont il disposait.  Il s'y est ainsi pris de la même manière que pour son premier film à 700000 euros alors que le budget d' « Agora » était supérieur à 50 millions de dollars. Financer le film n'a ainsi pas été facile et ensuite il a fallu faire coïncider cet énorme budget avec la liberté créatrice absolue qu'il souhaitait avoir. Il fallait aussi concilier ceux qui avaient beaucoup d'expérience avec ceux qui en avaient moins.

     Il aspirait avant tout à montrer une partie de l'Histoire du christianisme jamais montrée mais il a essayé de montrer toutes les religions sur le même plan.

     A ma question sur le point commun entre ses films qui pourrait être le thème de l'enfermement (physique ou moral) il a répondu que pour lui le point commun était de faire en sorte, avant tout, que ses personnages soient confrontés à un dilemme. Dans « Mar Adentro » et dans « Agora » « les héros ne sont ainsi pas ceux qui se servent d'une épée mais qui se servent de leurs têtes. »

     A la question sur le lieu qui selon lui aujourd'hui ressemblerait à l'Agora, Alejandro Amenabar a répondu... internet ajoutant que le film en lui-même était d'ailleurs une agora symbolique avec des Juifs et des Musulmans, et beaucoup de nationalités différentes.

     Concernant la musique, lorsqu'il a fini la musique pour « Mar Adentro », il s'est dit que cela avait été une expérience très gratifiante et qu'il serait bien de laisser ce rôle à d'autres pour les prochains films.

     Concernant le style de films vers lequel il souhaiterait aller, il ne pense pas qu'il fera un drame historique dans l'Empire romain  mais qu'il changera de genre encore une fois. Pour lui l'important est de « se sentir libre. »

     Concernant le choix de Rachel Weisz, il le justifie par son talent, sa beauté, par ses traits méditerranéens qu'il fallait pour le personnage. Par ailleurs elle est diplômée et il s'est dit qu'elle serait touchée par le personnage.

     Pour lui, Agora est clairement un film féministe.

     Concernant ce en quoi lui croit, il a répondu « croire en l'être humain ». Ce qu'il voulait dire avant tout dans ce film : « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse » et pour lui cela réside dans le bon sens et non dans les 10 commandements chrétiens.

     Concernant les débuts de sa passion pour le cinéma il croyait qu'elle était venue tardivement mais en fait il  a réalisé que sa passion existait depuis très longtemps. Il aimait ainsi écrire, lire, faire de la musique et réunir tout ça il a réalisé que cela constituait un film.

     Concernant ses coups de cœur cinématographiques de l'année, après un temps de réflexion, il a cité « The reader » et « Doubt».

     Concernant le choix de Michael Lonsdale, il l'a qualifié d' « homme très spécial » avec « un côté intellectuel utile pour incarner le personnage ». Pendant le tournage il a ainsi constaté son « calme très professionnel » ajoutant qu'au début il croyait qu'il ne l'aimait pas mais que la maquilleuse l'a rassurée sur ce point.

    Cliquez ici pour voir la vidéo de présentation du film par Alejandro Amenanar lors de l'avant-première parisienne.
    Catégories : HORS COMPETITION Lien permanent 0 commentaire Pin it! Imprimer
  • Séance du Président: "The third wave" de Alyson Thompson en présence de Sean Penn

    2075150413.jpg
    89048545.JPG
    Photo "In the mood for Cannes": Sean Penn et Thierry Frémaux
    1217521167.JPG
    Photos "In the mood for Cannes": Thierry Frémaux et Sean Penn

     

     Ma journée d’hier a été particulièrement riche et passionnante avec au programme « Les 3 singes » de Nuri Bilge Ceylan, un habitué de la sélection officielle (« Uzak » en 2003 et « Les climats » en 2006, tous deux déjà présentés en compétition officielle), qui cette année encore n’a pas démérité (mon favori de la compétition pour le moment), ainsi que le premier des 3 films français en compétition "Un conte de noël" d'Arnaud Desplechin, qui entremêle de nouveau famille, religion, amour dans ce conte psychanalytique , mélancolique, myth(olog)ique.

    Les deux films avaient d’ailleurs un point commun puisque dans les deux cas planait l’ombre pesante d’un enfant mort. J’avoue avoir été beaucoup plus sensible au premier, aux plans d’une beauté picturale sidérante, à cette dissection si subtile de l’ambivalence humaine, de la lâcheté, du poids du secret et de la vérité habilement souligné par le poids du silence et des plans contemplatifs dont la beauté somptueuse contraste avec la douleur et les secrets enfouis et latents.

     Mais c’est en toute (il)logique cannoise que je vais commencer par évoquer le troisième évènement de cette journée, à savoir  la Séance du Président, une nouveauté de cette 61ème édition, un film choisi par le Président du jury , en l’occurrence « The third wave », un documentaire de Alison Thompson projeté dans la salle du 60ème dans laquelle régnait hier soir une fébrilité palpable, savoureusement électrique. Thierry Frémaux a d’abord salué la présence de tous les membres du jury, ainsi que de Michael Moore, et de Bono, déjà applaudis à leur arrivée, avant d’appeler sur scène le président du jury Sean Penn, également ovationné.

    Sean Penn, (dont la preuve de l'engagement politique et humanitaire n'est plus à faire d'où la sincérité de la démarche) le visage grave, dont il s’était tout juste départi pour écouter chanter « Freedom » le soir de l’ouverture a évoqué les raisons de son choix : "Ce film m'a énormément marqué émotionnellement. Je n'en dirai pas plus car ce film vous convaincra lui-même par son propos. Vu que les gouvernements nationaux ne semblent pas capables de nous aider, ce film nous indique comment il est possible de nous entraider. Ce film m'a été communiqué par une personne qui a été confrontée directement aux effets du tsunami, Petra Nemcova…"

    2140051073.JPG

     Puis Sean Penn a appelé sur scène la jeune femme en question qui a annoncé avec autant de légèreté apparente qu’elle a été blessée lors du tsunami, que son fiancé y était mort, (« Ce documentaire est très cher à mon cœur, ceci pour deux raisons : parce qu'il s'agit de mon expérience personnelle et parce qu'il est ce en quoi je crois. L'action de ce film se déroule au Sri Lanka juste après le passage du tsunami. J'y ai été confrontée en Thaïlande. Heureusement, je n'ai été que blessée. L'une des choses les plus importantes que j'ai apprises, c'est que dans chaque expérience vécue, il y a du positif et du négatif. Le négatif, c'est que parmi les 100 000 personnes qui ont trouvé la mort dans cette catastrophe, il y avait mon fiancé Simon. Et le positif, c'est que j'ai créé un organisme d'aide à ces populations, le Happy Hearts Fund, auquel bénéficie ce documentaire. Merci beaucoup pour votre générosité.")  et qu’elle était tétanisée à l’idée de venir sur scène mais qu’on l’a rassurée en la disant plus belle que Sean Penn. ( !) C’est cela Cannes : évoquer les pires atrocités du monde, en robe de soirée, parfois une coupe de champagne à la main, en exhibant un air désinvolte astucieusement travaillé, s’en faire l’écho dans un cadre qui en est à l’opposé. Les flashs qui crépitent, l’atmosphère festive, les tenues de soirée paraissent soudain incongrus. Seul le visage toujours grave de Sean Penn  reste en accord avec le thème de la soirée. Puis la lumière s’éteint et nous plonge dans une réalité à des années lumière de Cannes. Cannes reflet d’un monde  dont elle symbolise aussi l’évasion, la négation presque. Cannes et ses éternels paradoxes.

    Pitch : Une histoire de volontarisme : 4 volontaires indépendants avec peu d’argent et inexpérimentés partent pour le Sri Lanka aider le pays ravagé par le tsunami. Le hasard fait qu’ils se rencontrent à l’aéroport de Colombo où ils louent un van, le remplissent avec des provisions et longent la cote pour trouver des gens à aider. Ils arrivent à Peraliya, un village détruit par une vague de 15 mètres, où un train s’est retourné tuant plus de 2500 personnes. Le documentaire suit ces volontaires pendant 19 semaines.

    Après le frisson électrique qui avait parcouru la salle à l’arrivée des invités, c’est peu à peu le malaise qui s’est emparé de moi : malaise devant ces volontaires qui se mettent en scène et qui, au départ, occultent totalement la réalité du drame qu’ils ont sous les yeux pour ne nous montrer que la leur, malaise devant ces images insoutenables de corps mutilés embarqués dans des sacs comme de vulgaires marchandises, malaise devant tous ces drames indicibles dont leur dispensaire se fait le réceptacle, malaise créé par cette réalité du monde qui nous frappe, nous agresse presque, sur cet impitoyable écran, réalité dans laquelle il nous immerge avec violence, encore éblouis par les flashs, encore éblouis et hypnotisés par l’illusion cannoise : celle d’un autre monde, sans heurts, sans drames, sans autres frontières que celles de la Croisette. Cannes, certes miroir éclairant mais aussi aveuglant du monde, au monde.

    Le malaise s’accroît devant l’évocation de « belles journées » par les volontaires, une expression qui résonne comme une tragique ironie après les images insoutenables qui nous sont montrées, jetées à nos regards (dont je constate qu’ils fléchissent si peu dans la salle. Fascination malsaine ? Besoin d’être informés ? Regards blasés et trop habitués, anesthésiés par tant de fictions qui rivalisent d’imagination dans l’horreur et regards devenus insensibles aux horreurs de la réalité qui apparaissent peut-être finalement plus irréelles ?), malaise accru par une musique douce probablement choisie pour atténuer l’horreur ou, effet pervers, pour involontairement la nier.

    Le malaise atteint son paroxysme lorsqu’un enfant dit en souriant qu’il a perdu une bonne partie de sa famille proche, qu’il énumère, et avec fierté (du désespoir, de l’innocence) qu’il est même passé à la radio et la télévision. Images placebo qui donnent une terrifiante illusion de vie. Terrible force des images. L’image interroge soudain son propre rôle comme lorsque le cameraman est pris à parti par une victime. Témoigner, montrer n’est-il pas aussi agir ou simplement s’en persuader, construire une fiction avec la réalité, se définir en héros de sa propre réalité ?

     Mais peu à peu le documentaire prend toute sa dimension. Tournée par une des volontaires, la réalisatrice australienne Alison Thompson, il révèle en effet progressivement toute l’ambigüité de l’aide humanitaire, là aussi toute l’ambivalence humaine.

    Les images de rires des bénévoles, des enfants en apparence joyeux et souriants sont majoritaires dans la première partie comme si une euphorie anesthésiante s’était emparée de chacun, comme si l’horreur était telle que personne ne voulait l’admettre, comme si au contraire cet univers ( de nouveau à sa manière carcéral pour faire un parallèle avec les films évoqués ces jours précédents)  révélait non pas l’inhumanité mais l’humanité en chacun (cette fois à l’inverse des films précédemment évoqués). Et puis, le choc passé, les sentiments matérialistes reprennent leurs droits, la jalousie s’empare des villageois et les bénévoles sont  menacés, victimes de violences exacerbées par la rancœur devant un sentiment d’injustice. Alyson explique ainsi qu’ils reçoivent de l’argent qu’ils donnent, obéissant bien souvent à des choix affectifs : comment faire une échelle dans la douleur ? Devant un membre du village excédé parce qu’ils ont donné de l’argent à des personnes qu’il en estime indigne, Alyson explique alors par le biais d’un schéma, que les « bonnes personnes » et les « mauvaises personnes » sont  à égalité, que les deuxièmes méritent autant l’aide que les premières, sans quoi leur situation sera encore pire qu’elle n’était avant le tsunami.

    Le documentaire, tandis que défilent les noms au générique, se termine par une sorte de « bêtisier » (j’emploie ce terme inexact, exagéré, à dessein),  qui me dérange de nouveau et qui peut être vu soit  comme la volonté d’atténuer l’horreur, de dédramatiser, ou comme le bêtisier d’un blockbuster qui annihilerait alors toute la force du documentaire et le rendrait terriblement cynique, fictionnel.

    Ce documentaire a en tout cas le mérite de refléter  l’ambiguïté des bonnes intentions comme lorsqu’un bénévole déclare qu’il n’est rien chez lui et un Dieu là-bas, et tous évoquent cette « expérience » comme chargée de bons souvenirs, comme ils évoqueraient des souvenirs de vacances. Leur aide n’est finalement pas si gratuite mais peut-on les en blâmer, comme l’évoquera ce même bénévole, ils sont juste humains, et c’est déjà énorme de savoir faire preuve d’humanité.

     Puis l’équipe de bénévoles est invitée  à monter sur scène pour un débat avec la salle, applaudie (en tenue de soirée, comme toute équipe de film qui se respecte, seulement là, créant une distance, apparentant de nouveau la réalité à une fiction dont ils seraient les héros).

    999469190.JPG

    Un drame en chasse malheureusement un autre et surtout le pouvoir émotionnel des images en chasse d'autres : Alyson annonce qu’elle part pour la Birmanie. On pourrait penser que l’orgueil dicte cette révélation mais son visage angélique qui ne sourcille pas et sa détermination forcent l’admiration.

     Une jeune femme dans l’assistance propose alors de donner une enveloppe et que chacun y fasse un don pour l’association, reflétant ainsi les dangers du sentimentalisme aveugle et aveuglé contre lequel met finalement aussi en garde le documentaire. Si j’étais cynique (non, non) je dirais que chacun courait alors après une nouvelle palme d’or : celle de la preuve irréfutable de son altruisme.  Contre toute (son) attente, les volontaires  refusent son aide pécuniaire, expliquant que s’engager c’est d’abord « balayer devant sa propre porte » et que s’engager humainement est beaucoup plus efficace. La jeune femme range son enveloppe, les trémolos dans sa voix, et ses « bonnes », mélodramatiques,, naïves (peut-être) ou démagogiques (peut-être) intentions.

    Et puis, nous ressortons, la Croisette scintille de mille feux. Le Sri Lanka, la Birmanie, la Chine sont tragiquement irréels, lointains, inaccessibles à nos regards hypnotisés d’irréalité cannoise.

    Le temps me manque pour vous parler d’ « Un conte de noël » et des « 3 singes » mais j’y reviendrai.  Je reviendrai également sur ce documentaire dont je n’ai pu vous parler que brièvement, il m’aurait fallu aussi plus de temps et de recul pour évoquer ce sujet sensible, c’est pourquoi je souhaiterais y revenir. En attendant aujourd’hui Jia Zhangke et Woody Allen sont à mon programme…

    A suivre sur « In the mood for Cannes ».

    Sandra.M

    ps: Pardon d'avance pour les éventuelles imprécisions et fautres dans cet article que je n'ai pas le temps de relire...

    Catégories : HORS COMPETITION, SEANCES SPECIALES Lien permanent 2 commentaires Pin it! Imprimer
  • La sélection officielle (suite): hors compétition, séances spéciales, séances de minuit, séance du président du jury

    Il s'agit du programme de la sélection officielle hors compétition tel que dévoilé ce 23 Avril. Des ajouts pourront y être apportés. Ils seront évidemment reportés sur ce blog. Précisons également qu'il n'a pas encore été question des films d'ouverture (dont nous pensions qu'il s'agirait du film de Spielberg) et de clôture (dont plusieurs sources indiquaient qu'il s'agirait du film de Barry Levinsonn, cette information n'est ni infirmée ni confirmée pour le moment.) Notons une nouveauté avec la séance choisie par le  président du jury, cette année un documentaire sur  un village ravagé par un tsunami. Enfin, je me réjouis de la projection du dernier Woody Allen. 

    Hors compétition :

    Woody ALLEN VICKY CRISTINA BARCELONA 1h30

    795677993.jpg
    Ci-dessus, Penelope Cruz dans "Vicky Cristina Barcelona"

    KIM Jee-woon THE GOOD, THE BAD, THE WEIRD (Le Bon, la Brute, le Cinglé) 2h

    Mark OSBORNE -John STEVENSON -KUNG FU PANDA 1h35

    1581021270.jpg

    Steven SPIELBERG INDIANA JONES AND THE KINGDOM OF THE CRYSTAL SKULL (Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal) 2h05

    1511090818.jpg

    Séances de minuit :

    Emir KUSTURICA MARADONA 1h30

    1152368473.jpg

    Jennifer LYNCH SURVEILLANCE 1h38

    NA Hong-Jin THE CHASER 1er film 2h03

    Séances spéciales :

    Terence DAVIES OF TIME AND CITY 1h10

    Abel FERRARA CHELSEA HOTEL 1h22

    Marco Tullio GIORDANA SANGUEPAZZO 2h28

    Daniel LECONTE C'EST DUR D'ÊTRE AIMÉ PAR DES CONS 1er film 1h57

    WONG Kar Wai ASHES OF TIME REDUX 2h

    Marina ZENOVICH ROMAN POLANSKI: WANTED AND DESIRED 1h39

    La séance du Président du jury

    Alison THOMPSON THE THIRD WAVE 1h46

    Catégories : HORS COMPETITION Lien permanent 0 commentaire Pin it! Imprimer